Chapitre 9 : Loren

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Assise près de la fenêtre, je regardais défiler le paysage. De douces collines verdoyantes s'étalaient à perte de vue, entrecoupées de quelques villages. Les arrêts étaient nombreux et je pouvais profiter du voyage. Je n'aurais jamais cru, un jour, me retrouver dans le train entre Edimbourg et Glasgow et si on m'avait dit, deux jours auparavant que je n'étais encore qu'au début d'un long parcours, j'aurais bien ri au nez de mon interlocuteur.

Le train ralentit, nous entrions dans la gare de Lenzie. Dans une vingtaine de minutes, nous serions à Glasgow. J'avais encore du mal à y croire... Je m'étais quand même posé beaucoup de questions après l'appel et la proposition de Snoog. Après tout, nous n'avions passé que quelques heures ensemble, plus d'un an plus tôt. Et pas n'importe quelles heures non plus. Même si je me sentais en confiance, il y avait de quoi s'interroger. Je ne me faisais cependant aucune illusion : il avait envie de se balader et n'avait pas envie de le faire seul. J'espérais que ma compagnie lui conviendrait et que la sienne me serait agréable, tout en me permettant de découvrir une région que je ne connaissais pas du tout.

A mon arrivée, en milieu de matinée, il m'attendait comme prévu. Impossible de manquer sa chevelure flamboyante au bout du quai. Nous nous retrouvâmes comme de bons amis, comme si nous nous étions vus peu auparavant, avec une simplicité et un naturel qui me mirent tout de suite à l'aise.

Nous partîmes directement pour Fort William où Snoog avait prévu une première étape pour le soir-même. Après plus d'une bonne heure de trajet au cours de laquelle il me fit part plus en détails du programme qu'il avait envisagé, il s'arrêta à un endroit totalement unique. La sauvage vallée de Glencoe étalait ses beautés devant mes yeux. Nous avions laissé la voiture à quelques pas de là et un profond recueillement nous saisit devant le mémorial. Alors que j'admirais les montagnes alentours, aux sommets enneigés, la voix de Snoog retentit à mes oreilles. Il s'était mis à chanter Morte Ghlinne Comhann. J'avais déjà eu du mal à me retenir de pleurer en déchiffrant la plaque du monument qui avait fait revenir à mon esprit les paroles de la chanson, je le fis finalement parce que cet idiot s'était mis à les fredonner.

S'il avait tenu à s'arrêter ici, ce n'était pas sans motif. Nul ne pouvait ignorer, en passant, qu'une tragédie s'y était écrite, comme si les lieux eux-mêmes ne pouvaient que la voir s'y inscrire. Oui, il y avait comme une sombre et terrible harmonie entre les montagnes et les âmes des morts. Et oui, Snoog avait eu raison d'écrire que des fantômes hantaient encore la vallée. Je frissonnai alors qu'il achevait la chanson et sentis ses bras m'entourer. Ni lui, ni moi, n'avions besoin de parler pour ressentir quelque chose de très profond, à cet instant.

Et ce n'était pourtant que l'un des premiers moments très forts que nous allions partager au cours de cette escapade.

A Fort William, nous trouvâmes aisément le B&B qu'il avait réservé pour un soir et après avoir déposé nos affaires dans la chambre, nous partîmes arpenter la ville en quête d'un pub. Nous passâmes devant plusieurs restaurants qui, contrairement à mes craintes, n'étaient pas tous fermés, loin de là. Fort William attirait les touristes et les amoureux de la nature en toutes saisons, y compris en hiver du fait de la proximité du Ben Nevis et des pistes de ski. Il y avait d'ailleurs dans la ville une ambiance assez joyeuse et festive, malgré le vent froid et coupant qui s'engouffrait dans les rues.

- Ca te dit, là ? fit Snoog alors que mon regard se perdait parmi les amas de casiers de pêche, posés sur le quai de l'autre côté de la rue.

- Hum ? fis-je en tournant la tête vers la petite devanture simple, toute en brique.

Le nom du restaurant s'affichait en lettres ouvragées au-dessus des fenêtres typiques de la région, avec des carreaux pas très grands, entourés de bois. Entre terre et mer. C'était un beau programme et je me dis que cela ressemblait bien au début de notre parcours.

- Oui, d'accord, fis-je.

Et il poussa la porte, un léger tintement se fit entendre et une serveuse s'avança vers nous.

- Bonsoir, Madame, Monsieur, fit-elle, très professionnelle, avec un joli sourire.

- Bonsoir, Miss, répondit Snoog avec un léger sourire en retour.

Un peu plus et j'aurais souligné l'exception, ce n'était pas son sourire de charme. Mais je n'y étais pas encore assez habituée pour faire la différence.

- Vous aviez réservé ?

- Pas du tout, répondit-il.

- D'accord, pas de soucis, fit-elle. Vous avez de la chance, nous sommes en semaine et il nous reste des tables. Est-ce que celle-ci vous conviendrait ?

- Très bien, répondit Snoog après m'avoir jeté un rapide regard et avoir saisi mon assentiment.

Il aurait fallu être très difficile pour demander une autre ! Nous étions dans un recoin, près de la cheminée où un bon feu était allumé. Deux autres tables, près des fenêtres, étaient occupées, mais elles comptaient plus de convives. Néanmoins, l'ambiance était feutrée, notamment grâce aux lampes qui distillaient une lumière assez douce et aux photos qui décoraient sobrement les murs. L'une d'elle m'émut particulièrement : c'était un délicat bouton de rose, encore fermé, souligné par la lueur d'un soleil couchant. Elle s'harmonisait très bien avec l'ambiance.

La serveuse nous apporta bien vite le menu et nous précisa :

- Vous avez le choix entre les plats à la carte que voici, fit-elle en me présentant une des pages, ou les menus découverte. Soit viande, soit poisson, avec plat, entrée et dessert au choix.

- Et qu'y a-t-il dans les menus découverte ? fit Snoog, curieux.

- Comme son nom l'indique, c'est la découverte, mais aussi la surprise. Néanmoins, si vous êtes sujets à des allergies alimentaires, il vous suffit de me le signaler et je vous déconseille alors tel ou tel plat, si nécessaire.

- Non, pas de souci, fit Snoog.

- Pour moi non plus, dis-je. Je suis partante pour le menu découverte en poisson, ajoutai-je en refermant la carte.

- Je ne peux que te suivre, fit Snoog. Mais pour la viande. J'ai faim.

Il avait répondu cela avec naturel, mais son regard glissa sur moi et alluma instantanément une douce chaleur dans mon corps. S'il se faisait aussi séducteur, je ne lui résisterais pas longtemps.

- Bière ou vin pour accompagner ? proposa la serveuse.

- Hou la ! fit Snoog. Le vin, je n'y connais pas grand chose. Tu veux quoi, Loren ?

- Ma foi, je prendrais bien un peu de vin, répondis-je.

- Je peux vous proposer au verre, car de toute façon, trouver un vin qui conviendrait à vos deux menus sera difficile.

- Alors, faisons ainsi. Je vous fais confiance pour le choix du vin, répondis-je. Moi non plus, je n'y connais pas grand-chose, mais j'apprécie.

- D'accord. Et pour vous, Monsieur ?

- Une bière.

- Je peux vous proposer une artisanale, fabriquée tout près d'ici, à Inverlochy. Elle est assez légère et goûteuse, elle conviendra bien avec votre menu.

- Alors, c'est parfait. Une pinte, merci.

Et elle repartit en emportant les menus que nous avions à peine regardés, puis revint bien vite avec des amuse-gueules absolument délicieux et fondants, qui me mirent tout de suite en appétit. Si elle avait servi la bière de Snoog, elle me proposa d'attendre un peu pour mon vin, qu'il reste bien frais et j'entamai alors le repas avec un verre d'eau. Mais je goûtai aussi à la bière.

- Elle est bonne, hein ?

- Oui, très. Un peu plus et je vais regretter d'avoir choisi du vin.

- Tu pourras toujours prendre une pinte, après.

- Tu veux me rendre pompette pour notre première soirée ?

- Ce sont les vacances, on peut fêter, ça, non ? Et puis, si je veux abuser de toi, il faut que je te fasse boire... glissa-t-il d'une voix plus chaude en se penchant légèrement vers moi.

- Tu n'auras pas besoin de ça ! lui rétorquai-je.

- Ah ouais ?

Et un vif éclat s'alluma dans son regard bleuté. Il avait vraiment des yeux magnifiques. J'avais pu le constater après le concert de mes vingt-cinq ans, mais là, cela me semblait encore plus flagrant. Peut-être que les lumières un peu tamisées y étaient aussi pour quelque chose...

**

Le repas se révéla délicieux. Je n'avais pas souvenir d'avoir mangé quoi que ce soit d'aussi bon et d'aussi fin, et Snoog appréciait grandement lui aussi. Nous prenions notre temps pour savourer les plats, tout en discutant. Il s'intéressa d'emblée au dernier projet que j'avais mené, me demandant beaucoup de précisions sur plusieurs choix que j'avais émis, comment j'avais négocié ou amené certaines propositions. Il me parla aussi longuement de ce que le groupe avait vécu ces derniers mois, avec le déménagement à Glasgow. Il me décrivit le studio, puis me parla de l'album, des différentes chansons. J'aurais pu l'écouter durant des heures.

A la fin du repas, repue, je me dis que la promenade pour rentrer au B&B allait nous faire du bien. Mais Snoog avait une autre idée en tête : il avait remarqué une belle collection de bouteilles de whisky, au-dessus du petit bar. Et il avait l'air très tenté par une dégustation. Pour ma part, je buvais peu d'alcools forts, mais j'accepterais volontiers un verre. Un petit : je ne voulais pas perdre complètement la tête. Et j'avais bien l'intention d'être en état d'apprécier ce qu'il aurait à m'offrir pour le début de nuit.

Il ne restait plus qu'une seule table, de trois personnes, et nous-mêmes. Les autres convives étaient repartis depuis peu. La serveuse vint vers nous, nous demandant si nous souhaiterions prendre autre chose. Snoog lui répondit :

- Je goûterais volontiers un ou deux de vos whiskys, fit-il. J'ai l'impression que vous avez une belle collection.
- Oui, c'est vrai. Notre chef cuisinier est un grand amateur de whisky. Voulez-vous venir voir les bouteilles ? Ce sera plus aisé pour faire votre choix.
- Ok, allons-y.

Nous nous levâmes et suivîmes la serveuse avant de nous poster près du petit bar. Le nombre de bouteilles était effectivement impressionnant, couvrant largement le pan de mur.

- Comment sont-ils rangés ? demandai-je en me disant que cela m'aiderait personnellement à faire mon choix.
- Par types de whisky, répondit la serveuse. En haut, les plus tourbés et plus vous descendez, plus vous avez des whiskys légers. Ensuite, à votre gauche, les plus jeunes, et en allant vers la droite, les plus âgés.
- Vraiment impressionnant, fit Snoog en émettant un léger sifflement, avant de s'accouder négligemment au bar. Ca va être très difficile de choisir. Qu'est-ce que vous me conseillez après le repas ?
- Vous voulez que j'aille chercher le chef ? A cette heure, il est aisément disponible. Et puis, il aime discuter avec les clients.
- C'est d'accord.

Elle passa alors la porte voisine, des bruits de couverts et une voix gouailleuse nous parvinrent durant quelques instants, le temps que le battant se referme. Puis elle apparut, suivie d'un homme grand, longiligne, à la barbe fine et aux yeux rieurs.

- Bonsoir, Monsieur, Madame, fit-il en s'inclinant légèrement. Mon chef cuistot est encore occupé, alors en tant que second, je vais essayer de faire l'affaire. Même si le grand spécialiste du whisky, ici, c'est lui. Le temps qu'on discute un peu, il viendra confirmer. Alors, vous aviez pris le menu découverte, un poisson, un viande. C'était bon ?

Je souris, amusée. Il avait un vrai débit de mitraillette et face à Snoog, je me dis que la discussion allait promettre.

- Délicieux, fis-je. Je crois n'avoir jamais aussi bien mangé ! Le hasard avait bien conduit nos pas...
- Ah, mais, Madame, vous aviez pris le menu poisson... Vous auriez dû choisir la viande, fit-il en se penchant vers moi, comme s'il avait voulu me souffler un secret. Je dis ça... Le chef viandard, c'est moi. Monsieur a visé plus juste !
- C'était effectivement très réussi, fit Snoog. Un régal. Et cela mérite une bonne petite dégustation pour finir...
- Vous avez raison... Alors, hum... Il fait froid, hein, Shirley ?
- Oui, Sam, vraiment pas chaud dehors. Surtout à cette heure.
- Le vent descend du Glenn, plein nord. Pff... On va encore avoir de la neige. Au fait, vous conduisez ou... ?
- Nous sommes à pied, répondit Snoog. Aucun souci.
- Ok, c'est mieux. Donc, il fait bien froid et venté dehors... Menu viande...

Il jeta un nouveau coup d'oeil vers nous. Puis s'arrêta un instant. Il avait l'air de réfléchir à toute vitesse.

- Dites, j'ai l'impression de vous avoir déjà vu quelque part... Pas vous, Madame, je vous aurais reconnue d'emblée. Une jolie femme, ça ne s'oublie pas, mais vous, Monsieur...

Il s'arrêta, porta la main à son menton, lissant sa barbe, puis il claqua des doigts et fit :

- Non, pas possible ?

Snoog souriait, mais ne disait rien. Il laissait le cuisinier parler.

- Vous seriez pas dans le genre chanteur ? De hard-rock ?
- Exact, répondit Snoog. Les Dark Angels.
- Oh putain ! Faut que j'aille chercher Micky ! Attendez. Bougez pas.
- Nous n'en avons pas l'intention, glissai-je à l'oreille de Snoog. Je sens qu'on va bien s'amuser...

Il se tourna légèrement vers moi et sourit :

- Je crois que oui.

Le cuisinier - Sam, donc - revint peu après, suivi de son chef. Plus petit, mais plus large d'épaules aussi, fort bel homme, ma foi, il avait le visage avenant et des yeux magnifiques. Il nous salua plus posément que son second qui me faisait l'effet d'être une vraie pile électrique : rencontrer un chanteur de hard-rock avait l'air de le mettre dans tous ses états.

- Mickaël Graham, dit-il en nous tendant la main. Enchanté de faire votre connaissance.
- Snoog, chanteur des Dark Angels, et Loren, fit-il. De même.

Il nous serra la main, puis son regard fit rapidement le tour de la pièce. Les derniers clients s'apprêtaient à quitter leur table.

- Shirley ?
- Oui, chef ?
- La petite table ronde, là-bas.
- Bien.

Elle se dirigea vers une table voisine de celle où nous avions dîné, mais plus vers l'arrière de la salle. Elle retira les couverts et apporta des verres. Mickaël nous invita à nous y asseoir, avant de s'approcher de la dernière tablée et d'échanger quelques mots avec les clients. Ceux-ci ne tardèrent pas à régler leur repas et à partir. Nous étions désormais seuls avec les propriétaires du lieu.

- Bien, fit Mickaël. On va commencer léger. Loren, vous permettez que vous appelle par votre prénom ?
- Oui, bien sûr, souris-je.
- Vous aimez le whisky ?
- Oui, mais j'en bois très rarement. Je préfère les légers, mais je suis toujours partante pour des découvertes.
- Parfait.

Il se tenait devant l'étagère, sa main passa rapidement sur les bouteilles, comme si, en les effleurant, il avait pu en sentir les arômes. Snoog, assis à mes côtés, enlaça ses doigts aux miens. Il ne perdait rien du spectacle. Les bras croisés, Sam attendait, presque religieusement, près de son chef. Ce dernier sortit deux bouteilles, les tendit à Sam qui s'empressa de les apporter à notre table et de s'y asseoir. Mais il ne les ouvrit pas. Je compris qu'il attendait Mickaël, qui nous rejoignit peu après avec deux autres bouteilles qu'il avait prises, cette fois, sur l'avant-dernière étagère.

- Alors, voilà. Pour débuter, un classique. Un Dalwhinnie, quinze ans d'âge. Assez léger, mais fruité.

Il nous servit à chacun un petit verre, puis il porta le sien vers son visage, fit tourner le liquide, le présentant à la lumière, avant de le sentir. C'était déjà tout un cérémonial. A mon tour, je respirai les parfums émanant de mon verre. Même si je n'y connaissais pas grand-chose, compte tenu de ce que nous avions mangé auparavant et de la variété des crus proposés, je ne doutais nullement de la qualité de celui qui m'avait été servi. J'en bus une première gorgée et j'appréciai effectivement.

- Hum, très bon. Vraiment très bien. Il prolonge l'effet du dessert.

Mickaël eut un petit sourire. Puis les trois hommes burent leur verre. Pour ma part, je pris mon temps. Je refusai d'ailleurs le deuxième whisky léger, de même que Snoog. Il préférait partir sur les tourbés. A chaque bouteille, Mickaël racontait une histoire concernant ce whisky. Il évoquait la distillerie où il l'avait acheté, quel âge il avait, ses particularités. C'était un vrai voyage et pour moi qui ne connaissais de l'Ecosse qu'Edimbourg, c'était déjà une bonne entrée en matière.

- Alors, comme ça, vous venez vous balader en Ecosse ?
- Nous sommes même installés en Ecosse, dit Snoog. On a quitté Manchester il y a six mois. Pour Glasgow. C'est là qu'on a enregistré le dernier disque.
- Il est réussi, dit Sam. J'l'ai écouté. Ouais, beau disque, belles chansons. Et bel hommage à Mademoiselle, ajouta-t-il en me souriant.

Je me dis qu'il avait bien cela en commun avec Snoog : une façon des plus entreprenantes de parler aux femmes. Mais j'avais vu l'alliance à son doigt et je me doutais qu'il faisait cela plus parce que c'était dans sa nature que pour réellement tenter l'aventure. C'était un jeu.

- Yep, fit Snoog. C'est vrai qu'on est content de ce disque. On va partir en tournée, maintenant.
- Vous jouerez en Ecosse ? demanda aussitôt Sam.
- Oui, mais pas tout d'suite. On part en Europe d'abord, puis l'Amérique. On devrait revenir par ici à la fin de l'année, même si les dates ne sont pas encore toutes fixées.
- Faudra fermer la boutique ce jour-là, Micky. Vous jouerez à Glasgow ?
- Yep. Edimbourg aussi. Peut-être Inverness, je n'ai pas encore confirmation.
- On emmènera nos princesses. Elles avaient bien aimé votre concert au parc de Kelvingrove, il y a quelques années, hein, Micky ?
- Oui. On dira à Will et Shana de nous rejoindre. Ca nous donnera l'occasion d'entendre Morte Ghlinne Comhann en concert. Pourquoi ne pas l'avoir enregistrée ? Ici, tout le monde connaît cette chanson, même les gens qui ne sont pas amateurs de hard-rock.
- Ca me touche, ça. C'est un bel hommage.
- L'hommage, c'est vous qui l'avez rendu, souligna Mickaël.

Snoog hocha simplement la tête, en signe de remerciement, puis il reprit en fronçant légèrement des sourcils :

- En fait, on a eu des soucis avec la maison d'disques.

Je découvrais là la raison exacte pour laquelle cette chanson ne serait jamais gravée sur un album et pour laquelle cette histoire lui resterait toujours en travers de la gorge. Mais ce qu'en disait Mickaël lui donnait déjà une allure de légende. Il poursuivit :

- Elle aurait dû figurer sur le deuxième album, mais comme il sortait peu avant le référendum, ils ont pas voulu. On s'est battu pour, au final... Au final, dit-il en s'accoudant sur la table et en se penchant un peu en avant, on la joue à chaque concert, mais elle sera sur aucun album. En tout cas, aucun produit avec cette maison d'disques. Même le live... On n'a pas encore pris notre décision, on verra à l'issue de la tournée.
- Ah les salauds, fit Sam. Ces cochons d'Anglais voudront toujours nous museler. J'ai la rage qu'on ait raté le référendum, quand même.
- La prochaine fois sera la bonne, Sam, fit Mickaël.
- Chuis Anglais, dit Snoog. Mais j'reconnais que j'me sens bien en Ecosse. Je r'grette pas qu'on ait trouvé à s'installer à Glasgow. La ville est chouette, j'aime beaucoup son ambiance.
- On y a grandi, dit Mickaël. Cela ne fait que quelques années que nous sommes à Fort William. J'avais mes racines ici, Sam des attaches...
- Dis, Micky, ça mérite bien un dernier verre, tout ça, non ?

Mickaël sourit d'un air complice et se leva pour prendre une bouteille, tout en haut de la dernière étagère.

- Celui-là, il est très spécial, nous dit-il. Il vient d'une distillerie artisanale, dans la vallée de la Spey. A une bonne heure de route d'ici. Fabriquée par un ami de mes grands-parents. Il est en retraite, aujourd'hui, mais sa petite-fille a pris le relais avec brio.
- Je dirais même avec panache, ajouta Sam.

J'avais bien compris que ce dernier aimait pousser un peu l'exagération. J'acceptai le petit verre proposé, ce whisky me paraissant être un vrai nectar, après ce qu'en avait dit Mickaël. Sam but une première petite lampée de son verre avant de dire :

- Y'a pas à dire, Micky, mais il est toujours meilleur quand on est en bonne compagnie, celui-là, hein.
- Ah ça... sourit Mickaël.
- Nos princesses, quand on va leur dire qu'on vous a reçus ce soir, elles vont pas vouloir nous croire. Elles vont être dingues. Ca vous embête si on fait une photo ?
- Pas du tout, dit Snoog. J'ai l'habitude. Les groupies...
- Je vais la prendre, si vous voulez, proposai-je alors que Sam sortait déjà son téléphone.

Et je pris en photo les trois hommes en train de poser devant l'étagère des whiskys. Puis nous regagnâmes notre table pour terminer la dégustation. Sam était visiblement enchanté.

- Dites, j'aurais su que vous veniez ce soir, j'vous aurais amené mes disques, pour une dédicace.
- Ca peut s'arranger, dit Snoog. J'ai déjà dédicacé des t-shirts, des poches de jeans, des billets de concert, d'avion, une boîte d'aspirine, des paires de baskets...

Il s'arrêta dans son énumération, fit mine de réfléchir. Son regard pétillait et je me doutai alors qu'il envisageait quelque chose.

- J'pourrais signer sur vot'tablier...
- Wah ! fit Sam. Tin, ça l'ferait d'enfer ! Attendez, j'vais en chercher un propre, ce sera plus classe, quand même...
- Puis on l'encadrera... se moqua Mickaël.
- Sérieux, Micky ! Ca en jetterait !
- Avant de l'encadrer, attendez que j'revienne avec mes potes. Ils signeront tous comme ça.
- Chiche ! fit Sam en tendant la main vers Snoog qui la frappa en retour. Ah ouais, ça l'ferait carrément ! Bon, vous prévenez quand même avant, hein. Comme ça, j'amènerai mes disques...

Et on le vit repartir en cuisine, puis en revenir illico, avec un tablier propre qu'il étala sur la table après que nous avions poussé nos verres et que Mickaël avait rangé les bouteilles. Shirley qui s'était activée à débarrasser pendant notre dégustation lui tendit un marqueur indélébile. Et Snoog lui fit une belle dédicace : Pour Sam, le meilleur cuistot viandard d'Ecosse. Puis il ajouta la devise écossaise : Nemo me impune lacessit, ce qui laissa Sam bouche bée. Et pour s'en remettre, il termina son verre.

- Wah, merci ! Ah, ben avec ça... Je le mettrai pour le prochain référendum ! Ca nous portera chance...
- Après, si vous perdez, j'y s'rai pour rien, hein... fit Snoog.
- Jenn, elle va être dingue quand je vais lui montrer ça. Heureusement qu'il y aura la photo ! Sinon, ma Princesse, elle voudrait pas me croire...

Mickaël souriait. Il devait avoir l'habitude de l'emphase de son ami. On les devinait très complices tous les deux et j'imaginais que c'était absolument nécessaire pour travailler en cuisine surtout si, comme je le supposais, ils n'étaient que tous les deux.

- D'ailleurs, à propos de Princesses... ajouta-t-il d'un air ennuyé.
- Vas-y, Sam. Je vais boucler, lui dit Mickaël.
- Désolé, faut que je rentre, expliqua-t-il en s'adressant à nous. J'ai des jumelles et elles font tout pareil. Et là, elles ont une grippe carabinée...
- Outch, fis-je. On ne va pas vous retarder plus... Vous devez avoir encore à faire en cuisine, j'imagine.
- C'est vrai. Mais enfin, ce n'est pas tous les jours qu'on fait un petit extra comme ça. En tout cas, merci encore ! Et puis, vous r'venez quand vous voulez, hein ? ajouta-t-il avant de filer vers la cuisine.
- Volontiers ! répondit Snoog en lui serrant la main.

Puis ce dernier termina son verre, nous nous levâmes et remerciâmes chaleureusement Mickaël pour la dégustation.

- De rien, dit-il. Ca fait plaisir de faire découvrir mon pays d'une façon différente. Et je suis content que vous ayez aimé le repas.
- Promis, je r'viendrai, dit Snoog. Lors d'une prochaine exploration... avec ou sans mes potes.
- Bon séjour vers le nord. Je pense que vous pourrez circuler assez aisément. Mais c'est possible qu'avant Inverness, vous ayez quelques difficultés. La route ouest sera ouverte, l'autre, par contre... Renseignez-vous bien avant. Mais cela devrait être indiqué, de toute façon.
- Encore merci, dis-je. Et bonne continuation à vous. Bonne soirée.

Et nous quittâmes le restaurant, remontant bien haut le col de nos manteaux. Shirley, la serveuse, n'avait pas eu tort de dire qu'il faisait vraiment froid. Les petits verres de whisky nous aidèrent bien à regagner le B&B.

Nous rentrâmes sans trop nous attarder, marchant dans les rues maintenant quasiment vides, même si nous croisâmes quelques clients sortant des pubs. Snoog avait passé son bras par-dessus mon épaule et me tenait assez près de lui.

- Chouette soirée, n'est-ce pas ?
- Oui, dis-je. Le repas était délicieux et nos hôtes vraiment intéressants. Je crois que j'ai plus appris sur les Highlands ce soir qu'en lisant un guide touristique !
- Tu as raison. On a bien mangé, mais la vache ! Les whiskys étaient au top. J't'avoue que j'en aurais bien goûté deux ou trois de plus...
- Mais il fallait être raisonnable... souris-je.
- Ouaip ! soupira-t-il en levant légèrement les sourcils. C'est un mot qu'j'aime pas trop...

Mon sourire s'élargit : cette réponse ne m'étonnait pas du tout.

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