25.

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Elle était restée sur son matelas, installé dans l’entrée de son appartement, devant la télé, et s’était lancée dans son activité préférée, le cinéma. Malika était ce que l’on appelait une cinéphile. Elle y consacrait une grande partie de son temps libre, de son énergie et de son argent. C’était la seule chose qui lui tenait à cœur, qui lui donnait le sourire. Le lecteur DVD venait de rejeter le troisième film qu’elle avait regardé. Elle le saisit de ses doigts fins et le rangea soigneusement dans sa boîte, avant de la considérer. C’était un exercice qu’elle affectionnait particulièrement. Après chaque visionnage, elle s’amusait à juger le film dans son ensemble pendant plusieurs minutes. Elle était plutôt fière de ses analyses, même si elle n’égalait pas celle des professionnels du cinéma. Elle s’amusait et c’est tout ce qui comptait. Après un long moment de silence, elle se laissa tomber à la renverse sur son matelas, en tenant fermement la pochette entre ses mains. « Ce film était tout simplement génial, pensa-t-elle toute excitée, Conan le Barbare est le meilleur film que j’ai eu à regarder depuis longtemps. Le scénario est simpliste et linéaire, mais cohérent et entraînant. La musique est transcendante et sert à merveille chaque scène du film et surtout l’action ; la tension et le drame sont parfaitement équilibrés. Même si les films Terminator et Predator ont fait la légende de Schwarzenegger, le meilleur rôle qu’il ait eu c’est bien celui-là. Sans hésiter, il vient s’ajouter à ma liste de films préférés ». Malika était contente. Elle avait regardé ce « petit bijou », et avait aussi eu la surprise de voir s’afficher sur son téléphone, le nom d’Abdoulaye Diop. En recevant son message, elle mit en pause le film qu’elle regardait – chose qu’elle faisait rarement, sauf si quelque chose brûlait dans la cuisine – pour répondre. Elle ne se berçait pas d’illusions, elle savait qu’Abdoulaye avait besoin de lui parler et non juste de bavarder joyeusement avec elle. Ils ne se connaissaient presque pas, de quoi pouvaient-ils discuter ? Elle saisit son téléphone, qui se trouvait près de son oreiller, pour regarder l’heure.

- Il est déjà 21 h, le temps passe vite quand on s’amuse, dit-elle de sa voix monotone.

Elle espérait avoir reçu un nouveau message. Malika ne comprenait pas pourquoi, mais elle ressentait une drôle de sensation qui traversait la totalité de son corps, un frisson indescriptible. Etait-elle excitée ? Elle souriait sans raison, elle le savait puisqu’elle venait de passer ses doigts sur ses lèvres, elle était heureuse. Au moment où elle s’en était rendu compte, une multitude de flashs, des bribes de mémoire, l’assaillirent. Malika suait à grosses gouttes et avait la nausée. Une folle sensation de vertige l’avait prise et la faisait valser, ces souvenirs d’une vie douloureuse qui l’empêchaient d’apprécier autre chose que son hobby, la torturaient inlassablement. Elle se tenait la tête entre les deux mains, pour les faire cesser. Elle perdit son sourire au fur et à mesure que ces dernières s’estompèrent, et elle avait retrouvé cet air neutre qui lui convenait et dans lequel elle était à l’aise. Elle prit un instant pour considérer son environnement sombre. L’appartement était calme, terne. La seule source de lumière était l’écran de la télévision. Dehors, les rues étaient animées et bondées comme à leur habitude. Rien ne semblait pouvoir troubler la quiétude de son logis, rien. Soudain, un bruit singulier attira son attention. Elle entendait des bruits de pas dans les escaliers, quelqu’un venait pour elle, puisqu’elle était la seule personne vivant à l’étage. Elle se leva et marcha avec plus précaution que d’habitude vers la porte d’entrée. Elle tendit l’oreille, essayant de saisir une voix ou un autre son particulier, lui permettant d’identifier son visiteur. Au moment où l’on frappait à la porte, son téléphone sonna. Elle ne l’entendit pas et baissa le loquet…

Pied au plancher, il roulait à toute vitesse sur l’autoroute, sans se soucier du monde qui l’entourait. Son cœur battait à l’unisson avec le moteur de sa voiture. Les quelques lumières des lampadaires l’éblouissaient, mais ne le gênaient pas. Il entendait les klaxons de toutes les voitures qu’il esquivait et qui se trouvaient sur son passage, il changeait les vitesses avec fureur. Abdoulaye n’arrivait pas à penser à autre chose qu’à elle, tout son esprit lui était dédié. Il aurait dû s’en rendre compte, Abdoulaye aurait dû comprendre que ces preuves, celles qu’on lui présentait et qui accusaient si facilement l’objet d’une vieille haine, avaient quelque chose de louche. Mais, il était aveuglé par la colère, et par ses actions, il plombait systématiquement l’enquête. Et maintenant, quelqu’un était en danger, et c’était entièrement de sa faute. Cependant, ce n’était plus le moment de culpabiliser. S’il pouvait faire quelque chose, c’était maintenant. Il lui fallait absolument arriver le plus vite possible chez elle et s’assurer que rien ne lui était arrivé.

Il s’était arrêté devant la petite maison à étage dans laquelle vivait Malika. Il poussa la première porte en métal, pénétra dans un petit couloir qui servait de hall d’entrée, et monta deux par deux, les marches du petit escalier qui se trouvait à sa gauche. Il ne fit pas attention à la vieille femme qui s’était installée devant la porte, à l’opposé des escaliers, et qui fut surprise de voir un inconnu entrer avec fracas dans leur maison, sans se présenter. Abdoulaye savait qu’il l’avait effrayée, et qu’elle irait surement chercher quelqu’un pour savoir ce qu’il faisait là et qui il était, mais il s’en fichait. Et au fur et à mesure qu’il gravissait les marches, une boule au ventre l’oppressait, il était en haleine. Il arriva devant une porte en bois. Sans attendre, il toqua une première fois et n’eut aucune réponse. Silence total. Il voulut répéter l’action, quand il remarqua que la porte était entrebâillée. Machinalement, il la poussa délicatement. Ce n’était pas normal, et il le savait. En temps normal, il aurait appelé son nom pour essayer d’avoir une réponse, mais tout était confus et flou dans sa tête, il était dans un état second. Il pénétra dans cet endroit sombre qui n’était éclairé que par un téléviseur encore allumé. Il passa sa main sur le premier mur qu’il put atteindre, pour trouver un interrupteur. Quand il réussit à le saisir, une ampoule qui se trouvait au-dessus de la pièce s’illumina. L’appartement était vide. A première vue, rien ne semblait avoir bougé, chaque chose était à une place définie. Dans sa tête, c’était le noir total. Il s’attendait à voir une scène horrible qui le laisserait médusé, incapable de réagir correctement. Le seul élément qui le troubla était le meuble se trouvant à côté de la porte, et qui était renversé. Ce qui s’y trouvait – un vase avec des roses en tissu – était en miettes. C’était cette chose qui rendait sa perception de la scène différente. Il essayait de se rassurer en se disant qu’elle était peut-être sortie en oubliant de refermer derrière elle, mais rien n’y fit. Pour lui, cette situation n’était pas normale. Elle ne pouvait pas avoir fait tomber ce meuble délibérément et ce dernier n’avait pas pu tomber de lui-même ; et si cela avait été un accident ou une maladresse de sa part elle, l’aurait remis à sa place avant de s’en aller. Quelque chose s’était inévitablement passé à cet endroit. Abdoulaye n’avait même pas remarqué le jeune homme qui était monté peu après lui, et qui semblait énervé par le comportement de l’enquêteur.

- Qu’est ce qui se passe ici ? demanda-t-il. Où est la femme qui habite ici ?

Il n’eut aucune réponse. Il saisit le bras d’Abdoulaye fermement, et le secoua pour manifester sa présence.

- Et toi, t’es qui? dit-il presque sur un ton oppressant. Qu’est-ce que tu fais ici ?

Abdoulaye ne daigna même pas tourner la tête, il se contenta juste de se libérer. Il fallait agir vite, pensa-t-il. La confusion se dissipait rapidement et l’ordre se réinstallait peu à peu. Il prit une grande inspiration et pénétra dans l’appartement. Il se mit à chercher un indice qui lui permettrait de savoir où se trouvait Malika.

- Hey, qu’est-ce que tu fais ? Je ne peux pas te laisser entrer. Descends avec moi !

- Ne descends pas, j’ai besoin de toi ici, dit-il en guise de réponse. C’est toi le proprio ?

- Non, c’est ma mère, et tu n’as pas d’ordre à me donner. Et si tu ne descends pas avec moi, je peux te jurer que t’auras de gros problèmes ! T’es un voleur, c’est ça ? Tu veux profiter de son absence pour faire ton affaire !

- Ecoute, vieux, continua-t-il sur un ton grave, la femme qui habite ici a surement des ennuis en ce moment même, alors la dernière chose dont j’ai besoin, c’est que tu me fasses une scène et que tu ramènes ta petite famille et les voisins ici. Alors, soit tu m’aides en t’assurant que personne d’autre ne monte, ou bien tu peux aussi rester dans l’entrée et la fermer.

- Des ennuis, elle ? répéta-t-il en paniquant. Mais, il faut appeler la gendarmerie !

- Je suis de la section Recherche, répliqua-t-il aussitôt. Maintenant, fais ton choix ! Tu m’aides ?

Il se retourna en disant ces mots, et son regard était celui d’un homme déterminé à faire son travail.

- Bien sûr, tout ce que tu veux ! répondit-il.

Abdoulaye était sur le point de lui poser quelques questions, quand son téléphone se mit à sonner. Il décrocha sur le coup et entendit la voix de son partenaire à l’autre bout :

- Allô, Abdoulaye ? J’ai besoin de savoir ce qui se passe, Malika va bien ?

- Elle n’est pas chez elle, Mansour, et la porte était ouverte quand je suis arrivé.

Il ne reçut aucune réponse.

- C’est quoi le problème ?

- Il y a que, Alioune est en train de flipper, il commence à craquer ; il n’a pas encore parlé, mais ce que tu lui as dit l’a vachement secoué, on dirait que tu as frappé dans le mille.

- Mansour, commença-t-il, toutes les preuves que l’on a rassemblées étaient fausses depuis le début. Elles ont été créées dans le seul but de faire accuser la personne la plus proche d’Abdou Karim, son assistante. Depuis le début, Alioune et le meurtrier se foutent de nous. Mais maintenant qu’ils sont en difficulté, ils tentent le tout pour le tout.

- Ils vont essayer de tout lui mettre sur le dos, continua Mansour, s’il reste muet, il pourra s’en sortir avec juste une condamnation pour détournement de fonds.

- C’est exact.

- Et tu dis qu’elle n’est pas chez elle. T’as essayé de l’appeler ?

- Elle ne répond pas.

Abdoulaye décrivait des cercles en marchant pendant qu’il parlait, l’anxiété tentait de s’emparer de lui, mais il restait concentré.

- Je vais essayer de mettre la pression sur l’expert-comptable.

- Il ne sait rien, Alioune s’est juste servi de lui pour ses combines.

- Je te rappelle dans quelques minutes.

Il raccrocha.

Cette conversation lui avait permis de mettre le doigt sur quelque chose qui le tracassait encore et encore : « tout est faux depuis le départ ». Ces mots revenaient sans cesse dans son esprit. C’était un élément important qui le mènerait directement à Malika. Soudain, un son retentit à travers toute la pièce. C’était une sonnerie de portable. Abdoulaye et le jeune homme qui montait la garde échangèrent des regards interrogateurs, mais ce n’étaient pas les leurs. Le son venait du matelas à côté duquel Abdoulaye se tenait. Il reconnaissait parfaitement ce son, c’était le téléphone de Malika, il se trouvait sous un oreiller. Abdoulaye avait un très mauvais pressentiment, il sentait sa main s’alourdir, alors qu’il essayait de l’atteindre. Son cœur reprit sa course effrénée. Il prit le téléphone au moment où il s’arrêtait de sonner. Abdoulaye l’alluma et eut sous les yeux, la réponse à tout ce mystère, comme un éclair qui s’était abattu sur lui. Bouillonnant de colère, il dévala les escaliers, son téléphone à la main composant le numéro de Mansour. Installé dans sa voiture, prêt à aller à la poursuite du meurtrier, il eut enfin son partenaire à l’appareil.

- Abdoulaye, t’as du nouveau ? …

- Je sais qui est le putain de complice d’Alioune, et j’ai besoin de ton aide pour le retrouver !

Son nom était évident, il l’avait clairement en tête et ne pouvait l’arracher de son esprit. Il savait à qui il avait affaire maintenant, et il ne lui pardonnerait pas ce qu’il avait fait. Alice était sa cible.

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