Chapitre 22 :  Snoog

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Un truc strident était en train de me déchirer la tête. Ca cognait dur. Putain quel était l'enfoiré qui faisait des travaux sous mes fenêtres ? Je sentis qu'on me secouait le bras et une voix un peu aiguë résonna à mes oreilles, augmentant encore la sensation douloureuse.

- Snoog... Snoog... Réveille-toi. Ca sonne à ta porte...

Je finis par comprendre. Ou par réaliser un tout petit peu ce qui se passait : le truc strident, c'était la sonnette de l'appartement. J'ouvris un oeil. Une fille blonde et nue était assise à côté de moi, un peu inquiète. Je lui souris machinalement, ce qui tourna vite à la grimace car rien que ce simple mouvement me tira de nouvelles douleurs dans le crâne.

- Ah, putain... Il est quelle heure ?

- Presque midi... me répondit-elle.

Je portai la main à ma tête. Impossible de me remettre les idées au clair. Et surtout, je ne comprenais pas pourquoi on s'acharnait ainsi sur la sonnette de la porte d'entrée. Un livreur n'insisterait pas autant, la factrice non plus. La femme de ménage ? Elle avait les clés et aurait été discrète : cela n'aurait pas été la première fois qu'elle venait faire son job et que je me trouvais au lit avec une fille. Au fait, elle s'appelait comment, la petite blonde, là ? Je renonçai bien vite à trouver, même pas certain de lui avoir demandé son nom la veille au soir, quand je l'avais embarquée. D'ailleurs, je ne me souvenais pas du tout de l'endroit où je l'avais rencontrée.

- Bon...

Je m'extirpai du lit un peu difficilement, la démarche pas très assurée. J'eus de la chance de tomber très vite sur mon caleçon de la veille, ça m'évitait d'avoir à faire le tour du lit pour en prendre un propre dans l'armoire. La fille ne bougea pas, resta assise tout en me regardant. J'allais devoir m'occuper d'elle, mais d'abord, cette saloperie de sonnette.

Je traversai le salon. Pas très reluisant, mais mon regard ne s'y attarda pas. J'aurais peut-être dû...

J'ouvris la porte en grand. Jenna se tenait sur le seuil, l'air inquiet.

- Jenna ?

- Snoog !

On avait parlé en même temps.

- Bordel, qu'est-ce qui s'passe ? fis-je.

- Mais c'est à toi de nous le dire !

- Quoi ?

- Mais tout le monde t'attend au studio ! Tu as oublié ce qui se passe aujourd'hui ?

Je fourrageai dans mes cheveux. Qu'est-ce qui devait se passer aujourd'hui d'important pour que Jenna vienne sonner à ma porte ?

- Ca fait plus de deux heures que tout le monde essaye de te joindre. T'as perdu ton téléphone quelque part ?

Je la fixai. Je n'aurais su dire si mon air était idiot, fatigué ou énervé. Sans doute un peu des trois. Car la mention de mon téléphone venait de me rappeler pourquoi j'étais dans un état pitoyable, pourquoi il y avait du shit et même un peu de coke sur la table du salon et pourquoi plusieurs "cadavres" jonchaient le sol. Sans oublier la fille blonde dans mon lit.

Comme je n'avais pas bougé de la porte, Jenna me poussa doucement pour entrer dans l'appartement. Machinalement, je refermai derrière elle. Et je fourrageai à nouveau dans mes cheveux, me demandant bien par quel bout prendre cette journée de merde. Déjà, la bonne nouvelle, c'était qu'il était près de midi, donc il ne me resterait qu'une demi-journée à affronter et pas une entière. Mais, parfois, on préférerait avoir carrément quarante-huit heures à vivre non-stop plutôt que quelques heures difficiles. La durée n'était pas la question.

Le regard de Jenna fit le tour de la pièce. Puis elle se retourna vers moi et dit :

- T'es tout seul ?

- Nan...

- Ok. Bon. On va faire les choses dans l'ordre, dit-elle en se dirigeant droit vers ma chambre.

Je fis un vague geste de la main pour la retenir, mais j'abandonnai. Quand Jenna avait cet air décidé, fallait pas moufter. Je pris l'autre direction, celle de la cuisine, pour sortir d'un placard une boîte d'aspirine, en coller un cachet dans un verre et avaler le tout direct. J'entendis une vague conversation provenir de la chambre, puis une petite voix me dit :

- Au revoir, Snoog. Peut-être à une prochaine fois, c'était cool...

Je ne me tournai même pas vers elle, et ressentis un soulagement infini quand la porte de l'appartement se referma. Ouais, merci Jenna. Puis un courant d'air frais balaya mes jambes : elle avait certainement ouvert la fenêtre de ma chambre. J'eus un rictus en souhaitant qu'elle n'aille pas jusqu'à faire mon lit...

- Bon, reprit-elle de sa voix toujours décidée, en revenant dans la pièce. Tu préfères commencer par quoi ? La douche ou le brunch ?

- Faut qu'je mange ?

- Il y a plutôt intérêt quand je vois ce que tu as avalé. Même si tu n'étais pas tout seul pour en mettre dans ta musette. Tu as une heure devant toi, pas plus.

- Ok, fis-je. La douche d'abord. Et mes œufs, bien cuits, s'te plaît, ajoutai-je en la croisant et en lui offrant mon plus beau sourire de charme.

- C'est bien parce que c'est toi. Sinon, je t'aurais envoyé voir ailleurs si j'y étais.

Je ne répondis pas, mais me demandai un instant si j'aurais préféré qu'elle soit ailleurs ou pas. Je trouvai tout seul la réponse : à tout bien réfléchir, je préférais qu'elle soit passée. Car je ne savais toujours pas ce qu'il y avait d'important aujourd'hui. J'espérais que ça me ferait un peu oublier la raison pour laquelle j'étais dans cet état, raison qui revenait en force et me tapait sur le crâne plus que l'alcool que j'avais ingurgité.

Car j'avais un très net souvenir du message qui s'était affiché sur mon téléphone hier, dans l'après-midi, alors que je faisais un tour le long de la Clyde.

Salut Snoog.

J'espère que tu vas bien et que les derniers ajustements pour votre maison de production se font sans souci. Je voulais t'annoncer la nouvelle... J'attends un bébé.

Je te fais la bise. Loren

**

La douche me remit à peu près d'aplomb. Mais mon estomac criait famine. Et d'autant plus que de bonnes odeurs arrivaient à mes narines alors que j'enfilais mes vêtements. J'avais bien vu : Jenna était passée dans la chambre, avait tout aéré - ça devait sentir le fauve en rut -, mais elle avait eu la décence de ne pas toucher à mon lit. En revanche, j'étais quasi certain qu'elle avait ramassé quelques capotes et les avait jetées à la poubelle, car plus rien ne traînait au sol, pas même mes fringues de la veille. A moins que la petite blonde n'ait fait le ménage avant de partir, ce dont je doutais...

Je ne m'attardai pas à ces considérations ménagères qui étaient vraiment le cadet de mes soucis et filai dans la salle. Un petit déjeuner plantureux m'attendait. Grâce à Jenna, j'allais à peu près me remettre d'équerre. Lorsque j'y entrai, elle était au téléphone et je devinai tout de suite qu'elle parlait à Lynn.

- Oui, je m'en sors.

- ...

- Non, ça va aller. Il vient de sortir de la douche et il est à peu près en état. Un bon repas et ça devrait le faire.

- ...

- Oui, j'espère.

Et elle sourit en disant cela, puis reprit :

- Je vais le lui rappeler. On sera au studio d'ici trois quarts d'heure, je pense. Il faut lui laisser le temps d'avaler son brunch.

- ...

- Moi aussi. Bisous.

Et elle raccrocha tout en me regardant avec un rien d'espièglerie. Je me sentis vaguement inquiet : qu'est-ce qui allait me tomber sur le coin de la gueule et pourquoi on devait aller au studio tantôt alors que j'aurais préféré rester tranquillou chez moi à fumer en écoutant un truc bien planant ?

Je pris place à table alors que Jenna nous servait deux grandes tasses de thé.

- Tu permets que je mange un peu ? me dit-elle. L'après-midi sera long, sinon.

- Pas d'soucis, Jenna. T'as déjà fait comme chez toi depuis qu't'es arrivée, alors...

Elle me regarda avec sérieux.

- Je te signale que je n'ai pas fait "comme chez moi". Je n'aurais pas trouvé Lynn avec une blonde au lit, du bordel partout et mon mec même pas capable de se souvenir de ce qui l'attend aujourd'hui.

Un peu piteux, je piquai du nez dans mon assiette.

- Les œufs sont délicieux. T'as pas ton pareil pour les réussir, fis-je.

- C'est ça. Fais ton malin.

- Tu m'dis c'qui m'attend, parce que là... dis-je en faisant un moulinet du bras.

Elle soupira :

- Je crois qu'il vaut mieux que tu aies mangé un peu plus et bu au moins une tasse de thé. Si ça se trouve, la mémoire te reviendra.

J'obtempérai sans rien dire. La mémoire, mouais. Elle avait tendance à rester bloquée sur un point et ça m'emmerdait sérieux. Du coup, j'avalai mon repas sans broncher, espérant que les paroles de Jenna me feraient mettre de côté le message de Loren.

Jenna reposa sa tasse vide, croisa les bras sur la table et dit :

- Bon, ton estomac est bien calé, maintenant ? Je pense que tu as sérieusement abusé hier, Snoog.

- Ca t'regarde pas, fis-je avec aplomb.

- Non, tu as raison. Sauf quand il s'agit du groupe. Dans moins d'une heure, vous avez rendez-vous avec la presse au studio pour officialiser la naissance du label. Et ce soir, vous donnez un concert au parc de Kelvingrove. J'espère que tu seras en état d'assurer.

Oh putain ! J'eus l'impression qu'un violent éclat de lumière me traversait, plus violent que le mal de crâne que je m'étais tapé au réveil. Bingo, mais bien sûr ! Putain, j'étais vraiment parti loin avec les joints, la snifette et la blonde pour oublier tout ça. Un truc aussi important.

J'affichai un grand sourire pour rassurer Jenna.

- T'inquiète, ça va le faire.

Je jetai cependant un regard vers la table basse. Hum, évidemment là aussi, Jenna avait fait le ménage et fait disparaître le reste de coke que j'avais laissé traîner. Bon, j'en prenais rarement, aussi parce que Jenna nous faisait la guerre à ce sujet et je ne parle même pas d'Ally, qui était pire. Parfois, j'en avais besoin pour me donner un coup de fouet. En général, l'adrénaline du concert suffisait, mais pas toujours. Et aujourd'hui...

- Même pas dans tes rêves, me lança-t-elle. Même pas, répéta-t-elle en se penchant vers moi et en me fixant droit dans les yeux.

- Bien, maman, ricanai-je en finissant mon thé. Bon, on y va ? Paraît qu'on est attendu...

- Va te laver les dents, au moins, répliqua-t-elle. Tu as une haleine de chacal. Tu vas faire s'évanouir a minima les trois premiers rangs dès que tu commenceras à chanter. Je m'occupe du rangement... puisque tu as l'air de trouver que je fais ça très bien.

Ok, elle voulait avoir le dernier mot. J'obéis, la queue entre les jambes. Je serais en état d'affronter les journaleux tout à l'heure et de faire plaisir au public ce soir. Mais me battre contre Jenna...

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