Chapitre 9

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Je lui propose de se reposer pendant que je conduis. Par miracle, il accepte, seulement si je remets sa musique affreuse. Maintenant que je ne l’ai plus sur le dos, je peux utiliser le GPS de mon smartphone. Malheur ! Je tapote mes poches avant, mes fesses se dandinent sur le siège et je ne le ressens pas. Je n’ai pas mon portable sur moi ! Que vais-je faire ? Je maintiens mon cap, affolé. Le chauffeur chantonne à l’arrière. Je n’ose pas lui demander de chercher mon sac, cela attirerait l’attention de tout le monde. Ce n’est pas le moment de provoquer une mutinerie. C’est alors que j’aperçois dans le lointain mon sauveur : le train !

Comme un ver de terre géant ou un serpent du désert, je vois une suite de wagons avancer en ligne droite. Une voie ferrée ! J’imagine qu'elle doit mener quelque part, mais où ? Soit on s’enfonce davantage dans le désert, soit on retrouve la civilisation. Faut-il la suivre vers la droite ou la gauche ? Au fur et à mesure de mon avancée, je chantonne un Am Stram Gram pour m'aider à choisir. Mon instinct demeure insensible au jeu. Je maudis tous ces imbéciles qui vantent le sens de l’orientation inné du sexe masculin.

Je réfléchis aux possibilités s’offrant à moi : puisque nous avons déjà croisé un train, celui-ci doit aller dans le sens inverse, raisonné-je. À moins que ce soit le même que nous avons déjà vu passer ? Mon Dieu ! Je me sens si seul ! Alors, je décide de poursuivre dans le même sens que la locomotive diesel. La longue couleuvre de fer a vite fait de disparaître de ma vue. Pour empirer les choses, le terrain est plus accidenté et encombré de végétation. Enfin, si on peut appeler comme ça ces rodadoras* prêtes à virevolter jusqu’à l’infini et au-delà. Je crois même apercevoir parmi elles le cadavre de Juliette.

Un ronflement du chauffeur, affalé sur le siège arrière, parvient à me ressaisir. Il est grand temps d’arrêter les bêtises. Je vais stopper et chercher mon GPS. Au mieux, personne ne me remarque, comme maintenant...

— Moi aussi je veux conduire un bus quand je serai grand ! s’exclame une petite voix nasillarde à mes côtés.

J’étais prêt à freiner, mais je suis paralysé par la surprise, mon pied toujours appuyé sur l’accélérateur. Les deux gosses sont là ! Manquait plus que ça !

Ils s’assoient sur le strapontin pour admirer les petites images des Saints posées sur le tableau de bord. J’aimerais leur demander ce qu’ils fichent là, mais ils risquent de me retourner la question. Au loin, la voix aiguë de Madame Mouais ne geint plus. D'un cri strident, elle appelle les garçons. Si au moins elle daignait se lever !

— N’embêtez pas le monsieur, hein ? lance-t-elle du fond du bus.

Les deux enfants semblent l’avoir entendue, mais ne disent rien. Apparemment, elle a dû rêver qu'ils l'avaient obéi sagement, puisqu'elle n'insiste pas. La commère ne bouge pas d'un iota non plus. Je suis déçu qu'elle n'insiste pas, je la croyais plus raisonnable. Mais une personne raisonnable ne ferait tout simplement pas des enfants.

— Pourquoi vous ne roulez pas sur la route, Monsieur ? me demande timidement le plus petit.

Que pourrais-je leur répondre ? Que je cherche Juliette ? Ou tout simplement la vérité ?

— Parce que je ne vois pas la route, tu la vois, toi ? asséné-je comme une évidence.

— Ben, ça doit être par là !

Le petit garçon – lecteur et futur policier intergalactique – pointe du doigt, son bras bien tendu, à ma gauche. Je tourne la tête et dévisse mon cou, l’allongeant pratiquement sur le tableau de bord. Comme un phare salvateur se dresse sur l’horizon, je vois une tourelle en métal que je trouve aussi belle et merveilleuse que la tour Eiffel. D’autres pylônes surgissent et s’enchaînent, m’offrant un message d’espoir ! Nous arrivons bien quelque part !

Le chemin de terre s’aplatit au gré de mon avancée et l’émotion me submerge lorsque j’aperçois de l'asphalte et un semblant de village ! Miracle ! Alléluia !

— T’as vu, il pleure ! chuchote une voix fluette.

— Hi, hi ! se moque l'autre enfant.

Avec le dos d’une main, j’essuie une larme sortie d’on ne sait où. Les rires stridents des enfants m’ôtent tout le plaisir de la libération. Pourvu que Dorée ne les ait pas entendus. Quoiqu’il paraît que les femmes aiment les hommes sensibles. Je me perds dans mes réflexions le temps de laisser le désert derrière nous et pénétrer le village. Quelques tristes maisons en parpaing creux, peintes de slogans politicards, nous accueillent. Le sol est tellement accidenté et manque d'asphalte que l’on ne ressent pas le changement de terrain. On traverse le village en un éclair. À l’approche de l’autoroute, je décide de m’arrêter à la station-service entourée des stands de restauration. Je suis certain que les passagers ne seraient pas contre une petite pause pour se dégourdir les jambes et se sustenter. L'affreux dormant derrière moi n'est plus bercé par les cailloux.

— Villa Ahumada ! s’écrie-t-il en se levant comme un ressort. Cool, mec ! On trouve les meilleurs burritos et montados* ici !

* rodadoras : ce sont ces plantes du désert dont les branches se détachent facilement, s'enroulent en boule et roulent, comme dans les western

* spécialité délicieuse avec une galette de blé garnie de plein de trucs bons et bien gras (Miam !). Les burritos s’enroulent tandis que les montados se plient. Ben oui, c’est important la nuance ! Mais je viens de spoiler le chapitre suivant :P

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