IV

 

 

Mes souvenirs s’enchevêtrent. Un défilé d’images se succède dans ma tête. Elles me sont étrangement familières.

Et puis, tout devient soudain plus clair. Brusquement, je me remémore tout.

Je me rappelle que les enfants ne tenaient pas en place sur leurs sièges, et aussi que les parents n'arrivaient pas à les calmer.

Mais comment parvenir à rassurer des enfants quand leurs parents eux-mêmes sont inquiets et terrorisés, surtout dans une situation aussi difficile ?

Le paysage défilait autour de nous à une vitesse folle.

Des gens criaient, d’autres pleuraient… Et puis…

Le train se mit à dérailler dans une cacophonie insupportable. Beaucoup s’écroulèrent sur le sol et furent assommés.

Le train se renversa bientôt sur le côté, tout en continuant sa course interminable et effrénée.

Nous nous croyions en enfer.

Un feu prit naissance et très vite de l’ampleur, avant qu’une fumée opaque remplisse rapidement l’atmosphère.

Le train stoppa sa course dans un bruit qui s’estompa peu à peu.

C’était un cauchemar, qui se vivait en pleine réalité.

 

Certains survécurent à l’accident.

Un groupe de dix-neuf personnes se frayait un chemin dans les wagons. J’en faisais partie.

Des corps jonchaient sans vie le sol. Certains avaient trouvé la mort suite au choc provoqué lors de la chute, et d’autres s’étaient asphyxiés à cause de la fumée, avant que celle-ci ne se dissipe par quelques trous d’aération.

Quant à nous, nous avions simplement eu plus de chance.

Nous nous faufilions, cherchant sans arrêts un endroit par lequel s’extraire, mais aussi dans l’espoir de trouver d’autres survivants pour leur porter secours.

Personne ne voulait que le train ne soit notre tombeau.

Il nous aurait fallu une hache, ou quelque chose pour casser les fenêtres. Mais nous ne trouvions rien. Le train était solidement constitué.

Alors que nous passions dans un autre wagon, j’avais distingué un faible cri émaner à quelques mètres de moi. Il s'agissait de la voix d’une enfant terrorisée.

J’avais couru vers cette fillette qui sanglotait, seule dans un coin du compartiment.

Arrivé auprès d’elle, j’avais vu qu’elle était coincée sous des sièges et des valises.

« Impossible à soulever… »

C’était ce que je m’étais dit dans mon for intérieur, durant un bref instant. Car, pendant que je croisais le regard tétanisé de la fillette, mon cœur se serra.

Les autres survivants avaient trouvé un passage et hurlaient de joie. Ils s'extrayaient déjà par la « sortie », tandis que je m'apprêtais à demander de l'aide.

Il était trop tard, leurs cris auraient dissimulé le mien dans l'étouffement.

J'ai croisé le regard de la fillette. Elle me suppliait de l'aider, de ne pas l'abandonner.

Qui aurait tout tenté pour la sauver ? Qui aurait d’abord réfléchi à sa survie ?

Il s'agissait là de deux questions que je ne m’étais guère posées.

Je n’avais pas hésité. Pas un seul instant je n'avais réfléchi, tant je désirais la sauver et lui effacer cette souffrance qui défigurait son visage juvénile et plein de promesses futures.

J’avais posé d’abord ma main gauche sur le côté, et l’autre entre elle et la montagne de valises sous laquelle elle était ensevelie. Après plusieurs efforts, je réussis à l’en dégager.

Mais…

Bien que ce fût rapide et net, la douleur ne disparut pas avant bien longtemps. Le plus important était qu’elle soit délivrée et que nous en ayons réchappé tous les deux, ainsi que les autres survivants.

Je crois que je ne regretterais jamais de l’avoir sauvé. Et ce, quoi qu’il ait pu m’en coûter.

Maintenant, les choses sont plus claires dans mon esprit.