ACTE II

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Scène 1

Europe Occidentale, dans la cellule d'une prison bon marché. La cellule est insonorisée.

PASSiANT (dans une camisole de force qui ramène les bras vers l'arrière en passant par devant, comme s'il s'embrassait lui-même) — Bonjour bonjour, qu'est-ce qui vous amène donc ici ?

DOCPSY·1 — Moi même seigneur, et mon désoeuvrement.

DOCPSY·2 — Y en a il n'ont jamais rien demander de leur vie et ils ont tout.

PASSiANT — Quelle injustice, non ! Tout de même, c'est inadmissible.

DOCPSY·1 — Vous venez souvent ici ?

PASSiANT — Je ne supporte pas les missiles, dès que j'entends le mot guerre, les larmes me coulent des yeux.

DOCPSY·2 — Vivre les yeux fermés n'empèche pas les oreilles d'entendre.

DOCPSY·1 — Pas simple de vivre en autarcie complète, narines, oreilles et anus bien serrés.

PASSiANT — Merci pour ce moment, je crois que c'est à moi, à présent.

Scène 2

Europe Occidentale, dans la cellule d'une prison bon marché. La cellule est insonorisée.

DOCPSY·1 — Que vous est-il donc arrivé ? Tuer un médecin sans prétention.

DOCPSY·2 — Oui, que vous est-il donc passé par la tête ?

PASSiANT (toujours dans sa camisole) — Je ne sais pas quoi faire, et je n'avais aucune prétention.

DOCPSY·1 — Je parlais du toubib.

DOCPSY·2 — Mais pourquoi l'avoir zigouillé ?

PASSiANT — Je ne sais pas. Il m'a énervé.

DOCPSY·2 — Donc vous étranglez l'interlocuteur qui vous énerve, comme ça, sans avertissement ?

DOCPSY·1 — Était-ce le fait qu'il soit sans prétention justement ?

PASSiANT — Non, aucun rapport. Je ne sais pas quoi faire dans la vie.

DOCPSY·1 — Oui, nous avons compris, mais d'ici à supprimer la vie d'autrui ...

PASSiANT — Ma vie me semble sans sens.

DOCPSY·2 — Vous ne semblez pas avoir préméditer votre crime mais ...

PASSiANT — Je n'avais pas l'intention de l'éliminer mais il m'a poussé à bout.

DOCPSY·1 — Justement, c'est ce bout que nous voulons interroger.

DOCPSY·2 — Oui, c'est de ce bout que nous voulons parler.

PASSiANT — Du bout qui boue ?

DOCPSY·1 — Euh, oui, si l'on peut dire.

DOCPSY·2 — Oui, de votre limite. Vous avez franchi votre limite.

PASSiANT — Ah bon ?

DOCPSY·1 — Et bien oui, vous en êtes conscient ?

PASSiANT — Conscient d'avoir tué un homme, oui.

DOCPSY·2 — Bien, donc vous savez que ça ne se fait pas ?

PASSiANT — Oui.

Scène 3

Europe Occidentale, dans la cellule d'une prison bon marché. La cellule est insonorisée.

DOCPSY·1 — Vous n'avez donc pas réfléchi ?

PASSiANT — C'est ça, oui.

DOCPSY·2 — Vous comprenez pourquoi on vous a ficelé dans cette camisole ?

PASSiANT — Bien sûr.

DOCPSY·1 — Comment se fait-il que vous soyez si docile ?

PASSiANT — Ai-je le choix ?

DOCPSY·2 — Là vous ne pouvez définitivement plus rien faire. Vous vous en rendez compte, n'est-ce pas ?

PASSiANT — Je ne suis pas fou.

DOCPSY·1 — Bien entendu.

DOCPSY·2 — Vous semblez très sensible, vous nous disiez que le mot guerre déclenchait chez vous des larmes.

PASSiANT — C'est possible, oui, tout dépend du contexte et du moment.

DOCPSY·1 — Décidément vous avez toute votre raison.

PASSiANT — Je n'ai jamais prétendu le contraire.

DOCPSY·2 — Vous aviez tout, pourquoi être passé à l'acte ?

PASSiANT — L'ennui d'être m'a poussé à faire, j'étais hors de moi.

DOCPSY·1 — Vous diriez que vous étiez hors de vous ?

DOCPSY·2 — Jusqu'à dire même que vous n'étiez pas vous même ?

PASSiANT — Il fallait que je fasse. Son incompréhension ou son insistance m'étaient devenues insupportables, mais je ne peux pas vous expliquer pourquoi.

DOCPSY·1 — C'est le comment qui nous importe.

DOCPSY·2 — Euh, oui, et le pourquoi aussi, quand même, non ?

DOCPSY·1 — Oui, bien entendu, aussi.

Scène 4

Europe Occidentale, dans la cellule d'une prison bon marché. La cellule est insonorisée.

PASSiANT — Pouvez-vous me dire pourquoi ma cellule est insonorisée, s'il vous plaît.

DOCPSY·1 — Cela pour éviter que vous dérangiez les autres locataires au cas où vous décideriez de hurler, de crier ou de frapper.

PASSiANT — Frapper ? Oh, vous y allez un peu fort doc ! Avec cette camisole vous me prenez pour Hannibal Lecter, ou quoi ?

DOCPSY·2 — N'y voyez pas de malice, nous percevons bien que vous ne voulez pas faire mal.

DOCPSY·1 — Mais on ne sait jamais quand même.

PASSiANT — Ah, vous me rassurez, je craignais que vous ne m'écoutiez pas.

DOCPSY·1 — Au contraire, nous sommes tout ouïe.

DOCPSY·2 — Oui, oui.

PASSiANT — Oui, vous savez, je me sens bien. Je suis bien heureux de parler, de partager ma parole avec vous.

DOCPSY·1 — Mais pourquoi aller jusqu'à tuer ?

DOCPSY·2 — Vous avait-il fait quelque chose auparavant ? S'agissait-il d'une vengeance ?

PASSiANT — Je suppose qu'il me oie comme j'oyais.

DOCPSY·1 — Nous oyons.

PASSiANT — Je vous en sais gré. Sachez que j'ouïs comme jamais à ce moment-là.

DOCPSY·2 — Oui, bien sûr, Thanatos est toujours proche d'Éros...

DOCPSY·1 — En attendant nous devons vous garder.

PASSiANT — Vous pouvez me libérer, je ne mords pas.

DOCPSY·1 — J'ois bien.

PASSiANT — Vous me ravissez.

DOCPSY·1 — J'en suis fort aise.

PASSiANT — Et la cigale de chanter tout l'été.

DOCPSY·2 — Poète alors ?

PASSiANT — Je cherche à me libérer.

DOCPSY·2 — La question ne se pose pas.

DOCPSY·1 — Vous avez quelque chose à faire, maintenant.

PASSiANT — Oui, merci.

DOCPSY·2 — Mais de là à tuer, quand même...

PASSiANT — Oyez oyez, ça peut arriver à n'importe qui.

Scène 5

Europe Occidentale, dans un bureau d'une prison bon marché.

DOCPSY·1 — C'est un cas de déviance.

DOCPSY·2 — On pourrait le penser, oui, un dédoublement de la personnalité.

DOCPSY·1 — A moins que l'on convienne qu'il était énervé et qu'il n'a pu se retenir...

DOCPSY·2 — Qu'il lui fallait coûte que coûte, passer à l'acte, faire quelque chose.

DOCPSY·1 — Résorber l'ennui, le non-sens de son existence...

DOCPSY·2 — Se rendre criminel...

DOCPSY·1 — Par le meurtre d'un homme...

DOCPSY·2 — Et néanmoins médecin.

DOCPSY·1 — Et psy de surcroît, s'il m'en souvient...

DOCPSY·2 — Il apparait très conscient et sans déni de son acte.

DOCPSY·1 — Drôle de cas, en effet. Sans préméditation, ça c'est certain.

DOCPSY·2 — Oui.

DOCPSY·1 — Nous... pourrions...

DOCPSY·2 — ... C'est à envisager... je te suis...

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