24.

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Cette journée était assez mouvementée, avec tous les événements qui s’étaient enchaînés si vite. Abdoulaye avait décidé de faire une pause. En effet, il n’avait pas arrêté de faire des allers et retours entre son bureau et le tribunal. Entre les interrogatoires du nouveau dirigeant de Golden Jam et de son expert-comptable, et l’analyse des documents qu’on leur avait fait parvenir, il ne savait plus où donner de la tête. Il était debout devant la porte du bâtiment qui abritait la Section Recherche, et fumait une cigarette. Il avait son portable dans la main et faisait défiler la file des messages qu’il avait reçus durant ces 4 heures de travail d’affilée. Pendant que son doigt répétait inlassablement le même mouvement sur l’écran de son Smartphone, il repensait à toutes les informations qui étaient tombées sur leur bureau. Chacune des pièces du puzzle faisait sens et trouvait naturellement sa place dans la fresque qu’elles dessinaient. Cependant, il fallait encore faire de l’interprétation pour éclaircir les zones d’ombre restantes. Avec l’arrestation d’Eliman, il savait maintenant qui était le maître chanteur, et avait aussi découvert que les témoignages du comptable de la maison de disques étaient faux, les chiffres qu’il avait présentés ne faisaient que ressortir le salaire anormal de l’assistante d’Abdou Karim, et cachaient tout ce qui se tramait en dessous. Un coup bien pensé, mais complètement tordu. « Il faisait face à un maître chanteur et à une histoire de détournement en même temps, pas étonnant qu’il n’ait pas vu le meurtrier lui sauter dessus ». Un énième nuage de fumée sortait de sa bouche, alors qu’il essayait de mettre de l’ordre dans ses idées. Cette affaire de meurtre qui au départ, paraissait simple, renfermait en elle un nombre incalculable de petites affaires qui rendaient le tout, complexe. Le crépuscule s’était éclipsé et avait laissé place à la nuit, dans le ciel quelques étoiles apparaissaient déjà. Ces derniers jours, les nuits avaient le mérite d’être fraîches et calmes. Abdoulaye ne faisait pas attention au monde qui l’entourait, perdu qu’il était, dans ses pensées. Il essayait de maintenir son fil de pensées clair et cohérent, tout en lisant tous les messages qui s’étaient accumulés. Soudain, il s’arrêta sur un nom qui s’était affiché sur l’écran : Malika Ndiaye. Son regard s’assombrit. La veille après que Mansour l’ait laissé en arrière, il s’était dirigé vers sa voiture et avait scruté l’écran de son téléphone pendant longtemps. Mansour avait raison, il devait l’appeler, au moins pour s’excuser pour tout ce qu’il lui avait fait et dit. Il aurait dû avoir un peu plus de recul avec toute cette situation. Mais, l’idée de l’appeler ne le motivait pas. Il réfléchit pendant plusieurs minutes, mais il ne sut ni quoi lui dire ni comment le lui dire. Abdoulaye n’était pourtant pas mauvais pour s’exprimer de manière générale, mais là, la simple idée de devoir parler à cette femme l’effrayait presque. C’est ridicule, pensait-il sans cesse. Il venait de décider de verrouiller son téléphone et de passer à autre chose, quand l’idée de lui envoyer un texto résonna en lui comme étant la meilleure chose à faire. Mais là encore, il se sentit ridicule en se rendant compte que son message ne tenait qu’en 5 lettres : « salut ».

Ce jour-là, il ne l’envoya pas et décida de le laisser à l’état de brouillon, en attendant de revenir avec un meilleur texte. Et maintenant il était là, 24h plus tard, son nom sous les yeux. Même si elle était innocentée, Abdoulaye avait l’impression que cette femme avait joué un grand rôle dans toute cette histoire. Peut-être qu’elle possédait les réponses qu’il cherchait. Même s’il ne lui parlait pas, il lui devait au moins des excuses, c’était une idée qui était ancrée en lui, vu la façon dont il s’était acharné sur elle. Soudain, comme un éclair s’abattant avec fracas, il réalisa quelque chose qui lui avait échappé : « toutes les preuves pointaient vers elle. Avec toutes les informations que nous avons obtenues, il était clair qu’à première vue, Malika était la coupable idéale : aucun alibi sérieux, les lettres de chantage retrouvées dans son bureau … elle était toute désignée, mais en fin de compte, elle est innocente ». Il eut comme un mauvais pressentiment. Si toutes les preuves ne servaient qu’à l’incriminer depuis le début, cela voulait dire qu’elles étaient fausses. Le meurtrier avait essayé de la faire accuser. Il frissonna en y pensant. Si cela était vrai, cela voudrait dire que Malika était une cible durant tout ce temps. Il écrasa sa cigarette contre le mur avec amertume. S’il avait fait plus attention, il aurait pu s’en rendre compte, il en était sûr. Maintenant, il se sentait obligé de lui parler, il ne pouvait pas revenir en arrière sur ce qu’il avait fait, mais il pouvait éviter que quelque chose lui arrive. Même si son message était resté ridiculement bref, il décida de l’envoyer ; au moins, cela lui permettrait de débuter une conversation sérieuse. Il rangea son téléphone, après avoir vaguement modifié son message, qui passa d’un banal « salut » à « salut, c’est Abdoulaye ». Il ne voulait pas l’affoler, il devait d’abord vérifier ses craintes. Abdoulaye monta les escaliers d’un pas assuré, car il était persuadé d’une chose : si quelqu’un devait savoir si Malika était réellement visée, c’était bien Alioune Mar.

Son téléphone avait sonné au moment où il était arrivé au sommet des escaliers. Abdoulaye était surpris d’avoir une réponse à son message aussi rapidement, il ne s’était pas écoulé une minute. Elle ne perdait pas de temps. Mais il ne répondit pas, il devait vérifier ses craintes sur-le-champ, son cœur battait la chamade. Mansour sortait de leur bureau au moment où il arrivait. Il se passait la main sur le front, et un air contrarié se dessinait sur son visage. Quand il releva la tête et vit son coéquipier arriver, il fronça les sourcils et se dirigea aussitôt vers lui.

- Que se passe-t-il ? demanda le jeune enquêteur. Y a-t-il un problème ?

- Je viens de raccrocher avec les gars qui s’occupent de l’audition d’Eliman, il faut que j’aille les rejoindre, répondit-il.

- Qu’est-ce qui se passe ?

- Apparemment, il dit n’avoir envoyé qu’une lettre à sa victime, et non toutes celles qu’on a trouvées sur le bureau de Mlle Ndiaye. Plus on avance, et plus ces conneries me gavent.

Il écarquilla des yeux en entendant cette nouvelle, car si ce qu’il disait était vrai, cela allait complètement dans le sens de ses pensées.

- Abdoulaye, ça ne va pas ?

Il avait cessé de réagir, il repensait à ce que Malika avait dit durant ses interrogatoires, au moment où on lui avait présenté les lettres de chantage. « Elles ne sont pas manuscrites, donc il est impossible de prouver que j’en suis l’auteur ».

- Il a raison, dit-il soudainement, revenant à lui-même.

- Toi aussi tu t’y mets ? Qu’est-ce qu’il y a encore ?

- Je ne peux pas te l’expliquer maintenant, répondit-il, pressé. Où est Alioune Mar ?

- Dans le bureau ? Tu veux l’interroger ? J’ai déjà essayé, il est muet, le gaillard !

Abdoulaye ne prêta aucune attention à l’avertissement de son collègue, et pénétra dans le bureau. Alioune était assis sur la chaise en face du bureau de Mansour. Ce dernier le suivit de près dans la pièce. Il se mit en face de lui et commença sur un ton menaçant :

- Nous avons passé trop de temps ici, M. Mar, et je ne suis plus là pour m’amuser, j’ai besoin de réponses maintenant !

L’interpellé ne réagit pas, même s’il voyait dans le regard de l’enquêteur, une détermination absolue à lui arracher les vérités qu’il cachait.

- Vous avez un autre complice, n’est-ce pas ?

Mansour se raidit sur place. Ces mots résonnèrent dans la pièce, l’atmosphère changea brusquement. Abdoulaye se dirigea vers son bureau, saisit quelques papiers qui y traînaient, et revint vers Alioune :

- Ceci est le total de tout l’argent qui a été détourné, dit-il en lui remettant des relevés de compte, et là nous avons tous les versements effectués sur votre compte et celui d’Ibrahima Mané, l’expert-comptable qui vous a aidé dans votre opération. Ce que l’on remarque en faisant le rapprochement, c’est qu’il manque une somme considérable qui n’est mentionnée nulle part. Deux possibilités : soit vous lui avez aussi fait le coup, et vous raflez la plus grosse part, soit la troisième part appartient à quelqu’un d’autre.

- Je ne vois pas de quoi vous parlez, dit-il, la peur au ventre.

- Maintenant que cette affaire de détournement de fonds a fait surface, M. Mar, nous savons tous les deux pourquoi Abdou Karim est mort, n’est-ce pas ? Il avait découvert que vous lui voliez de l’argent, beaucoup d’argent.

- Vous m’accusez de meurtre, comment osez …

Il fut coupé net dans sa tentative de reprendre le dessus sur la situation et ravala les mots qu’il était sur le point de sortir, lorsqu’il croisa le regard incandescent de l’enquêteur.

- Vous n’avez pas choisi le bon moment pour me mentir, M. Mar, dit-il d’une voix monotone.

Il se crispa sur place.

- Ce n’est pas vous qui l’avez assassiné, c’est certain, vous étiez à l’autre bout de la ville quand il est mort. Mais ce que je sais, c’est que votre complice et vous aviez tout fait pour faire accuser son assistante. Je veux son nom, qui a tué Abdou Karim ?

Le suspect ne dit plus un seul mot. Son attitude exaspérait Abdoulaye, qui ne comprenait pas son entêtement à rester muet.

- C’est pas vrai… s’exclama Abdoulaye qui commençait à s’énerver.

- Garde ton calme, dit Mansour en posant sa main sur son épaule, n’entre pas dans son jeu, il essaye de gagner du temps pour pouvoir réclamer un avocat. Et vous, dit-il en regardant l’interrogé, si vous pensez pouvoir sortir d’ici sans dire un seul mot, c’est raté !

Ces derniers mots eurent l’effet d’une gifle sur Abdoulaye, comme si tout devenait limpide d’un seul coup. Il prit peur sur-le-champ, ses jambes tremblaient, il ne sentait plus le bout de ses doigts, son cœur battait encore plus qu’au départ. Il se jeta sur Alioune et le saisit par le col de sa chemise :

- Vous essayez de gagner du temps, c’est ça votre plan ? Qu’est-ce que vous comptez lui faire ? Répondez !!!

- Mais, mais…, lâchez-moi ! dit-il. Qu’est-ce que vous faites ? demanda-t-il en paniquant.

Mansour se précipita sur son collègue pour les séparer. Il essaya de le maîtriser.

- Qu’est-ce qui te prend, Abdoulaye ? Arrête !

- S’il lui arrive quoi que ce soit, je jure devant Dieu que je vous le ferai regretter personnellement, dit-il d’une voix menaçante.

Mansour l’éloigna. Il avait commencé lui aussi à avoir peur.

- Tu parles de qui, Abdoulaye ? Qu’est-ce qui se passe ?

- Malika, elle est en danger, ils s’acharnent sur elle pour essayer de lui faire porter le chapeau! Je dois y aller, maintenant !

- Attends !

Il n’eut pas le temps de le rattraper, Abdoulaye sortit de la pièce en courant, descendit les escaliers et se précipita dans sa voiture. Il se rendait chez elle. Si Alioune et son complice devaient faire quelque chose pour se sortir de la situation dans laquelle ils se trouvaient, cela ne pouvait être que durant cette soirée. Avant de démarrer, il saisit son téléphone et tapa rapidement un message. Il espérait qu’il se faisait des idées, mais il ne pouvait pas s’enlever celle-là de la tête.

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