ACTE I

3 minutes de lecture

Scène 1

Europe Occidentale, dans la salle patience d'un hosto commun

— Y en a ils n'ont jamais rien demandé de leur vie et ils ont tout.

— Quelle injustice, non ! Tout de même, c'est inadmissible.

— Vous venez souvent ici ?

— Je ne supporte pas les missiles, dès que j'entends le mot guerre, les larmes me coulent des yeux.

— Vivre les yeux fermés n'empèche pas les oreilles d'entendre.

— Pas simple de vivre en autarcie complète, narines, oreilles et anus bien serrés.

— Merci pour ce moment, je crois que c'est à moi, à présent.

Scène 2

Europe Occidentale, dans le bureau d'un psy commun du sévice public

DOCTHEUR — Bonjour bonjour, qu'est-ce qui vous amène donc ici ?

PASSiANT — Moi même seigneur, et mon désoeuvrement.

DOCTHEUR — Ah.

PASSiANT — Oui.

DOCTHEUR — Ah.

PASSiANT — Oui.

DOCTHEUR — Bon.

PASSiANT — Ah ?

DOCTHEUR — Oui ?

PASSiANT — Oui.

DOCTHEUR — Ah.

PASSiANT — Bon.

DOCTHEUR — Mais encore.

PASSiANT — Quoi ?

DOCTHEUR — Souffrez-vous ?

PASSiANT — Pourquoi faire ?

DOCTHEUR — L'ennui.

PASSiANT — Oui ?

DOCTHEUR — C'est pesant, non ?

PASSiANT — Non, ça va.

DOCTHEUR — Ah.

PASSiANT — Encore ?

DOCTHEUR — Oui ?

Scène 3

Europe Occidentale, dans le bureau d'un psy commun du sévice public

PASSiANT — Voilà, je voulais vous dire que je ne sais pas quoi faire.

DOCTHEUR — Hum.

PASSiANT — Oui.

DOCTHEUR — Vous ne savez pas quoi faire ?

PASSiANT — Oui.

DOCTHEUR — Ah.

PASSiANT — Je ne sais pas quoi faire dans la vie.

DOCTHEUR — Vous avez envie de faire quelque chose ?

PASSiANT — Je ne sais pas.

DOCTHEUR — Vous ne savez pas si vous avez envie de faire quelque chose, ou vous ne savez pas ce que vous auriez envie de faire.

PASSiANT — Je ne sais pas quoi faire, je viens de vous le dire.

DOCTHEUR — Vous ne savez pas quoi faire.

PASSiANT — Voilà.

DOCTHEUR — Et vous vous sentez comment ?

PASSiANT — Je ne sais pas quoi faire dans la vie.

DOCTHEUR — Oui, et vous avez envie de faire quelque chose ?

PASSiANT — Ma vie me semble sans sens.

DOCTHEUR — Vous avez envie de faire quelque chose ?

PASSiANT — Non, tout va bien, je me sens bien.

DOCTHEUR — Ah.

PASSiANT — C'est seulement que je suis là et que je me demande ce que je pourrais faire.

DOCTHEUR — Bien sûr, vous faisiez quoi, sinon avant ?

PASSiANT — Avant de ne rien faire ?

DOCTHEUR — Oui.

PASSiANT — Le passé c'est le passé. Maintenant je suis là, dans une vie dépourvue de sens.

DOCTHEUR — Hum.

PASSiANT — Ma vie est vide.

DOCTHEUR — Ah.

PASSiANT — Vide de sens. Je n'ai envie de rien.

DOCTHEUR — Vous êtes sûr ?

PASSiANT — Oui.

Scène 4

Europe Occidentale, dans le bureau d'un psy commun du sévice public

DOCTHEUR — Je peux difficilement vous aider.

PASSiANT — Je m'en doutais, vous n'êtes pas formé pour trouver du sens lorsqu'il n'y en a plus.

DOCTHEUR — Euh.

PASSiANT — C'est pas grave, vous savez, je me sens bien, je venais simplement pour parler, partager cette question qui parfois taraude mon esprit.

DOCTHEUR — Hum, oui.

PASSiANT — Je ne prends aucun médicament et je vais très bien. Seulement cette idée.

DOCTHEUR — Oui, laquelle ?

PASSiANT — Eh bien, celle du sens de la vie, et surtout, que dois-je faire !

DOCTHEUR — Ah oui.

PASSiANT — Vous êtes sûr de me comprendre ?

DOCTHEUR — Oui, bien entendu.

PASSiANT — C'est pas sûr... j'ai l'impression...

DOCTHEUR — Vous avez des peurs, des inquiétudes qui vous perturbent ?

PASSiANT — Non, aucunement.

DOCTHEUR — Bien.

PASSiANT — Oui ?

DOCTHEUR — Je vous propose un rendez-vous ?

PASSiANT — Pourquoi faire ?

Scène 5

Europe Occidentale, dans le bureau d'un psy commun du sévice public

DOCTHEUR — Il y a parfois des moments dans l'existence où nous sommes confrontés à l'incertitude, où les illusions se révèlent et où l'innanité de la vie se découvre. Il est clair qu'il s'agit de moments inconfortables mais dans votre rôle de patient vous saurez patientez, si je puis me permettre ce petit clin d'oeil.

PASSiANT — Permettez-vous, permettez-vous, permettez-vous bien et on verra qui se permettra le dernier.

DOCTHEUR — Euh.

PASSiANT — Je viens pour vous dire que je ne sais pas quoi faire, que je suis face à la vie, sans but, sans envie véritable, que je me sens bien, que tout va bien pour moi, que je suis venu pour partager des mots avec vous — parler, oui, c'est cela, parler — et vous n'avez qu'un rationnalisme de bon aloi, une pensée édictée, pré-déblatérée par le système consumériste dépoétisé alors QUE MOI JE CHERCHE RÉSOLUMENT UN SENS DANS MA VIE QUELQUE CHOSE à FAIRE, JE VOUDRAIS FAIRE QUELQUE CHOSE, VOUS COMPRENEZ, QUELQUE CHOSE, FAIRE QUELQUE CHOSE (Il hurle de plus en plus fort) JE VEUX DONNER DU SENS à MA VIE, JE SUIS HEUREUX DE NE RIEN FAIRE, VOUS NE COMPRENEZ RIEN, JE VEUX ABSOLUMENT FAIRE QUELQUE CHOSE, MON ENNUI DEVIENT TROP HANDICAPANT, IL ME DÉVORE RÉSOLUMENT, JE SUIS HEUREUX DE VIVRE (Il s'approche plus près du psy et l'étrangle.)

DOCTHEUR — Arrrh... Arrrrh...

(PASSiANT serre ses doigts autour du cou, la pression est si puissante que DOCTHEUR vascille, suffoque, blémit, sonne l'heure et les feuilles monotones des violons de l'automne accompagnent sa chute.)

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