Chapitre 3

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III

 

 

Le troisième wagon est totalement différent des deux précédents. Il est empli d’un brouillard épais, de sorte que je ne vois pratiquement rien.

Là encore, j'appréhende ce que me réserve la prochaine porte. Je ne sais pas comment je vais devoir m’y prendre pour l’ouvrir.

Contrairement au deuxième, ce wagon ne m’est pas rassurant. On ne distingue rien à plus de trois mètres, et le silence qui y réside n’arrange pas les choses. Je suis comme qui dirait sur le qui-vive, redoutant ma progression sans même l’avoir commencé.

Une fois que j’ai mis mes deux pieds dans le wagon, la porte derrière moi se referme dans un grincement sinistre.

Je sens un frisson me parcourir. Cette partie du train me rend anxieux. Je ne suis pas très à l'aise à l’idée de le fouler.

Je ne peux me l'expliquer, mais je ne crains pas particulièrement les ténèbres. En réalité, j’hésite à m’y engouffrer, comme si cette brume me rappelait un mauvais souvenir.

Je hume l’air, mais ne sens rien de particulier. C’est donc bien un brouillard, et aucunement de la fumée.

D’une certaine façon, j’avais crus un instant que le train brûlait.

 

Après avoir pris mon courage à deux mains, je me mets à marcher droit devant moi. Quelques instants plus tard, je sens quelque chose me barrer la route.

Je suis contraint de m’arrêter.

Voilé par les ténèbres, je tends ma main pour savoir de quoi il s’agit. Et j’apprends que c’est une pile de bagages qui m’obstrue le passage. Et il est impossible pour moi de les dégager. Elles sont bien trop lourdes.

La solution est donc de les contourner.

Je tente alors de passer par la gauche, mais des valises, là encore, bouchent le passage.

Je dois me rabattre sur la droite.

Une fois de l’autre côté, je réussis à me faufiler entre le mur et les tas de malles. Mais au-delà, je ne vois toujours pas de porte se dessiner.

C’est ainsi que pendant un long moment, je dus traverser le wagon, parfois en me penchant pour passer sous une arche faite de bagages et je ne sais quoi, et d’autre fois en me tordant le corps pour les dépasser en empruntant cette fois-ci un chemin plus exigu.

Et le brouillard sinistre n’arrangeait guère les choses. Je marchais, guidé seulement par l’angoisse et un sentiment de claustration de plus en plus fort.

Il fut plusieurs fois où je me sentis observé, et même épié. Alors, je fis attention à bien regarder autour de moi. Et à un moment, ma crainte, qui n’était qu’une simple divagation sans intérêt au départ, se métamorphosa en une véritable peur.

Des yeux écarlates comme de la braise m’observaient bien…

Ils se faisaient d’ailleurs bien moins discrets depuis que j’avais croisé leur regard avec insistance.

 

C’est après une courte pause que je reprends mon cheminement à travers ces sentiers empreints de brume, accompagné de ces étranges yeux rouges qui m’empêchent de fermer quelques instants les miens, tant ils m’effraient.

L’effroi m’habite à chaque instant. A plusieurs reprises, j’ai tenté de courir jusqu’à eux, craignant malgré tout de tomber sur une créature immonde…

Mais ils disparaissaient sitôt que mon courage surpassait ma peur. Alors, je reprenais là où je m’étais arrêté, en proie à une frustration évidente.

Mais je peux enfin, après une longue marche, atteindre l’autre porte. A la vue de celle-ci, le soulagement me fait d’ailleurs lâcher un soupir heureux.

Je cours jusqu’à elle, pressé de pouvoir sortir de ce wagon, lorsque les yeux rouges qui me filaient se placent entre nous deux.

Je m’arrête brusquement dans ma course, le souffle haletant.

A cet instant, j’entends une voix glauque s’élever de nulle part.

« Qui est devant toi ? »

Mes yeux s’écarquillent, tétanisé que je suis.

Je ne sais quoi répondre, surpris d’entendre une voix humaine. Mon corps est trop paralysé pour faire sortir un seul mot de ma bouche.

« Qui est face à toi ? », répète la voix d'un ton froid.

Il n’y a que des yeux, pas de corps. Comment puis-je répondre à cette question ?

« Réponds, et tu passeras ce dernier wagon. »

Devant cette éventualité, je commence à faire fonctionner mes méninges du mieux que je peux.

Mais aucune idée ne germe de mes pensées.

« Si tu ne peux répondre, tu resteras pour toujours dans ce wagon », ajoute la voix d'un ton plus ferme.

« Moi, rester ici ? Il en est hors de question ! »

C’est alors que je me mets à crier. Du moins, telle était mon intention.

Etrangement, aucun mot ne sort de ma bouche. Ils semblent s’étouffer d’eux-mêmes dans ma gorge.

« Comme l’est ce wagon, ton esprit est rempli d’un brouillard. Cela t’empêche de te souvenir et de voir plus clair. »

Je fronce les sourcils.

« Je devais me souvenir à qui ces yeux rouges appartiennent ? Quelle absurdité… », je pense, intérieurement.

Sans m’en rendre compte, je hurle de désespoir. Cette fois-ci, ma voix brise le silence et l’écho de mon cri résonne à travers tout le wagon.

Je me sens perdu. J’ai envie de sortir de cet enfer et d’avoir réponses à mes questions.

Dans mon grand désarroi, je prends peu à peu conscience que quelque chose m’empêche d'obéir à cette voix.

Lorsque je finis de crier, je décide de m’accroupir, las et fatigué.

Je regarde autour de moi, avec le sentiment que quelque part, une personne m’attend peut-être.

Après un moment, je fais peu à peu le vide dans mon esprit et apaise mes pensées. La voix elle-même me le conseillait.

Je reprends enfin mon calme et plonge mon regard dans les yeux qui me font face.

Ils me semblent tout à coup familiers, alors que des yeux seuls ne sont pas suffisants pour identifier une personne.

Un nom me vient soudain à l’esprit. Lui aussi, je le reconnais.

Je lève la tête, puis tourne sur moi-même, cherchant la source de la voix.

« Je me souviens de qui il s’agit », je cris, bien que je n’entende pas mes paroles.

La voix attend un instant, comme pour me faire patienter, puis résonne brusquement dans le wagon.

« De qui s’agit-il ? »

Je souris.

« De moi. »

Le brouillard se dissipe tout à coup, et les yeux rouges disparaissent à leur tour.

J’entends bientôt un bruissement léger provenir de la porte, laquelle s’entrouvre ensuite lentement.

J’ai trouvé la bonne réponse.

 

Arrivé devant la porte, je la pousse entièrement avec une joie non dissimulée, pensant pénétrer au sein d’un quatrième wagon.

Mais la surprise m’assaille très vite, me faisant lâcher un cri de stupeur.

Je suis arrivé au bout du train. Et à l’endroit où il aurait dû y avoir logiquement une cabine de commande, le vide est béant sous mes pieds.

Je vois avec effroi les rails. Le train les engloutit au fur et à mesure de son avancée déchaînée et frénétique.

Désappointé, je porte le regard au loin, pour chercher une issue.

Tout n’est que ruines. Des maisons et des voitures brûlées par un incendie, qui devait avoir été gigantesque, se succèdent autour du train.

Je ne comprends pas.

Passer tous ces wagons pour finalement apprendre que je suis… seul et perdu ?

Je m’accroupis, retenant difficilement quelques larmes.

L’incompréhension et la désillusion s'insinuent dans mon cœur, tandis que toutes sortes de questions m’inondent déjà le crâne.

Je ne sais plus quoi penser, ni quoi faire.

Alors, constatant qu’il n’y a aucune échappatoire à ce train, je décide de mettre un point final à cette ridicule histoire.

Résolu, je me lève.

Mes pieds flirtent avec le vide. Je regarde le ciel, les nuages, puis le Soleil. Ce dernier est trop étincelant. Je lève alors ma main pour le cacher de mes yeux… Bizarrement, il m’éblouit toujours, comme si elle lui était transparente.

Je sens soudain mon esprit s’embrouiller.

J’ai l’étrange impression que je quitte brutalement ce monde insensé.

Je ferme les yeux, trébuche puis tombe du wagon, et laisse le silence du crépuscule m’envelopper de ses charmes enténébrés…

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