Chapitre 14

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J’avais fondé beaucoup d’espoir dans cette traversée, et de ce qu’aurait dû être un grand moment de création littéraire pour renouer avec l’inspiration, ma traversée s’était transformée en un cauchemar. J’avais eu le temps d’apprécier à sa juste valeur la théorie de la relativité et de donner raison à Einstein, au moins sur un point, le temps n’a de valeur que ce qu’on lui donne.

Le lendemain, la ligne sinueuse de la côte grecque qui se dessinait au loin eut ce parfum de liberté. Je fus un des premiers à prendre le volant de mon véhicule, direction Kulata pour passer au plus vite la frontière. Sur la route, je n’avais rien perdu du souvenir brûlant de la chaleur vénitienne, mais le climat continental des environs n’avait pas à rougir de son empreinte qui saisit la peau comme une bonne vieille poêle à cuire les steaks. Dans ces contrées, la chaleur vous griffe la peau jusqu’à vous la faire saigner. Je ne me souvenais pas de ce détail qui me faisait regretter l’absence de climatisation dans la voiture. En ouvrant les fenêtres, l’air qui rentrait dans la voiture captait toute la chaleur du dehors. Je ne savais plus si je devais fermer les fenêtres et cuire dans ma voiture comme un poulet fermier à l’étouffée ou bien les ouvrir pour finir rôti comme un gigot dans un four à chaleur tournante. Je dégoulinais, je suais, je perdais à vue d’œil le peu d’humidité qu’il me restait dans le corps.

Hormis cette chaleur continentale que je redécouvrais avec surprise, quand j’arrivai au village, Katunci n’avait pas changé. Dans mes souvenirs, j’avais laissé le village dans le même état. C’était à croire que dans ces campagnes reculées, la nouvelle de la chute du bloc soviétique s’était perdue en route, dans la campagne aride. Sous l’effet de cette chaleur accablante, le messager avait certainement dû clamser en chemin en trébuchant sur une motte de terre sèche, étouffée par une grosse touffe d’herbe brulée par le soleil. Quel malheur, la Bulgarie avait été à deux doigts de faire vivre, pour la postérité, un mythe qui nous aurait conté l’histoire de son propre soldat Phidippidorov rapportant au village la nouvelle d’une nouvelle ère. Malheureusement, à cause d’un accident bête, d’une maladresse ou, peut-être même, d’une jambe plus courte que l’autre, la nouvelle de la chute du mur de Berlin n’arriva jamais jusqu’au village. Katunci vivait encore dans cette époque qui s’étalait jusqu’à la fin des années quatre-vingt.

En pleine journée, les rues étaient vides. Il faisait trop chaud pour y croiser du monde. Les façades blanches de l’ère soviétique succédaient aux murs en brique rouge de bâtiments plus récents. À partir de la rue principale qui fendait le village en deux, des rues adjacentes serpentaient dans le village, sur la colline sur la gauche et dans la vallée sur la droite. Comme il faisait assez chaud pour transformer le bitume en marmelade, les rues comme les trottoirs étaient pavées en pierre ou par des plaques de béton imitation pierre. Les quelques endroits qui se risquaient à être bitumés cicatrisaient mal sous l’empreinte laissée par une chaussure, une roue de charrette ou le passage d’un pneu de voiture.

Malgré la chaleur, quelques employés de mairie, c’est-à-dire deux, s’aventuraient dangereusement dehors sous leur chapeau de paille. Sur la grande place du village, qui était aussi la place de la mairie, il y avait l’homme préposé au balayage de la poussière et un autre à l’arrachage des mauvaises herbes. Nous étions en juillet et c’était la période des fêtes de villages. On était certainement trop proches de l’échéance qui allait faire rentrer le village dans une période faste pour que les employés de la mairie s’arrêtent de travailler à la première vague de chaleur. Les pauvres, je les plaignais.

Nonobstant mes premières impressions, clairement dans le ton de ces images que l’on se fait d’un pays sortant du bloc soviétique, le village goûtait, quand même, au confort d’une croissance venant de l’ouest. Le village n’était pas grand, mais il comptait maintenant, pas moins de trois bars, un hôtel, une pharmacie, un bureau des postes, une boulangerie et au moins cinq ou six épiciers, et fait extraordinaire pour moi, une boîte de nuit. Ce qui classait Katunci en haut de la liste des villages importants dans la région. La vitrine économique du bourg s’affichait chichement le long de la route principale comme dans le décor d’un film d’Émir Kusturica. Les enseignes nous informaient bien que l’on venait d’embrasser un autre monde. Émir n’a qu’à bien se tenir. J’avais là, sous les yeux, une partie de ce que j’aimais dans le cinéma d’Émir. C’était simplement désuet et étrangement, ça faisait authentique. Il y avait du beau dans le rien. Il y avait de la richesse dans la simplicité et toutes les enseignes écrites dans un alphabet cyrillique rendaient la découverte encore plus historique.

Le cyrillique à cette force improbable de transformer, pour nous qui utilisons un alphabet latin, la signification de certains mots. Quand on a de la chance et un peu d’imagination, les mots se transforment en un clin d’œil. Pour les transformations le plus faciles à entreprendre, il y a celle du restaurant qui devient un pectopaht. C’est le genre d’endroit discret et élitiste qui vous sert des insectes et des trucs qui croquent sous la dent ; ou bien encore le bar, un бар. Il faut comprendre dans cette traduction qu’elle intègre presque naturellement une consigne facile à comprendre : ne pas venir boire de verre avant six heures du soir. Non, c’est vrai, le cyrillique à quelque chose d’exotique pour nous latiniste qui me plaît particulièrement.

Je n’avais plus qu’à me laisser guider par la rue principale pour atteindre ce que tout le monde appelait dans le village : la Basa. Pour les gens du village, la Basa était ce lieu où, depuis plus d’une vingtaine d’années, on pouvait voir débarquer de France une flopée d’étudiants en archéologie pour les grands mois des vacances scolaires. La Basa était une ancienne école qui était louée par la ville à la mission scientifique. Sans compter le sous-sol qui courrait sur toutes les fondations, la Basa dénombrait trois étages et une terrasse sur le toit. C’était un bâtiment en brique rouge. Au sous-sol, on entreposait le corpus d’une fouille archéologique qui s’était voulue exhaustive dès le début des années quatre-vingt. Au rez-de-chaussée, derrière des grillages en guise de fenêtres, il y avait les deux salles de travail où les étudiants passaient le plus clair de leur temps. Au-dessus, les bureaux, les lieux de vie et au dernier étage, on avait les dortoirs.

Sans savoir si le bâtiment avait été un jour choisi pour assouvir les travers mégalomaniaques d’archéologues en manque de reconnaissance, la Basa était située en haut d’une colline, derrière un immense champ de tabac avec, pour seul décor derrière, l’horizon. Avec la mairie, ce devait être le bâtiment le plus grand et, de loin, le plus haut du village de par sa position géographique. D’en bas, quand on arrivait de la route principale, c’était une citadelle imprenable, un bastion de culture au milieu d’une vie douce et en apparence paisible. Elle dépassait de deux étages toutes les maisons aux alentours. Elle émergeait de nulle part, dans le vert du champ de tabac et semblait à elle seule soutenir tout le poids des nuages dans le bleu du ciel.

Dans le village, la Basa était devenue une institution ; un bout de culture française qui avait atterri presque par hasard dans ces terres reculées pour déterrer un bout d’histoire. Et alors que je ne pouvais pas m’enlever l’image de cet autochtone qui danse avec son sabre à lame recourbée dans la main, les habitants de Katunci, eux, certainement porté par l’image promotionnelle de ce savoir-vivre à la française, avait dû longtemps nous imaginer tous naître avec un exemplaire de Notre Dame de Paris de Victor Hugo dans les mains. Ne me demandez pas pourquoi ce livre plus qu’un autre, mais influence de la Russie ne devait pas être innocente dans ce constat littéraire. Victor Hugo était encore l’auteur français le plus connu en Bulgarie. Il nous avait transformés aux yeux des Bulgares comme quelque chose de l’expression du romantisme, de l’élégance et de l’intelligence qui avait fait les beaux jours du Siècle des lumières. Il y avait peut-être même plus de gens en Bulgarie qui avaient lu son roman que de personnes pieuses qui avaient lu la Bible elle-même. Et dans un pays où la religion tient une place très importante, cette observation a presque valeur de blasphème religieux. La Basa, c’était en réalité ce lieu de rencontre où on s’échangeait, comme dans un jeu de sept familles, des images d’Épinal pour comprendre l’autre.

Pour moi, ces considérations étaient parties loin, très loin. La Basa n’était plus que ce bâtiment où je devais, peut-être, croiser la route du dragon pour récupérer les affaires de mes parents. J’avais une grosse boule au ventre, le trac du débutant quand il doit monter en scène, seul pour la première fois, devant un public. Je n’avais rien préparé. Je ne savais pas si je devais jouer un rôle ou pas.

Quand j’arrivai devant le portail, il était fermé par une chaîne et un gros cadenas en laiton. Sur la gauche, les plants de tomates étaient sur le point de donner les premières tomates de la saison. En bordure du terrain, deux immenses arbres s’étalaient sans gêne pour soustraire à l’emprise du soleil une terrasse et ses deux bancs. À côté, un âne, ou peut-être une mule, broutait tranquillement, caché dans l’ombre du feuillage les dernières pousses vertes au sol. Sans aucune tromperie sur la marchandise, j’étais bel et bien sur ces lieux que j’avais encore en mémoire. Le terrain de la Basa était ceinturé par des pieds de vigne. Ne voyez rien de qualitatif dans la culture de ces dizaines de ceps, mais un moyen simple pour le gardien de la base de récolter suffisamment de raisin pour distiller les quelques litres annuels d’un raki local au goût racé de ces petits récipients en plastique qui la faisait vieillir d’une année à l’autre. J’avais un vague souvenir des effets secondaires de cet alcool mythique qui avait pour avantage de servir à beaucoup de choses à la fois dans le village. Elle servait bien évidemment à oublier les tracas du quotidien, mais en voyant certains Bulgares s’en boire des verres entiers à n’importe quelles heures du jour et de la nuit, je me demande s’il n’existe pas un seul et même mot pour nommer le Raki et l’eau en cyrillique. Pour les plus érudits des pochtrons du coin, ils ne connaissaient la notion de transparence qu’à travers celle d’un verre de raki ; en d’autres termes, l’eau n’était plus qu’une notion vague et théorique qui coulait dans la Bistriţa, ce ruisseau au fond du village, un point c’est tout. Pour le reste, c’était aussi un décapant multi-usage magique. Une sorte de pierre verte pour alcoolique en herbe. Certains Bulgares l’utilisaient pour décaper les pièces de moteur encrassées. Le raki était aussi violent que ça. La seule recommandation que je peux faire à ce sujet était qu’il fallait faire attention. Alors qu’une fleur intestinale se sortait presque à chaque fois indemne du raki de Katunci, cet alcool avait le pouvoir de vous faire disparaître en une nuit le décor d’une table en formica sans problème. Mais le plus étrange, c’est que cette boisson avait aussi des facultés curatives. À Katunci, quand vous alliez mal, on vous emmenait voir une baba. La vieille dame utilisait le raki comme un médicament. De cinq à quatre-vingt-dix-neuf ans, à grandes eaux, au milieu des forts effluves d’alcool qui remontait dans les narines, on vous massait le corps avec jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une seule goutte d’alcool sur la peau. Et alors que vous passiez la pire nuit de votre vie, à suer toute la vermine de votre corps, le lendemain, vous vous leviez guéri avec certes le souvenir d’une nuit humide et longue, mais guérie et d’aplomb pour affronter la horde entière de tous les virus de la terre.

Passé le souvenir douloureux du Raki, je garais ma voiture au bord de la route et je souriais. La satisfaction profonde de retrouver les choses, comme je les avais laissés, me remplissait d’un sentiment tendre. J’avais du coup oublié la boule qui me tiraillait dans le ventre.

De l’extérieure, la basa semblait totalement vide. Malgré la chaîne en métal qui cadenassait le portail, sur le côté droit, il y avait un portillon. Il était entrouvert. J’arrêtai le moteur de ma voiture et j’en descendis pour essayer de trouver quelqu’un dans les parages. En passant le seuil du petit portail, je lançais presque machinalement un timide bonjour. Je savais très bien que ça ne servait à pas grand-chose, mais cela avait au moins l’avantage de me rassurer un peu. Si je devais me faire prendre par une quelqu’une autorité, je ne pourrai pas nier le fait de m’y être introduit sans qu’on m’y invite, mais personne n’aurait pu me reprocher de l’avoir fait sans la politesse et l’honnêteté de m’annoncer. Même si la nuance est tenue, voire extrêmement tenue, cela faisait de moi autre chose qu’un simple rôdeur ou cambrioleur.

Une fois dans le jardin, je n’avais pas attendu longtemps pour voir quelqu’un arriver. Sortit de nulle part, un peu comme moi d’ailleurs, dans l’angle tronqué du bâtiment apparu un homme. Je le reconnus tout de suite. C’était Georgi. Il ne m’avait pas encore remarqué. Les bras chargés d’outils, il se présenta presque accidentellement devant moi. Sous ses airs de touristes en vacances avec ses tongs, son short et son débardeur, il avait toujours été l’homme à tous faire de la Basa. Il n’était pas très grand, mais il avait les épaules d’un géant et les connaissances largement suffisantes en bricolage pour ne pas faire sombrer ce navire qu’était la Basa. La Basa avait toujours été un bâtiment qui demandait beaucoup de soin, et le voir se trimballer avec une ribambelle de clés à molette ne m’étonna pas.

Sa peau était tannée par le soleil, ses cheveux ébouriffés dans la couleur poivre et sel que j’avais toujours connue. Il portait un débardeur blanc légèrement taché par les efforts, un short bleu avec trois bandes blanches sur le côté et les indécrottables sandales de piscine que tous les hommes bulgares se trimballent au bout de leurs pieds. Sur les bras, il avait le bronzage du cycliste qui avait abusé du tee-shirt à manches courtes. Je n’avais pas l’intention de me moquer de lui, mais en le voyant je souris et mon embarras des débuts se volatilisa. Même si je n’avais jamais pensé tomber sur lui, j’étais contant de croiser à nouveau son chemin. Il avait toujours été une de ces figures rassurantes de la Basa, un des premiers Bulgares à m’adresser la parole quand je posai pour la première fois le pied à Katunci. En me voyant à son tour, Georgi s’arrêta net. À voir la moue qui tira tous les traits de son visage vers un sentiment contagieux d’appréhension, je ne pouvais me persuader que d’une seule chose : j’avais certainement plus changé que lui. Je sentis mon cœur battre comme celui d’un cambrioleur qu’on prenait la main dans le sac.

— Georgi, kak sté ? lui demandai-je dans un bulgare hésitant.

Georgi me jeta un regard noir jusqu’à ce que je me rende compte que j’avais encore, sur le nez, mes lunettes de soleil. Immédiatement, je les retirai pour lui paraître plus sympathique.

— Qui êtes-vous ? me demanda-t-il sur un ton autoritaire.

— C’est moi, Roman… lui répondis-je. Je me sentais un peu con. En lui répondant ça, je me demandais comment mon prénom aurait pu l’aider. Mon prénom avait certainement dû souffrir, autant que mon apparence, de mon absence.

— Roman ? Désolé, mais je ne connais pas de Roman.

— Je suis le fils de Macha et André Taponier, lançais-je doucement comme pour m’excuser de quelque chose que je n’avais pas fait.

— Macha et Andreï ? Hoppa, Romanèto, je ne t’avais pas reconnu. En disant ces mots, il jeta ses outils par terre. Et alors qu’il sortit un mouchoir de la poche arrière de son short, il s’essuya la commissure des lèvres.

J’étais rassuré. Il me souriait enfin comme on sourit à une vieille connaissance. Il s’approcha de moi en dodelinant de la tête. Il me regarda droit dans les yeux et emprisonna dans sa grosse paluche droite, ma main. Il me la sera peut-être un peu trop vigoureusement à mon goût, puis dans une ultime hésitation, il m’étreignit comme se congratulent deux militaires après une victoire sur le champ de bataille. L’accolade fut franche et virile. Il recula de quelques centimètres, il me tenait, à présent, à bout de bras comme une vulgaire poupée de chiffon. J’étais impressionné. Il avait une poigne de titan.

— Tu as grandi Romanèto, continua-t-il en me tapotant sur l’épaule.

— Oui, il parait, lui répondais-je en essayant de reprendre mon souffle. Je suis vraiment désolé, mais je passe à l’improviste. Je dois…

— Moi aussi, je suis désolé… pour toi. Son visage s’enfonça instantanément dans le remords. J’aimais beaucoup tes parents, me confia-t-il, c’était un peu comme ma famille de France que je n’aurai jamais. Ça a été un choc pour nous tous ici quand nous avons appris la nouvelle.

Il était hésitant. Il me regardait à peine. Ça aurait pu me valoir le même dégoût que ces autres fois quand des inconnus s’épanchaient sur mon malheur, celui-là même qui n’avait d’existence que par le dioptre des autres, mais cette fois-ci, je connaissais assez bien Giorgi pour savoir qu’il était sincère. Il n’était pas plus triste pour moi que pour lui d’avoir perdu des êtres chers.

— Merci, Giorgi, lui répondis-je avec beaucoup de franchise. À vrai dire, je suis juste de passage…

— Oui, je sais… m’interrompit Giorgi. Maritsa m’a dit que tu passerais. Je suis vraiment désolé, mais, pour le coup, je ne t’ai pas reconnu. Elle t’a préparé les affaires, continua-t-il en s’essuyant les mains avec son mouchoir en coton, elles sont dans son bureau, je crois bien.

— Mais, comment ça ? Personne n’était au courant de mon passage.

— Je sais qu’elle a eu un coup de fil, c’est tout, m’avoua-t-il en roulant des épaules.

— Ah ! et Maritsa est là.

— Non, non. Elle est au Musée, à Blagoevgrad. Elle est partie ce matin pour ramener des vases au coffre-fort, mais elle m’a demandé de te dire que tu pouvais rester quelques jours.

— Non, c’est gentil, mais je n’ai malheureusement pas trop le temps. Il faut que j’aille à une vente sur Sofia et ensuite je rentre. Et puis avec la garnison d’étudiants qui ne va pas tarder, je ne me sentirai pas à ma place ici.

— Les étudiants ? Quels étudiants ? Ça fait déjà plus de trois ans qu’il n’y en a presque plus. Cette année, hormis tous les scientifiques, ils ne seront que trois ou quatre étudiants à venir, peut-être plus si besoin, mais Maritsa est sur la fin du chantier d’étude. Ce ne sont plus ces années folles qu’on a vécues. Les années où on voyait débarquer Maritsa avec une trentaine d’élèves, c’est du passé ! Maintenant, c’est plus calme.

— Tiens, c’est étrange ! lançais-je à la volée. Et moi qui pensais que son chantier-école était immortel. Je ne pouvais pas éviter de penser à ma propre expérience du dragon et tout ce que cela impliquait. Alors que je commençais à souligner mon visage d’un invisible sourire qui narrait la moquerie, Georgi me répondit :

— Roman, Maritsa serait contente de passer un peu de temps avec toi. C’est vrai qu’elle ne fait généralement pas dans le sentiment, mais c’est une bonne personne, tu sais.

— Ouais, c’est peut-être le cas, mais je n’ai pas envie de déranger et puis, je ne suis plus trop à ma place ici. Je préfère encore faire comme si tu ne m’avais rien proposé.

— Tout le monde sera content de te revoir. Et puis dans une semaine a lieu la fête du village. Tout le monde sera là pour l’occasion : Mitra, Margoulata, Vladimir, Anton, Elena, Irina, Nicolaï, Evgeni… Ils seront tous heureux de te revoir après toutes ses années.

— C’est gentil, mais je ne sais pas trop. J’ai beaucoup de choses à faire et je ne suis pas sûr que c’est vraiment du goût de Maritsa.

— Maritsa ? arrête un peu. C’est elle qui m’a demandé de t’en parler. Tu connais bien Maritsa. Si elle n’avait pas voulu te revoir, elle ne m’aurait pas demandé de te le proposer.

— Au départ, j’étais juste passé récupérer des affaires que mes parents avaient laissées.

— Ben, tu verras ça directement avec Maritsa quand tu reviendras. Je sais qu’elle a préparé des choses pour toi, mais je ne sais pas où elle les a fourrées.

— Bon, très bien, très bien, lui répondis-je en souriant. Je ne le faisais pas plus pour Maritsa que pour Georgi. En réalité, j’abdiquai sans me battre par ce que cela me faisait plaisir de revoir tous ces gens dont il venait de citer les prénoms. Et puis, la fête du village était une chose que je ne pouvais pas rater après toutes ces années. Je ferais mon possible pour être là pour la fête, continuai-je. Il semblait content de me voir et moi aussi j’étais heureux de ces retrouvailles.

— Tu récupéreras les affaires de tes parents la prochaine fois alors. Et puis je n’ai plus le temps de te les donner. Je suis attendu pour une affaire en ville. Je viens de fermer toute la Basa. Ça ne te dérange pas ?

J’adorais ces questions fermées qui ne demandaient qu’à répondre en faveur de celui qui la posait. Mais dans le fond, il n’avait pas tort.

— Non, non, ce n’est pas perdu… et puis au moins comme ça, je n’ai pas l’impression que tu me forces la main.

— Te forcer la main, moi, tu veux rire. Je ne suis qu’un petit ouvrier dans l’affaire. Mais bon, je serai content de te revoir aussi, après tout ce temps.

— Ouais, c’est sûr. Dit comme ça, j’aurai au moins l’impression de choisir moi-même.

— Da vai !!! s’exclama-t-il en me donnant le coup d’envoi du départ. Il récupéra ses outils et pointant avec, le portail, il me montra la sortie. Un dernier instant pour se dire au revoir et nous nous quittâmes sur le bord de la route. Il rentra à pied chez lui. Je reprenais ma voiture pour Sofia.


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