Chapitre 38 : Loren

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Je regardais April dormir. Il était déjà tard, mais je n'avais pas sommeil. Pourtant, j'avais peu dormi la nuit passée et la journée avait été riche en émotions. Mais je devais tourner encore à l'adrénaline. J'espérais donc que le sommeil de ma fille m'aiderait et m'apaiserait comme cela était souvent le cas.

Snoog n'avait pas pu rester longtemps avec nous. Il était reparti en toute fin de matinée : le groupe reprenait la route dès ce midi pour Aberdeen où il jouerait demain soir, puis ce serait Inverness dans quatre jours. Nous devrions pouvoir nous revoir très vite, quand il ferait étape à Glasgow en fin de semaine prochaine. Quatre jours sur place, dont le week-end. Je m'organiserais pour rejoindre l'autre grande ville par le train, avec April. Le voyage était court, je le savais pour l'avoir déjà fait. Il m'avait dit de ne pas me préoccuper pour April pour le soir du concert : il verrait avec Jenna et Ally pour prendre une baby-sitter en commun pour les enfants. Car les trois filles voudraient assister au show. Il m'avait expliqué qu'elles étaient rarement présentes toutes les trois avec eux, qu'il y en avait toujours une qui restait à l'hôtel pour garder les enfants, mais comme ils joueraient "à la maison", elles avaient aussi leurs habitudes et connaissaient des jeunes tout à fait capables.

Je ferais donc la connaissance des autres membres du groupe à cette occasion et je pourrais, pour la première fois de ma vie, assister à un concert depuis les coulisses. J'étais assez excitée par cette perspective, mais ce n'était pas la seule raison qui me tenait éveillée. Il s'était passé beaucoup de choses en vingt-quatre heures et j'avais encore du mal à tout réaliser.

Déjà, le concert était vraiment réussi. Il y avait une ambiance de folie dans la salle, le public était vraiment au diapason. Evidemment, le fait que Snoog décide d'interpréter la chanson qu'il avait écrite pour moi pour clore le show m'avait mise à genoux ou presque. Sans compter nos retrouvailles incandescentes dans la loge, puis à l'hôtel. Il y avait eu ensuite ma découverte de son nouveau tatouage. J'avais autrefois dû et pu encaisser le fait qu'il avait écrit une chanson pour moi, d'autant qu'à l'origine, c'était en toute amitié. Même s'il avait décidé d'en modifier les paroles, de me faire, devant quelques milliers de personnes, toute une déclaration. Sa déclaration. Et maintenant, il y avait ce tatouage. Mon prénom et celui d'April gravés dans sa peau. Je savais pertinemment ce que cela signifiait. A vie.

Et cela me bouleversait. J'avais l'impression d'être à nouveau emportée comme ce lointain soir, à Newcastle, quand il m'avait fait passer par-dessus les barrières et qu'il m'avait entraînée jusqu'à l'hôtel. C'était comme une tempête, un vent de folie qui dévastait tout, emportait tout. J'avais encore du mal à réaliser que lui, le chanteur des Dark Angels, coureur de jupons invétéré, dragueur et enjôleur, ait pu faire graver mon prénom à l'intérieur de son bras. Celui d'April, passait encore, puisqu'elle était sa fille. Mais moi... Moi, j'étais la mère de sa fille, certes. Mais j'étais donc aussi autre chose. Et pas seulement une amie proche. Pas seulement une copine qu'il retrouvait à l'occasion pour une bonne partie de jambes en l'air.

Et puis, il y avait mes propres sentiments. Après avoir longtemps fermé mon coeur à toute expression de sentiment amoureux pour lui, il était désormais comme gonflé d'amour. Tellement que cela m'en faisait mal, que j'avais par moments du mal à respirer. Mais c'était aussi merveilleusement bienfaisant, rassurant et plein de promesses.

Nous n'avions guère eu le temps de parler : la matinée avait filé à la vitesse de l'éclair. Après le petit déjeuner, il avait emmené April pour une balade au Parc Meadows. J'en avais profité pour lire les messages reçus depuis la veille concernant le projet, répondre à quelques-uns et préparer mon après-midi de travail. Quand il avait ramené la petite, il était quasiment l'heure pour lui de rejoindre le groupe. Nous nous étions enlacés un long moment, il m'avait serrée très fort et très affectueusement contre lui, me disant qu'on allait très vite se revoir et qu'il s'occuperait de tout pour notre petit séjour à Glasgow. Qu'au-delà du concert, nous pourrions passer du temps ensemble et discuter, envisager l'avenir.

Pour après la tournée.

**

C'était le soir du concert à Inverness. Snoog me téléphona en fin d'après-midi, juste avant de retrouver toute l'équipe technique et le reste du groupe pour le repas. Il était dans sa loge, les balances étaient terminées, la salle était prête. Et le groupe aussi. Comme j'avais encore quelques éléments un peu complexes à boucler en urgence, je lui passai April et elle lui tint une longue conversation à laquelle je me demandai ce qu'il pouvait bien comprendre, car son vocabulaire était quand même encore très limité. Quand j'en eus terminé, je repris mon téléphone et lui dis :

- Voilà, j'ai fini. Tu vas bien ?

- Parfaitement bien. Et toi, alors ?

- J'ai tout bouclé. Je vais vraiment pouvoir passer les quatre jours prévus à Glasgow, l'esprit tranquille.

- Tu mets le turbo ?

J'éclatai de rire. Me voyant faire, April, assise par terre sur sa petite couverture, face à moi, tapa aussitôt dans ses mains en faisant un grand sourire.

- Disons que je suis très motivée à l'idée d'assister, depuis les coulisses, à un concert du meilleur groupe de hard-rock du moment.

- C'est tout ce qui te motive ? fit-il d'un ton malicieux, mais faussement chagrin.

- Hum... Il y a aussi la perspective de faire plus ample connaissance avec le groupe...

- Ah, je me disais aussi, répliqua-t-il toujours avec humour.

Je souris, tendis un petit jouet qui avait roulé à April et qui semblait l'intéresser fortement. Puis je repris :

- Tu as compris le charabia d'April ?

- Bien sûr ! Elle m'a raconté des tas de choses passionnantes.

- Ah oui ? Et lesquelles ?

- Et bien, elle m'a dit qu'elle était en train de s'amuser avec ses petits cubes. Qu'elle construisait une belle maison. Que tu n'avais pas pu la promener aujourd'hui car il pleuvait. Que tu avais préparé vos affaires et que vous alliez prendre le train demain après-midi. Qu'elle espérait que tu lui raconterais son histoire préférée ce soir.

- Oh, tout ça ?

- Ce n'était que le début. Elle m'a dit aussi que sa maman était très jolie, qu'elle souriait tout le temps et que même, parfois, elle avait l'air un peu rêveur, mais heureux quand même. Et que je vous manquais.

- Oh...

- Alors je lui ai dit que vous me manquiez beaucoup aussi, mais que nous allions nous revoir dès demain.

- Je comprends mieux pourquoi j'ai pu terminer aussi vite et aussi bien. Même à distance, tu fais un très bon baby-sitter.

- Tu te trompes, Loren. J'essaye juste de faire un bon papa.

Sa réplique me serra la gorge d'émotion. Je ne trouvai rien à lui répondre.

- Loren ?

- Rien, fis-je en essuyant la perle salée qui roulait sur ma joue. Rien.

- Sûre ?

- Oui, sûre. C'est juste...

- Que j'ai dit le truc qui te fait pleurer. Mais c'est la vérité.

- Je sais. Je n'en doute nullement.

Je me levai et me servis un verre d'eau pour boire quelques gorgées, April me suivit des yeux et tendit les bras en disant :

- Boubou, mama ! Boubou !

- April a soif, fis-je. Attends, je pose le téléphone pour lui préparer un biberon d'eau.

- Ok

Je repris juste après avoir donné le nécessaire à ma fille, ce qui me permit de reprendre le contrôle de mes émotions, et demandai :

- Prêt pour le concert ?

- Ouaip. On s'est baladé dans la ville ce matin, y'a d'l'ambiance. Treddy est à fond. Mode zen total, ça veut dire qu'il va allumer ce soir. Stair, David et Lynn semblent prêts à le suivre...

- Toi aussi ?

- Yes ! Toujours en Ecosse. J'adore jouer ici. Le public est vraiment génial. Toujours partant pour embarquer et mettre une ambiance du feu de dieu.

- Bien... Je vais te laisser. Il faut que je prépare à manger et j'ai encore quelques bricoles à faire pour être prête à partir demain.

- Ok. Repose-toi bien et te soucie de rien. Tu m'préviens quand vous êtes dans l'train ?

- D'accord. Bon concert et à demain.

- J't'embrasse. Et la louloute aussi.

Je raccrochai, passai à la cuisine pour faire l'inventaire du réfrigérateur et de ce qu'il fallait manger ce soir et demain, préparai le repas. Je fis en conséquence pour qu'April ait encore de la purée pour demain midi. Puis nous passâmes à table, la puce et moi. Je lui fis ensuite prendre son bain et nous nous installâmes dans la chambre pour sa lecture du soir.

- Alors, tu as dit à papa que tu voulais quelle histoire ?

Elle trottina jusqu'aux petites étagères où je rangeais ses livres et ses jouets, en sortit trois, en laissa deux par terre et ramena le dernier. Je la pris sur mes genoux, elle se lova contre moi avec son doudou et je lui fis la lecture. Un dernier câlin, puis je la couchai.

- Demain, on revoit papa, ma puce. Dors bien.

- Papa ?

- Oui, demain, on verra papa. Bisous, mon petit coeur.

**

Un dernier baiser sur le front et je quittai la chambre, fermant soigneusement la porte. J'entamai le rangement dans la cuisine lorsque mon téléphone sonna à nouveau. Numéro inconnu. Je fronçai brièvement les sourcils, hésitant à prendre l'appel, car je craignais une entourloupe de Jim. Finalement, je décrochai.

- Loren ?

- Stacy ?

- Ouais, salut ma belle ! J'te dérange pas, là ?

- Non, ça va. Je viens de coucher April et je faisais un peu de rangement. Excuse-moi d'avoir attendu pour décrocher...

- Ouais, j'me suis fait voler mon téléphone y'a deux semaines, du coup, j'voulais t'appeler aussi... pour te filer mon nouveau numéro.

- Ok, je vais l'enregistrer. Comment vas-tu ?

- Bien... Mais dis-moi, toi, ça va ?

Je devinai qu'elle souriait.

- Oui, April et moi allons bien.

- Ah ouais... Dis donc, je sais qu'ça fait un bail qu'on s'est pas parlé, mais tu me fais quand même de sacrées cachotteries...

Oui, cela faisait un bon moment. J'avais repris contact avec elle peu après notre arrivée à Edimbourg, en me contentant de lui dire que je m'étais séparée de Jim. Nous ne nous étions pas revues, car elle vivait toujours à Newcastle, avec son petit ami, et je n'étais pas retournée dans ma ville natale, étant encore en froid avec mes parents.

- Quelles cachotteries ? demandai-je, un peu étonnée.

- Ton PC est allumé ?

- Oui, pourquoi ?

- Je t'envoie quelque chose. Tu vas me dire ce que tu en penses.

- Ok.

Je m'installai à mon bureau, vraiment intriguée. J'avais un peu la tête ailleurs, quelques affaires encore à préparer et je n'adhérai que moyennement, ce soir, aux délires de Stacy, même si j'étais heureuse d'avoir de ses nouvelles.

La petite enveloppe clignotante m'annonça que je recevais un mail. C'était bien celui qu'elle m'envoyait. Je l'ouvris, cliquai sur le lien et je tombai sur une page FB de groupies des Dark Angels et... Et sur une photo de Snoog et moi. Je resituai rapidement les lieux, la photo datait de la semaine passée, lorsque nous avions quitté la salle de concert d'Edimbourg. J'avais cependant le visage bien caché par mon écharpe, le col de mon blouson remonté au maximum. Sans compter le bras protecteur de Snoog qui me collait contre lui. Difficile de m'identifier, sauf si on me connaissait assez... D'autant que la photo était quand même de mauvaise qualité, un peu floue et prise à la va-vite.

- Alors ? C'est bien toi, sur cette photo, non ? Et puis, quand on lit les commentaires, franchement... Je n'ai pas eu longtemps des doutes !

- Comment ça ?

- Déroule un peu, tu verras.

Je suivis ses instructions, pour arriver à certains échanges entre fans. Rien que les avatars de ces personnes me donnaient déjà une idée de ce qu'elles étaient : de ces groupies dont Snoog n'avait pas grand-chose à faire.

Z'avez vu ? Il est sorti avec une meuf ?

C'est elle, Loren ?

Sûrement...

Dingue, ça ? La Loren de la chanson ?

- Alors ? fit à nouveau Stacy.

- Que veux-tu que je te dise, Stacy ?

- T'étais au concert, non ?

- Oui, j'ai assisté au concert. Et oui, c'est moi sur la photo.

- Ok... Donc tu l'as bel et bien revu. Et tu nous l'as bien caché...

- Je n'avais pas forcément grand-chose à en dire.

- C'est à cause de lui que t'as quitté Jim ?

- Non. C'est à cause de Jim que je suis partie. Snoog n'a rien à voir là-dedans.

"Hormis qu'il est le père d'April, mais ça... Stacy n'est pas obligée de le savoir. En tout cas, pas tout de suite", pensai-je.

Mon amie soupira :

- T'as jamais voulu nous dire pour la chanson. Je l'ai réécoutée en découvrant cette photo. Et, franchement, j'ai fait le lien tout de suite. Pour qui te connaît, c'est facile. Et tu vois, même les fans qui ne te connaissent pas ont compris. Tu sors vraiment avec lui ?

- Oui. Et pour tout t'avouer, nous réfléchissons sérieusement à nous installer ensemble. Même si on ne veut rien précipiter.

- Wahhhhhhhhhhh... Tin lin lin !!!

- Mais je t'interdis de balancer cette info sur ta propre page FB ou sur tout autre site.

- T'inquiète. Chuis pas suicidaire. Et April ?

- Quoi, April ? fis-je, légèrement agacée.

- Ca ne le dérange pas que tu aies une fille ?

- Non, ça ne le dérange pas, répondis-je d'un ton plus doux.

- Bon, c'est cool, alors.

Je retins un soupir de soulagement : si Stacy ne faisait pas le lien entre Snoog et April, ça m'éviterait une très longue conversation, mais cela me donnerait aussi l'assurance que d'autres personnes ne feraient pas ce lien. Et je voulais protéger au maximum ma fille de la notoriété de son père. Au moins jusqu'à ce qu'il ait obtenu la reconnaissance de paternité, mais nous n'en étions pas là.

- Faudra que tu me racontes, Loren, quand même.

- Pas ce soir, si tu veux bien. J'ai des journées chargées, si tu veux tout savoir. Je suis vraiment dans le vif du sujet du projet de Stirling et je m'occupe d'April aussi.

- Pas de soucis. J'imagine bien que ce n'est pas facile. Bon, quand tu auras un moment, tu penseras à m'appeler, hein ?

- Promis. Merci de ton appel, Stacy. J'espère que tout va bien pour toi ?

- Oui, ça roule ! Allez, je te fais la bise et à bientôt !

- A bientôt.

Et je raccrochai. Devant mes yeux dansaient encore les messages des groupies. Je restai songeuse un moment, puis décidai de les ignorer. J'avais mieux à faire : préparer nos bagages pour les quatre jours à venir que nous passerions à Glasgow.

Avec Snoog.

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