29.

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Ses lourdes paupières s’ouvrirent doucement sur un plafond blanc au milieu duquel tournait un plafonnier. Son corps était en morceaux et elle ne sentait plus son bras gauche. Une odeur familière flottait dans l’air de cette pièce. A son réveil, après trois jours d’inconscience, Malika était complètement étourdie. A en juger par le lit dans lequel elle était installée et les vêtements qu’elle portait, elle était bien dans un hôpital. Elle voulut se lever, mais la douleur dans tout le côté gauche de son corps la traversa, et elle décida à la place, de ne faire aucun mouvement. Elle se sentait plus faible que jamais et avait des vertiges. Elle était sur le point de retomber dans le sommeil, quand elle perçut une respiration à côté d’elle. C’était Abdoulaye, qui dormait à poings fermés, assis sur une chaise près de son lit. Il était resté à son chevet pendant tout ce temps.

Son attention se porta soudain sur un son qui venait troubler la quiétude de cet endroit, et qui l’avait peut-être tirée de son sommeil

- Aaah, tu es enfin réveillée ! dit une voix masculine provenant du fond de la chambre. Encore un peu et je m’en allais.

Elle savait à qui appartenait cette voix. Elle réunit le peu de forces qu’elle possédait, et se leva tout en surmontant la douleur qui la torturait. Après avoir réussi à s’assoir, elle prit un moment pour constater que son buste et son bras gauche étaient liés par un bandage et une attèle.

- Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle de sa voix faible.

- Rien de spécial, je passais dans le coin et j’ai entendu dire qu’une amie à moi s’était tiré dessus, alors j’ai décidé de venir la voir.

- Nous ne sommes pas … amis !

- C’est méchant, tu me brises le cœur, chérie ! répondit-il, le sourire aux lèvres.

L’homme en question s’était levé de sa chaise et s’était rapproché de Malika. Il portait un costume élégant noir, mais n’avait pas de cravate et avait laissé le troisième bouton de sa chemise blanche ouvert. Il rangea son Smartphone et s’assit au bout du lit. Cet homme suscitait un tas d’émotions négatives chez Malika, et elles étaient justifiées. Une certaine vulgarité se dégageait de lui, comme une sorte d’aura. A peine installé, il se mit à caresser les jambes de Malika, qui eut un mouvement réflexe.

- Recommence et je crie !

- Je rigole, je rigole, ça va ! Avec le temps, tu devrais savoir que même si tu me rends fou, je ne peux rien tenter avec toi. Et puis, on est dans un hôpital, il y a des gens qui sont en convalescence.

- Qu’est-ce que tu veux, à la fin ?

- Tu ne devines pas ? C’est pourtant évident, non ?

Elle passa sa main dans ses cheveux, qui lui cachaient le visage. Elle connaissait la réponse à sa question, elle voulait simplement s’en assurer, car c’était si surréaliste. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas pris de nouvelles d’elle…

- C’est mon père qui t’envoie, dit-elle finalement sur un ton mélancolique.

- Evidemment ! répondit-il en levant les yeux en l’air. Qui d’autre voudrais-tu que ce soit ?

- Il aurait tout de même pu venir lui-même…

Il pouffa de rire

- Et puis quoi encore ? T’es une marrante, toi ! Il a largement de quoi s’occuper. Les élections sont dans 8 mois, ses affaires sont sur le point d’atteindre un nouveau stade, et enfin, il doit s’occuper de sa famille. Pourquoi se déplacerait-il pour toi ? Je suis là pour ça.

Elle ne répondit pas.

- Tu crois encore avoir une place dans son cœur ? Çà fait longtemps que tu as été remplacée. Il consacre le plus clair de son temps libre à sa vraie famille. A les voir, on dirait qu’ils sont tout le temps heureux. De plus, sa fille aînée Aïssatou possède un sourire et des émotions qu’elle met sur son joli minois, et elle a la tête sur les épaules. Pas comme toi, Miss Déprime !

Malika resserrait son poing. La frustration la gagnait. C’était toujours la même chose avec lui, à chaque fois qu’il la voyait, il en profitait pour la pousser à bout, et remplissait sa tête de pensées sombres, presqu’impures.

- Je sais que c’est faux, j’existe toujours pour lui, sinon il ne t’aurait pas envoyé me voir. J’imagine qu’il n’a tout simplement plus le temps.

- Crois ce que tu veux ! avait-il tout simplement répondu, en haussant les épaules.

Il se mit à fouiller le contenu des poches intérieures de son blaser, et finit par en sortir un passeport tout neuf avec entre ses pages, un billet d’avion, qu’il lui tendit.

- Il faudrait que tu disparaisses pour de bon Malika, lança-t-il sur un ton beaucoup plus sérieux.

- Disparaître ? reprit-elle, abattue. Mais pourquoi ?

- Le siège à l’assemblée nationale se rapproche à grande vitesse, et tu connais tout le délire autour de ton père concernant son image. C’est dur à admettre, mais de tous ses enfants, c’est toi qui as le plus de ressemblance avec lui. Ce serait malheureux qu’une histoire de fille illégitime surgisse à son sujet, alors qu’il est si près du but.

Elle ne voulait que son bonheur et pour cela, elle faisait tout pour ne pas lui nuire. Quitte à effacer tout lien de parenté qui la rattachait à lui. C’était une promesse. Elle avait le passeport en main et le fixait. Sortir du Sénégal tombait sous le sens. Avant, elle aurait tout simplement accepté sans poser de questions ni rechigner. Mais, maintenant …

- Je … je ne peux pas partir, dit-elle finalement, en gardant la tête baissée.

Un petit sourire apparut, en entendant la réponse peu assurée, de la jeune femme.

- Et pourquoi ça ?

Elle resta silencieuse, mais son sourire grandit, et il était même au bord du rire quand il comprit la raison qui l’empêchait de partir.

- Non ! J’arrive pas à y croire, tu es amoureuse de lui ? dit-il en pointant l’enquêteur du doigt. Je ne pensais pas que tu pouvais ressentir ce genre d’émotions ! Bravo, Miss Déprime ! Mais, rassure-moi : le fait de se tirer une balle dans l’épaule pour lui, ce n’était pas nécessaire, non ? Hey, je me demande comment tu comptes t’y prendre pour l’attraper dans tes filets ? Il ne doit surement pas être le genre de gars à être insensible à un regard aussi transcendant que le tien. Tu as toutes tes chances…

Il se leva après avoir consulté l’heure sur son portable. Il aplatit les plis de sa veste et réajusta les boutons de manchette de sa chemise, avant de continuer :

- J’aimerais surtout voir la tête qu’il fera quand il découvrira qu’en fait, depuis la mort de ta seule et meilleure amie, tu as envoyé six personnes en état critique à l’hôpital, que tu as passé presqu’un an en internement dans un hôpital psychiatrique, et que les médecins t’ont qualifiée de…, c’était quoi, déjà ? Si ! Sociopathe « dangereusement instable ». Pas sûr qu’il ait toujours envie de te voir, après ça.

Elle n’avait pas réagi et se contentait de rester muette. Ses cheveux constituaient un rideau qui lui permettait de lui cacher son visage plein de chagrin. Avant de sortir, il s’arrêta un instant :

- Tu as encore toute ta tête, Malika. Je sais que tu sauras faire le choix le plus raisonnable.

La porte se referma délicatement.

Malika ne savait pas combien de temps elle était restée dans la même position après son départ. Plusieurs minutes, des heures, elle ne sentait pas le temps s’égrener. Peut-être qu’il a raison, se disait-elle intérieurement. Elle rangea le petit livret en vitesse sous sa couverture, quand elle remarqua qu’Abdoulaye remuait et était sur le point de se réveiller. Le jeune enquêteur releva doucement la tête, et sursauta en voyant la jeune femme déjà réveillée. Il s’empressa de prendre de ses nouvelles.

- Je vais bien … ça va, je suis juste un peu faible.

- Mais alors, allonge-toi !

- Je … je n’en ai pas besoin, ça va aller.

Elle l’avait un peu repoussé, car sans le vouloir, il lui faisait mal. Après qu’elle se soit mieux installée sur son lit et que des secondes de silence se soient écoulées, Abdoulaye se décida à parler :

- Mais, qu’est-ce qui t’a pris de faire ça, Malika ? D’après le médecin, si tu avais visé un peu plus bas, tu serais morte ! C’était complètement stupide !

- J’ai paniqué, je suis vraiment désolée.

- Ce n’est pas une raison ! cria-t-il.

La réponse d’Abdoulaye resta en suspens dans l’air, avant que Malika ne réponde sur un ton farceur :

- Je ne savais pas qu’en plus de fantasmer sur des jeunes femmes en maillot de bain, tu étais aussi un homme du genre violent. Remarque que je n’ai rien contre…

- Mais, tu vas arrêter, bon sang ? dit-il en soupirant.

Il passa ses mains sur sa tête, avant de se gratter les joues. Il avait quelque chose sur le cœur, qu’il voulait absolument lui dire. Il avait prié sans relâche, en espérant qu’elle survive. Il n’était pas rentré chez lui et avait demandé presqu’à genoux, l’autorisation à sa grande sœur, qui avait soigné Malika, de rester à ses côtés. Et maintenant qu’elle était là en face de lui, avec ce même air taquin qu’elle traînait quand elle lui parlait, il ne devait pas laisser passer sa chance.

- Je te demande pardon, tout est de ma faute. Je ne sais même pas pourquoi je m’énerve contre toi. C’est à cause de moi, si tu as dû en arriver là. Je suis désolé. Si j’avais fait plus attention, nous n’en serions pas là.

Malika n’avait pas répondu. Il ne devait pas être le seul à s’excuser, ce n’était pas juste. Elle aussi, elle lui devait des explications. Après lui avoir dit de ne pas s’embarrasser de la sorte, elle lui raconta l’ensemble de ses mésaventures, qui avaient conduit à cette soirée fatidique, où elle avait décidé de mettre sa propre vie en jeu. Abdoulaye quant à lui, écoutait cette histoire ahurissante, d’une oreille attentive et essayait de comprendre ce qui l’avait motivée à agir de la sorte pendant tout ce temps. Son récit terminé, elle se retourna vers son interlocuteur, prête à répondre à toutes les questions, mais celui-ci resta les bras croisés, comme perdu dans ses pensées pendant un bref instant, avant de dire :

- Tu aurais dû tout nous dire, Malika, je ne vois pas pourquoi tu nous as caché tout cela, j’aurais pu t’aider, nous aurions trouvé une solution ensemble, pour te protéger. Mais là, ce que tu as fait … tu as mis en danger plusieurs personnes avec tout ça !

- J’ai essayé, tu sais, enchaîna-t-elle aussitôt, j’ai essayé de tout vous dire, mais tu ne voulais rien entendre…

Il resta figé. La réponse de la jeune femme l’avait comme suspendu. Il se rappelait qu’en effet, elle n’avait jamais cessé de proclamer son innocence, mais qu’il ne voulait tout simplement pas l’entendre, la croire. Il ne voyait qu’une opportunité trop belle pour lui, de prendre sa revanche sur elle, sur ce qu’elle avait dit il y a tellement longtemps.

- Je suis prête à faire face à mes responsabilités, reprit-elle. Si je dois aller en …

- … prison. Alors que mon comportement t’a littéralement poussée à faire tout ça pour l’éviter ? Tu en es vraiment sure ?

Il se leva de sa chaise et s’installa près de Malika. Celle-ci fut prise de court, et se poussa dans un mouvement précipité, pour lui faire de la place. Elle commençait à ressentir une drôle de sensation qui la traversait toute entière, due à la présence du jeune enquêteur assis à ses côtés, à quelques centimètres d’elle.

- Alice n’a pas succombé à ses blessures, et s’est réveillée beaucoup plus tôt que toi. Elle n’a jusqu’à présent, pas mentionné ton implication dans toute cette histoire, et ne le fera surement jamais. Elle essaye de limiter les dégâts et de préserver son image auprès de son public. Elle n’a pas envie de montrer son visage de calculatrice à tout le monde, elle a déjà un autre cadavre sur les bras. Et quant à l’expert-comptable, il n’a pas mentionné le fait qu’on lui a forcé la main pour révéler ce qu’il savait. Le seul qui reste, c’est moi. En te confiant à moi, tu as avoué avoir enfreint la loi à plusieurs reprises …

Le cœur de Malika battait à tout rompre.

- … mais, je pense que Codou et mon père n’auraient pas apprécié que je mette la personne qui m’a sauvé la vie, en prison. Ce serait injuste.

- Mer… merci beaucoup, détective, dit-elle tout simplement, mais je …

- Mais, tu vas me promettre quelque chose en retour. Ne remets plus jamais ta vie en jeu pour moi, je ne le mérite pas.

Malika voulut lui dire que sa vie ne valait rien par rapport à la sienne, que si elle devait le refaire cent fois d’affilée, elle le referait sans hésiter. Elle voulait lui dire que c’était plus une marque de son amour qu’un sacrifice, et qu’elle serait heureuse de le refaire encore et encore et encore. Elle voulait lui dire que quelqu’un comme lui, dont la seule présence lui avait permis de redécouvrir un sentiment aussi simple que le bonheur, depuis la première fois où ils s’étaient rencontrés, où ils avaient partagé la même salle de classe, le méritait amplement. Elle voulait lui dire que tout ce qu’elle avait fait jusqu’à présent, c’était pour lui, pour l’aider à atteindre son but, devenir un meilleur enquêteur, et que si sa mort pouvait aider, ce n’était qu’un détail. Cependant, elle se rendit compte qu’à ce moment-là, c’était son cœur qui était aux commandes, et elle se résigna à laisser parler sa raison au détriment de ses sentiments.

- Sur une balance, ma vie n’a pas beaucoup de valeur par rapport à la tienne, détective ! dit-elle en guise de réponse, sur un ton plein de chagrin. Beaucoup trop de personnes tiennent à toi, tu as une famille, des amis, un but dans la vie. Si tu venais à disparaître, tous ces gens perdraient quelqu’un qui leur est cher, quelqu’un d’irremplaçable. Moi en revanche, si je mourais, je ne gênerais presque personne. Au contraire, ça arrangerait les affaires de certains. Alors, si je peux éviter que quelque chose de fâcheux ne t’arrive, je le ferais sans hésiter.

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase, qu’Abdoulaye avait passé sa main derrière sa tête et l’avait posée contre son torse. Malika ne comprenait pas ce qui se passait. La distance qui les séparait quelques secondes auparavant avait soudain disparu, et maintenant, elle pouvait sentir sa chaleur, sa présence, et le cœur du jeune enquêteur battre tout près de son visage. C’était un moment presque idyllique, et pour rien au monde, elle n’aurait voulu l’échanger. Quant à lui, il ne pouvait tout simplement pas la laisser parler ainsi de sa vie, comme si elle n’était qu’un vulgaire objet. Il sentait que c’était la seule chose à faire à ce moment-là, et qu’elle en avait besoin.

- Ne remets plus jamais ta vie en jeu, répéta-t-il sur une voix douce, je ne le supporterais pas. Si tu disparaissais à cause de moi, Malika, c’est à moi que tu ferais de la peine.

Ces mots résonnèrent dans tout son corps et la firent vibrer toute entière. Elle venait de gagner une place importante. Enfin, elle ne se sentait plus seule, et cet instant en était la preuve. Cette place, elle ne devait pas la perdre, jamais. Si la voir en vie était ce qui le rendrait heureux, alors elle avait l’intention de savourer et apprécier chaque journée.

- C’est promis, détective ! lâcha-t-elle tout simplement.

_________

FIN.

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