28.

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Abdoulaye avait pris la sortie qui était indiquée sur les coordonnées qu’on lui avait envoyées, et à présent, il engageait sa voiture dans un chemin tracé par les fréquents passages d’autres véhicules. Il était persuadé que c’était la bonne destination. Au beau milieu de nulle part, à l’abri des regards imprudents. Il venait de raccrocher avec celui qu’il cherchait. Abdoulaye avait sorti la carte de la menace pour les empêcher de faire quelque chose de regrettable. Cependant, même s’il était secoué par tout un tas d’émotions, il fallait privilégier la négociation, vu qu’il ne connaissait rien de la situation. Etaient-ils armés ? Est-ce que Malika était blessée ? Abdoulaye devait, quoi qu’il arrive, rester calme. C’était une priorité.

Alice était assise dans la voiture et regardait le corps de cet homme qu’elle avait traîné contre son gré dans ses affaires ; elle était désemparée. Etait-elle désolée de l’avoir abattu ? Non, c’était de sa faute, il n’avait pas suivi ses instructions et avait apporté son téléphone avec lui. Résultat : quelque chose qu’elle avait longuement planifié durant des heures, avait été détruit par sa faute. C’était de sa faute si on les avait localisés, c’est pour cela qu’il méritait cette balle. Elle se tourna ensuite lentement vers la principale fautive, Malika Ndiaye. Ne pouvait-elle pas juste se laisser faire, cette pimbêche ? Elle aurait juste fini ses jours en prison et ne serait pas là en train de jouer sa vie contre quelqu’un qui était plus déterminé qu’elle. Et maintenant, c’était elle qui allait finir ses jours au fond d’un cachot. Si c’était le cas, elle ne laisserait pas cette femme qui était assise en face d’elle, vivre une journée de plus.

Le ronflement d’une voiture se faisait entendre de loin ; bientôt, les lumières de ses phares apparurent, illuminant tout sur leur passage. C’était lui, l’homme dont elle avait parlé. Malika n’avait plus rien dit après qu’Alice ait tiré. Mais au bruit de la voiture qui venait vers eux à toute vitesse, elle releva la tête. Elle eut un petit sourire. La voiture s’arrêta brusquement devant elles, en créant un nuage de poussière derrière elle. Alice se leva automatiquement et se mit à côté de Malika, qui était restée à terre, le chloroforme ayant encore quelques effets sur elle. La pression d’un canon se fit soudain sentir sur sa tête. Alice se tenait prête à faire face au jeune enquêteur, qui sortit immédiatement, arme à la main. En se rendant compte qu’elle tenait en joue son otage, il pointa son arme vers elle en s’avançant :

- C’est terminé ! cria-t-il, en s’arrêtant net. Lâchez votre arme !

Il n’eut aucune réponse. Alice avait juste baissé la tête, elle ne le regardait même pas. L’ambiance qui planait à ce moment-là était toxique, et c’était dangereux. Elle pouvait tirer à n’importe quel moment. Dans cette position, elle avait le plus de pouvoir.

- Ce ne sera pas si facile, finit-elle par répondre doucement. Si tu veux mon arme, brigadier, il va falloir venir me la prendre. Mais, je te préviens, si tu fais un pas de plus, je lui éclate la tête.

Le jeune enquêteur stoppa net. Il avait fait un rapide tour de la situation, et il remarqua le corps d’un homme étendu sur le sol, baignant dans son propre sang. Ce n’était pas bon, si elle avait déjà tiré sur celui qui l’accompagnait ; à ce stade-là, elle n’hésiterait pas à le refaire. Malgré tout, il gardait toujours le bras tendu, prêt à tirer à tout moment.

- Vous avez déjà fait assez de dégâts, dit-il simplement, soyez raisonnable et rendez-vous.

- Tu étais beaucoup plus virulent tout à l’heure, tu as surement compris que les menaces ne te mèneront nulle part.

Il dirigea instinctivement son regard vers Malika.

- Ne t’inquiète pas, elle va bien, regarde.

Elle l’avait aidée à se lever, toujours en gardant l’arme braquée sur elle. Elle parlait sans aucune émotion dans la voix. La colère et toutes les autres lui étaient passées et maintenant, elle était comparable à un coquillage vide. Malika se tenait maintenant devant elle, le pistolet posé sur sa nuque.

- Vous n’êtes pas obligée de faire ça, laissez-la partir.

Elle avait relevé le cran de l’arme en guise de réponse. Le sang d’Abdoulaye courait à travers ses veines, à une vitesse à laquelle il n’était pas habitué. Elle était décidée. Malika elle, était un peu désorientée. Elle avait cependant conscience de la situation, et mobilisait tout son esprit à la recherche d’une solution. « Que faire ? Que faire ? Elle n’a aucune intention de se rendre. Je l’ai sous-estimée, je ne pensais pas qu’elle se comporterait comme ça ».

- Je veux partir, murmura-t-elle.

- Quoi ?

Elle releva brusquement la tête et découvrit des yeux injectés de sang sous l’effet de la rage qui s’était brusquement emparée d’elle.

- Je veux m’en aller loin d’ici, reprit-elle d’une voix tremblante, et tu vas me laisser partir.

- Ce n’est pas possible.

- Et pourquoi pas ?

- Nous avons transmis l’ordre à l’aéroport, de vous arrêter si vous vous y présentiez, et bientôt des voitures de la gendarmerie débarqueront ici. De plus, admettons que vous puissiez vous enfuir, nous sommes dans un petit pays, il n’y a aucun endroit où vous pourriez vous cacher.

Alice frappa la crosse de l’arme contre l’épaule de Malika, qui lâcha un cri de douleur. Abdoulaye voulut réagir, mais se raidit sur place. « Pas de mouvements brusques, mon vieux, ou elle est morte ».

- T’as vu ce que tu me causes comme problème ?

- Je n’y suis pour rien, répondit-elle en tenant son épaule. Tu pensais réellement que j’allais m’en rendre compte et ne rien faire ? Que j’allais juste finir en prison pour quelque chose que je n’ai pas fait, juste parce que je ne suis qu’une femme de bas étage et que tu l’as décidé ainsi ? Alioune et toi, que savez-vous réellement de moi, au juste, hein ?

- La ferme ! La ferme ! Je n’en ai plus rien à foutre de qui tu es ! cria-t-elle, en lui tirant les cheveux.

Alice était à bout, la raisonner ne servait à rien, elle n’avait aucune intention de se rendre.

- Toi-là ! dit-elle en fixant Abdoulaye. Fais glisser ton arme !

- Hors de question !

Elle tira entre les jambes de son otage.

- Tu ne comprends pas, ou quoi ? Tu veux que je lui fasse sauter la tête ?

C’était risqué. Sans arme, il n’aurait aucun moyen de pression sur elle, il serait lui aussi à sa merci. Mais, en regardant le visage de Malika qui se tordait à cause de la douleur, il se décida à déposer son arme à terre et à la faire glisser en y donnant un coup de pied.

- Et maintenant, dit-il, vous ne pouvez pas nous gérer tous les deux. A un moment donné, vous relâcherez votre attention.

- T’attends quoi ? Fais vite de la ramasser !

Malika se courba et saisit le pistolet du jeune enquêteur, sans protester.

- Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ?

- C’est simple, je veux que tu l’exécutes !

Un sourire sadique venait de se dessiner sur son visage, quand ces mots sortirent de sa bouche. Alice allait se venger de cette peste, en lui montrant qu’elle n’aurait jamais dû se moquer d’elle. Abdoulaye lui, était figé sur place. « Elle va la forcer à me tirer dessus, cette tarée ! »

Malika elle, tremblait comme une feuille. L’idée même de braquer une arme contre Abdoulaye était impensable. Sa vue s’embrumait, une envie soudaine de vomir l’avait prise, et elle avait le vertige. Alice la voyait paniquer, et elle se délectait de ce moment presque divin.

- Qu’est-ce qu’il y a ? Tu hésites ? Et pourtant, il n’y a pas de quoi. Tu es arrivée jusqu’ici, tu nous as piégés Alioune et moi, juste parce que tu étais rongée par ta propre rancune. Cet homme, je le reconnais. Il était venu chez moi, le jour où on a découvert le cadavre d’Abdou Karim, pour m’interroger. Déjà là-bas, je détestais sa façon de me regarder ; ça se voyait qu’il n’était qu’une brute épaisse. J’ai même cru qu’il me soupçonnait. Si tu étais sa première suspecte, je parie qu’il t’en a fait voir de toutes les couleurs...

Elle avait chaud et froid en même temps. Elle sentait le sol se dérober sous ses pieds. Elle haletait.

- Je t’offre une chance de lui faire payer tout ce qu’il t’a fait, lui souffla-t-elle.

Ses bras se levèrent sans qu’elle ne puisse rien y faire. Elle tenait l’arme avec ses deux mains, son doigt était sur la gâchette et ne tenait pas en place.

- Ma… Malika, qu’est-ce que tu fais ? Baisse cette arme ! dit-il en levant les mains. Tu n’es pas obligée de faire ça…

- Si tu ne tires pas, c’est moi qui vais le tuer, et tu vas le rejoindre ensuite !

- NON !

Malika tira. La balle passa tout près de son visage. Il s’écroula à terre, surpris.

- Arrête de trembler, et tiens-toi tranquille ! cria Alice.

C’était le vide total dans sa tête. Elle venait de tirer et elle ne s’en était même pas rendu compte. La pression, son état émotionnel, tous ces facteurs lui avaient fait perdre pied. Malika était troublée, comme déconnectée de la réalité ; tout ça ne faisait plus aucun sens pour elle. Elle n’avait pas fait exprès, elle ne voulait pas …

Abdoulaye voyait qu’elle ne contrôlait rien. La pression l’avait fait craquer. Il ne l’avait jamais vue dans cet état auparavant, avec un visage déformé par la terreur, et un regard horrifié.

- Ce n’est pas de ta faute, dit-il pour essayer de la rassurer. Regarde, je n’ai rien, calme-toi, d’accord ? Tout va s’arranger, je t’en fais la promesse.

Puis se levant son regard vers Alice

- Vous pensez réellement pouvoir régler vos problèmes en nous tuant. Vous êtes pathétique, rien ne m’arrêteras tant que vous ne serez derrière les barreaux, car ma promesse tient toujours : je vais vous faire payer toute cette mascarade à la con

Elle n’entendait plus rien. Elle n’en revenait pas d’avoir tiré sur lui, son visage était déformé par la peur et l’angoisse, et le jeune enquêteur voyait bien cela.

- Où sont donc passées toute ta confiance et ton arrogance, sale traînée ? Je pensais que tu avais plus de détermination que ça ! J’imagine que c’est moi qui vais devoir le faire.

Le cœur de Malika battait à tout rompre, elle voyait déjà le jeune enquêteur se prendre une balle en pleine poitrine, comme l’autre homme. C’était impossible ! Non, pas lui, il ne méritait pas de mourir... S’il mourait, ce serait SA fin.

Abdoulaye avait vu les yeux effroyables de la chanteuse, et avait automatiquement compris qu’elle allait finir le travail. Il était trop loin de la voiture, il ne pouvait pas se mettre à couvert, c’était trop tard. Il vit le bras d’Alice tenant l’arme bouger de la nuque de son otage. Le temps ralentissait autour de lui. Il ne pensait pas que cette enquête allait se terminer de cette manière. En fin de compte, elle n’avait été qu’un enchaînement lamentable d’erreurs, qu’il avait essayé de rattraper, mais visiblement, s’ils étaient tous les deux dans cette position, c’est qu’il avait échoué. Il ne voulait pas imaginer l’état de sa sœur, à qui on allait annoncer sa mort. Il n’avait pas pu faire honneur à la mémoire de son père. Il voulut détourner le regard, mais cela lui était impossible. Quand il vit le canon pointer directement vers lui, le temps reprit son cours normal. Il allait mourir, c’était certain. Mais ELLE ne pouvait pas la laisser faire, c’était impossible, impensable, inacceptable ! En une fraction de seconde, Malika fit un pas en arrière et plaqua son dos contre le corps d’Alice, avant de retourner le canon de l’arme d’Abdoulaye contre elle-même.

Un coup partit et le son de ce dernier s’évanouit comme les autres avant lui, dans les profondeurs de la nuit. Dans la confusion de l’action, Abdoulaye ne réalisa pas ce qui venait de se passer. Mais, en voyant Alice lâcher son arme et tomber à la renverse, et Malika s’effondrer face contre terre, il se précipita presque à quatre pattes sur elle. Il ne voulut même pas s’approcher de la chanteuse. Son esprit, tous ses sens étaient en déroute, il ne savait pas quoi faire, il ressentait ce même sentiment d’impuissance que le jour de la mort de Codou. Il la prit délicatement dans ses bras ; elle gémissait de douleur. Son sang n’arrêtait pas de couler, et il en était couvert. La panique le gagnait à une grande vitesse.

- Pourquoi ? Pourquoi as-tu fait ça, Malika ? demanda-t-il, les yeux pleins de larmes.

- Tu … ne dois … pas … mourir maintenant, pas comme ça !

Abdoulaye fut choqué par le visage qu’elle arborait en disant cela ; elle souriait et était heureuse.

- Quoi ? Après tout ce que j’e t’ai fait et dit, ça n’a aucun putain de sens ! Tiens bon, les secours arrivent, tu …

- Je suis … je suis … désolée, détective…

Ses petits yeux se fermèrent.

Abdoulaye était toujours sonné, et sous le coup de la tristesse et du désespoir, lâcha un juron. Les larmes qu’il retenait coulèrent sur ses joues avant de se déposer sur celle de Malika. Il n’avait jamais pensé qu’il regretterait la mort de la femme qu’il avait tant détestée. Il la serrait aussi fort qu’il le pouvait, et d’une voix accablée, il répétait sans cesse :

- Ne meurs pas, je t’en supplie, Malika, reste. Ne t’en vas pas toi aussi …

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