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Il ne s’était pas arrêté. Il conduisait comme un possédé et poussait le moteur de sa voiture jusqu’à ses limites. Abdoulaye venait de raccrocher pour la énième fois, il avait déposé son téléphone sur le tableau de bord à côté de son arme de service ; il l’avait sortie de la boîte à gants, et était prêt à s’en servir s’il le fallait. Il savait que Mansour avait fait tout ce qu’il pouvait de son côté pour essayer de retrouver Malika, en allant directement à la maison de la chanteuse, mais elle n’y était pas, plus personne n’y était. Il ne pouvait pas faire une erreur de plus. Pour déterminer la position de Malika Ndiaye, il fallait d’abord déterminer celle d’Alice, mais cette femme n’était pas abrutie, elle n’avait surement pas son téléphone sur elle. Au contraire, elle dépassait toutes les attentes. Cependant, une lueur d’espoir brûlait en lui, car il savait que ce monstre qu’il recherchait, affrontait au même moment, quelqu’un d’aussi intelligent qu’elle. Il se faisait peut-être des idées, mais au fond de lui, il était persuadé que Malika avait intentionnellement laissé une piste la menant directement à elle. En effet, son téléphone comportait en arrière-plan, le dernier album d’Alice, avec sa tête cerclée de rouge. Il l’avait déjà vu auparavant, mais venait de comprendre à quoi cela faisait référence, et intérieurement, il l’avait félicitée. Chaque neurone de son cerveau travaillait activement dans le but de la retrouver. « Alice a beau être intelligente, elle ne peut pas avoir pensé à tout. Elle a surement dû faire une erreur, mais laquelle ? Elle a tué son amant, mais cette nuit-là … elle s’est fait aider … sinon elle n’aurait pas pu passer inaperçue. Si Alioune ne pouvait pas … ». Il réfléchissait et tentait d’éclaircir les dernières zones d’ombre du mystère. Tout est faux, cette phrase résonnait dans sa tête avec force, il avait l’impression que tout ne tournait qu’autour de cela.

- Les témoignages, les preuves, les alibis, les suspects…

Il esquiva de justesse une voiture, en donnant un coup de volant sec et se mit à klaxonner derrière une voiture roulant lentement, avant de la dépasser. Soudain, son téléphone se remit à sonner.

- On n’a plus aucune piste, Abdoulaye, on n’a aucune idée de là où elle pourrait se trouver. T’es où ?

- Je sors de Dakar, je me tiens pas loin de la RN. Si elle veut s’en prendre à elle, elle devra le faire là où il n’y a personne. De plus, elle a vidé sa maison, donc elle sentait le coup et elle a décidé de fuir.

- C’est de la folie, Abdoulaye ! On ne peut pas savoir où elle est, elle peut être n’importe où en ce moment !

- Je sais …, répondit-il abattu. Il s’était rendu compte de cet état de fait.

- Le seul moyen qui nous reste, c’est la localisation, mais j’ai l’impression que ça ne passera pas. Si seulement on pouvait se rabattre sur quelqu’un d’autre.

« Quelqu’un d’autre, pensait-il. Si elle n’a fait aucune erreur jusqu’à maintenant, peut être que … ». Il n’avait pas pu terminer sa phrase, car il réalisa qu’il savait qui accompagnait l’artiste…

- Abdoulaye ? Allô, Abdoulaye, t’es toujours là ? Je sais qui il faut chercher !

Malika avait relevé la tête et à présent, elle fixait Alice d’un regard enflammé que celle-ci ne lui connaissait pas, et que personne ne lui avait jamais connu. Elle venait d’annoncer une prophétie, et celle-ci avait fini de choquer son interlocutrice, qui ne comprenait pas ce regain soudain d’assurance. Une flamme d’espoir embrasait ses yeux. L’homme de main lui aussi était désarçonné par ce qu’il venait d’entendre.

- Qu’est-ce que tu racontes ? demanda Alice, qui avait perdu son sourire triomphant.

- Tu ne me tueras pas ce soir, c’est clair, non ?

Cette femme l’énervait, jusqu’au bout elle n’avait cessé de l’ennuyer. Alice se ressaisit ; ce n’était pas comme si elle pouvait faire grand-chose à son niveau. Elle ne pouvait pas penser à s’enfuir, car elle savait qu’elle risquait une balle dans le dos.

- Ne sois pas ridicule, et garde un semblant de dignité.

Elle arracha le pistolet de la main de celui qui l’avait accompagnée malgré lui, et posa directement le canon sur son front.

- Fini de jouer !!!

- Tu te prends pour une sorte de génie, Alice, parce que tu as dupé toutes les personnes qui t’entourent, tu te crois intelligente, mais moi quand je te regarde, je ne vois qu’une personne naïve et niaise, avait répondu Malika, en fronçant les sourcils. Je sais comment cette soirée va se terminer, tu n’appuieras pas sur cette détente.

Son expression avait changé du tout au tout, son visage qui était d’habitude terne et inanimé, n’avait plus rien à voir avec celui qu’elle présentait à Alice.

- A quoi tu joues ?

- Je te dis la vérité, petite conne, réfléchis un peu. Penses-tu réellement que tu puisses pointer une arme sur moi dans une autre situation, et t’en tirer aussi facilement ?

- Quoi ? Qu’est-ce que …

- Je vais te le dire dans des mots que tu pourras comprendre. Si nous sommes là, toi avec une arme braquée sur moi et moi à terre sans défense, c’est tout simplement parce que JE l’ai décidé.

- Ce que tu racontes n’a aucun sens. Tu délires ! Je sais ce que tu essais de faire, tu veux gagner du temps, personne ne viendra te chercher, tu es seule au monde, tu …

- Grâce à un appel anonyme, l’enquête a soudain changé de direction, après qu’un homme soit tombé dans les filets de la Douane pour contrebande, coupa-t-elle. Sous le coup de la pression, il a révélé une information cruciale qui a conduit les enquêteurs sur la piste du véritable maître chanteur. Quelque temps après, une histoire de détournement de fonds impliquant Alioune Mar, fait surface ; tous ces événements dans leur succession, ont créé cette soirée.

- Je ne te crois pas, Malika, tu mens !

Alice commençait à se sentir mal, des perles de sueur apparaissaient sur son front. Qu’est-ce qu’elle voulait dire ? Etait-elle en train de mentir ? Elle commençait à en douter sérieusement. C’était pourtant vrai, que les événements qui la culpabilisaient s’étaient vite enchaînés. Elle n’avait pas pu voir Alioune pour réfléchir à un plan de secours, qu’il était déjà entre les mains des gendarmes. Ce qu’elle faisait était précipité, mais c’était la seule option restante. Elle s’était préparée à ce fait et rien ne l’avait dérangée jusqu’à maintenant. Mais, elle ne savait pas pourquoi, quelque chose l’empêchait d’appuyer sur la détente...

- Vraiment … et pourtant, c’est la stricte vérité. J’ai dû soudoyer l’un des contrebandiers pour qu’il passe un coup de fil à la Douane et dénonce son patron. Je me doutais qu’il avait quelques informations en plus, il fallait tout simplement qu’il soit dans la nécessité de les divulguer. Je n’étais pas sure de mon coup, mais je suis contente que ça ait marché.

- C’est impossible, bégaya-t-elle. Comment ? Tu n’es qu’une vulgaire secrétaire !

- Je lui ai donné tellement d’argent, qu’il pourrait devenir son propre patron ! Néanmoins, concernant ce cher Mané, disons que pour son cas, j’ai dû envoyer quelques personnes à sa rencontre, pour lui faire comprendre que pour son propre bien, il était dans le mauvais camp. Il a voulu me tenir tête, mais il a vite compris que j’obtiens toujours ce que je désire…

Il n’en revenait pas. Il assistait non pas à une exécution, mais à un combat entre deux furies qui s’affrontaient pour leur survie, au beau milieu de nulle part. Il pensait que cette Malika bluffait au début, mais en prenant un instant pour observer sa patronne, il vit que son visage était déformé par l’incompréhension et la colère.

- Alors, tu comprends que je savais qu’en faisant craquer l’expert-comptable, Alioune serait arrêté et que les enquêteurs ne mettraient pas longtemps avant de découvrir le lien avec la mort d’Abdou Karim. Et que dans une dernière tentative pour brouiller les pistes, vous alliez tenter de faire quelque chose de stupide pour sortir de cette situation.

- Si c’était vrai, cela voudrait donc dire que tu t’es mise en danger toute seule. Ça n’a aucun sens, s’exclama-t-elle. Tu mens, je le sais. Car si tu savais qu’on était après toi, tu aurais tout raconté aux gendarmes pour espérer qu’ils te protègent.

Malika passa ses deux mains dans ses cheveux, et poussa un long soupir sous le coup de la fatigue, avant de continuer :

- Sache que je n’entreprends jamais quelque chose, si je n’y trouve pas un intérêt ou si je ne peux pas atteindre le résultat que je recherche. Si tu ne comprends pas le sens de mes actions, cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas. Me mettre en danger faisait partie des actions nécessaires pour atteindre mon objectif.

- Ton objectif ? répéta-t-elle.

Elle redoutait sa réponse. Dans sa tête, le chaos envahissait chaque parcelle, une à une.

- Mon objectif, c’est toi, Alice. Plus précisément, c’est aider à ton arrestation.

Son sang n’avait fait qu’un tour. Alice n’arrivait plus à réfléchir correctement. Que se passait-il autour d’elle ? Elle avait eu le contrôle total de toute la situation, depuis le début de la soirée, et là, elle avait l’impression que tout lui échappait. Elle ne pouvait plus se persuader que cette femme lui mentait, c’était beaucoup trop élaboré pour que cela ne soit qu’un simple mensonge. Cette Malika n’était pas normale, c’est comme si elle s’était amusée avec eux, et que ce n’était que maintenant qu’elle s’en rendait compte. Tout ce qu’elle voulait, c’était profiter de la vie, mais elle, … cette femme …

- Pourquoi ? demanda-t-elle difficilement, tant la colère l’avait retournée.

- Alioune et toi, vous n’auriez jamais dû essayer de me piéger, avait-elle dit en détournant le regard.

La rancune n’avait rien à faire dans cette histoire. Malika mentait, elle n’avait pas besoin de lui dire ses vraies motivations, cela ne changerait rien à la situation, elle était faite. En effet, Alice venait de se rendre compte qu’elle avait fait exactement ce que Malika voulait : elle avait mis les pieds dans un piège qui avait été dressé pour elle. La priorité pour elle, était de fuir. Elle regarda rapidement sa montre-bracelet : il lui restait peu de temps pour rejoindre l’aéroport avant que son avion ne décolle. Cela ne servait plus à rien de la tuer. S’ils la laissaient partir, elle mettrait des heures avant de trouver de l’aide ; et avec un peu de chance, elle se perdrait. Elle rangea son arme et se retourna, prête à se diriger vers sa voiture, quand elle entendit un téléphone sonner. Un frisson parcourut tout son corps. Ce n’était pas le sien. Elle se retourna vers Malika, puis vers son homme de main.

- Tu ne penses pas sérieusement à t’enfuir, c’est impossible. Je te l’ai dit, mon objectif c’est toi. Si je t’ai amenée à sortir de ton trou et à commettre toutes ces erreurs, ce n’est pas pour te laisser filer ensuite. C’est terminé, il arrive.

- Qui arrive ? demanda-t-elle, en se retournant lentement.

- Celui qui est censé te stopper. Abdoulaye Diop ! dit-elle avec un sourire qui se dessinait progressivement sur ses lèvres.

Elle s’était retournée vers l’homme qui n’avait été qu’un spectateur depuis le début.

- Tu devrais répondre.

Il tremblait, ses membres ne lui répondaient plus. Il saisit son portable, après avoir fouillé dans ses poches, et sous la pression, il mit le portable à son oreille. Il ne dit rien, pétrifié par la peur. Elles pouvaient toutes les deux entendre le jeune enquêteur à l’autre bout du fil, menaçant le pauvre homme qui pourtant, n’avait joué aucun rôle dans cette histoire sordide. On arrivait à entendre par le son de sa voix, qu’il était prêt à détruire leurs vies, s’il devait arriver quoi que ce soit à leur otage. L’appel terminé, les battements de son cœur l’avaient tellement assourdi, qu’il n’avait pas entendu le son du canon libérant une balle qui lui traversa la poitrine. Il s’effondra sur le sol et se noyait peu à peu dans son sang

Alice tremblait, l’arme était encore chaude, et le recul lui avait fait mal à la main. Elle était dépassée par la situation. Rien ne se passait comme elle le voulait. Elle se sentait emprisonnée entre des murs, alors qu’elle était en plein air. Elle avait tiré sur cet homme, car la colère l’avait possédée. Elle savait qu’en faisant cela, elle s’était elle-même condamnée, mais il fallait se rendre à l’évidence : il n’y avait plus rien à faire. Plus rien ? Non, il lui restait encore des balles dans son arme. Elle ne pouvait peut-être plus s’échapper comme elle l’avait décidé, mais elle pouvait encore se venger.

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