15.

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Deux jours entiers. Cela faisait deux jours que lui et Mansour se relayaient pour la faire parler. Mais rien. Elle ne répondait à aucune de leurs questions, et même ce séjour dans les locaux de la gendarmerie ne semblait pas l’affecter. C’était comme si elle les narguait. Ces interrogatoires l’avaient aussi épuisée. Cela faisait aussi deux jours de plus qu’il n’avait pratiquement pas fermé l’œil de la nuit. Mansour lui avait conseillé de prendre une demi-journée pour récupérer des forces, mais il refusa. Il se reposerait après ce dernier interrogatoire, pas avant. Cette entrevue serait décisive, car cette fois-ci, ils avaient quelque chose pour la confronter. En effet, on leur avait transmis une enveloppe dont le contenu l’accusait. Mansour était sorti, mais avait demandé à son équipier d’attendre son retour avant de l’interroger. Abdoulaye était assis sur sa chaise en face de son bureau, une cigarette à la main. Il regardait fixement l’enveloppe et son contenu. Il se gratta les joues et la gorge ; il ne s’était pas rasé. Un long silence rythmé par le son de l’horloge accrochée au mur, s’était installé.

- Désolé, Mansour, mais cette fois-ci, je le fais seul, finit-il par lâcher.

On l’avait fait entrer. Malika ne ressemblait plus à cette femme sûre d’elle qui était entrée dans leur bureau deux jours auparavant. Elle n’avait pas changé de vêtements. Sa chemise blanche déboutonnée semblait avoir jauni, et n’allait plus avec son pantalon taille haute. Elle avait détaché ses nattes, qui lui tombaient maintenant sur le visage de façon négligée. Non, elle était à bout de forces et il le savait. C’était le moment parfait pour l’acculer. Ils se fixaient du regard sans rien se dire. Elle avait toujours ce même regard qui l’agaçait. Il fallait lui tenir tête, ne pas céder.

- Tu n’as pas l’air très en forme, dit-il pour commencer, tu veux boire quelque chose ?

Elle n’émit aucune réponse et se contenta de le fixer, il continua.

- Tu sais, si tu coopérais un peu plus, on en aurait fini depuis longtemps ; crois-moi, je sais ce que ça fait de passer la nuit ici.

- J’ai dormi dans des endroits bien pires que celui-ci.

Puis plus aucune réponse. Il avait l’impression de parler à un mur. Un autre long silence s’était encore installé. La stratégie d’Abdoulaye était simple. En se basant sur ce qu’il savait d’elle, il fallait qu’il arrive à lui faire perdre son calme. Si elle était prise d’un sursaut de colère, elle ferait inévitablement des erreurs. Il fallait la pousser à bout. Plusieurs minutes s’étaient écoulées sans que personne ne parle. A la fin, Malika se décida à lui parler.

- A quoi tu joues ? finit-elle par demander.

- Au même jeu que toi. Si tu veux jouer la muette, on est deux à pouvoir le faire.

- Je suis innocente. Je n’ai rien à voir avec le meurtre d’Abdou Karim Niang, et même si je ne peux pas le prouver, le soir du meurtre je n’étais pas avec lui.

Abdoulaye ne répondit pas. Elle leur avait dit cela à chaque début d’interrogatoire.

- Tu n’es vraiment qu’un gamin, Abdoulaye.

Elle parlait plus que d’habitude ; sa stratégie portait ses fruits.

- Alors, tu te comportes réellement comme ça avec tout le monde. Pas étonnant qu’aucun membre de ta famille ne soit venu t’apporter à manger, des vêtements de rechange ou même prendre de tes nouvelles. Si tu veux mon avis, ils doivent souffler en sachant que tu ne leur poseras plus de problème.

Malika se contenta de mettre une jambe sur sa chaise et de la tenir avec ses mains. Anxiété. Il avait l’impression qu’elle était anxieuse. Comprenait-elle qu’ils avaient découvert quelque chose de réellement compromettant ?

- Ecoute, si tu te décides à parler, commença-t-il sur un ton moins rude, je le mentionnerai au Procureur.

- Combien de fois dois-je le répéter pour que vous le compreniez ? Je suis innocente.

« Elle commence à s’énerver, ça marche » pensa-t-il sur le coup. Il prit une enveloppe brune qui se trouvait en évidence et que Malika n’avait pas manqué de remarquer.

- Si tu le prends comme ça … dit-il sur un ton solennel ; je t’avais demandé lors de notre première rencontre, Malika, si ton patron avait une fois mentionné l’existence d’un dossier important, et qu’avais-tu répondu ?

- Que nous ne travaillions sur aucun dossier de ce genre-là, et que si une telle chose existait, j’aurais été la première au courant.

- Nous l’avons retrouvé, coupa-t-il.

Malika écarquilla des yeux. Alors, c’était ça le fameux dossier important, cette grande enveloppe brune qu’il tenait entre ses mains. Que pouvait-elle bien contenir ? Abdoulaye la lui tendit. Elle la saisit et en découvrit le contenu. C’étaient des lettres de chantage, toutes adressées à son ancien patron Abdou Karim, et qui avaient été rédigées sur un ordinateur.

- C’est … c’est impossible, finit-elle par dire.

- Tu dois surement te demander où nous l’avons retrouvée ?

- Sur mon bureau, répondit-elle machinalement.

Abdoulaye eut un sourire en coin. Elle était dos au mur, Malika n’avait plus aucune échappatoire, hélas, c’était la fin pour elle. Maintenant, tout ce qu’il fallait faire, c’était la pousser à bout. Mais, lui aussi était exténué, il n’en pouvait plus. Ses yeux ne distinguaient plus celle à qui il parlait. Peu importe le nombre de tasses de café qu’il prenait, cela ne changeait rien à la situation. Il ne pourrait avoir droit au repos qu’après en avoir terminé avec cette fichue enquête, qu’après qu’elle aurait définitivement disparu et qu’il n’aurait plus jamais à entendre parler d’elle, plus jamais.

- Bien, maintenant tu ne peux plus vraiment aller bien loin. Il faudrait peut-être reconsidérer ta déclaration. Tu dis que tu n’as rien à voir avec cette histoire de chantage, et pourtant, nous avons trouvé sur ton bureau, une enveloppe remplie des différentes lettres que tu as utilisées pour faire chanter ton patron.

Elle n’émit aucune réponse et se contenta à la place, de les feuilleter une par une. Elle ignorait son interlocuteur, ou du moins, ne prêtait aucune attention à ce qu’il disait.

- … Il avait réuni toutes les lettres qu’il avait reçues de toi pour pouvoir porter plainte, mais dans un dernier geste de bonté, il a surement voulu te raisonner. C’est pour cela qu’il était à son bureau ce soir-là. Il t’y avait convoquée pour te montrer cette enveloppe et te proposer de te rendre. On imagine facilement la suite. Te rendant compte qu’il te mettait en danger, tu t’es saisie d’une lame à portée de main et tu l’as exécuté. Mais, tu avais fait une erreur et tu l’as compris un peu trop tard ; tu as essayé de t’enfuir avec cette preuve. La cacher dans le dernier endroit dans lequel on irait fouiller était une bonne idée. Cependant, le temps rattrape tout le monde et toi non plus, tu n’échappes pas à cette règle.

- C’est la première fois que je vois ces lettres, dit-elle soudainement.

Exaspéré, Le jeune enquêteur se passa les mains sur la tête.

- J’en ai marre, dit-il énervé, tu rends les choses beaucoup plus compliquées qu’elles ne le sont déjà. A quoi tout cela rime à la fin ? Tu pouvais mettre fin à cette mascarade depuis le début …

- Elles ne sont pas manuscrites, donc il est impossible de prouver que j’en suis l’auteur. Dans ce cas-là, même toi, détective raté, tu pourrais les avoir écrites.

- Alors, comment expliques-tu que nous les ayons retrouvées dans tes tiroirs sous clé ? Si tu les as mises là-bas, cela veut dire que tu prévoyais de les récupérer plus tard.

- Je n’ai jamais rien caché dans mon bureau.

- Ça n’a aucun putain de sens !

- Et tu penses que tu en fais plus ?

Il se leva de sa chaise et alla vers la porte. La tension montait à grande vitesse, ils étaient seuls dans la pièce. Il savait qu’elle allait craquer, ce n’était qu’une question de temps, son visage traduisait la colère. Mais, lui aussi commençait à perdre patience. Il revint s’assoir à son bureau, sortit de sa poche une cigarette et un briquet.

- Ne fume pas ! dit-elle sur un ton menaçant.

Il l’ignora et aspira la première bouffée. D’un mouvement rapide de la main, elle lui retira la cigarette de la bouche pour l’écraser sur le bureau. Abdoulaye en saisit une deuxième sur-le-champ. Malika était mal à l’aise, anxieuse ; elle n’aimait pas cela.

- Si ça ne fait aucun sens, est-ce que tu es capable de m’expliquer pourquoi en moins de quelques mois, tes primes ont soudain augmenté ? Savais-tu qu’Abdou Karim détournait de l’argent de l’entreprise pour ça ?

- Il me harcelait.

Cette réponse le gela sur place.

- Ça a commencé peu après mon arrivée. Au début, c’était quelques compliments, puis des suggestions sur mon accoutrement, et après, il m’invitait carrément à dîner. Je n’ai jamais accepté ses avances. Et pourtant, ça ne l’a pas arrêté. Au contraire, j’avais l’impression que plus je le repoussais, plus ça l’encourageait à continuer. Il n’arrêtait pas de me faire des cadeaux, de me dire que si j’acceptais de sortir avec lui, j’aurais tout ce que je voulais, qu’il me suffirait de demander. Mon salaire qui gonflait anormalement, c’était juste une tentative de plus pour me séduire.

Elle s’était arrêtée comme pour prendre une pause.

- Mais évidemment, finit-elle par dire en fronçant les sourcils, si tu constituais mieux tes preuves, détective, tu verrais dans mes relevés de compte, que je retirais toujours la somme en trop pour la lui rendre.

- Et tu crois sérieusement que je vais croire à ton histoire sortie de nulle part ? dit-il d’une voix sans émotion. Si tu veux m’attendrir, c’est raté !

Abdoulaye s’était levé de sa chaise et s’était dirigé vers celle de la suspecte. Malika fut choquée par sa réponse.

- Qu’est-ce qui me prouve que tout ça, ce n’est pas juste un vaste tissu de conneries ? Rien. Il n’est plus là pour se défendre, alors c’est facile pour toi de raconter tout ça maintenant, au moment où ça t’arrange le plus.

Il s’était baissé vers elle, avait rapproché son visage du sien, comme pour lui montrer son impuissance face à lui. Malika était submergée par l’haleine nauséabonde du fumeur.

- Admettons un instant, juste un instant, que tout ce que tu me racontes soit vrai, au fond ça ne me choquerait pas. Je veux dire, ce serait même dans la logique des choses. Tu penses réellement qu’un homme qui passe son temps à mentir à tout le monde, à la presse, à se présenter partout comme un homme irréprochable aurait, ne serait-ce qu’une once de scrupule à tromper sa concubine ? En moins de deux ans, tu as été sa sixième assistante, tu le sais, n’est-ce pas ? Je pense que tu n’es pas la première à qui il faisait ce numéro et que c’est pour cette raison que les autres ont soudain démissionné. Cependant, je me pose une seule et même question, et à chaque fois, j’ai toujours la même réponse. Pourquoi est-ce que tu n’as pas fait la même chose que les autres, tu sais, juste démissionné ? Pourquoi es-tu restée alors qu’il te harcelait à longueur de journée ? La vérité, c’est que tu aimais ça et qu’en fait, tu as été la seule qui ait accepté d’ouvrir les jambes dès qu’il te l’a demandé.

Ses yeux avait viré au rouge. Comme un réflexe, sa main se leva, mais elle fut stoppée dans son élan ; une forte étreinte sur son poignet l’empêchait de bouger.

- Non, dit-il en resserrant son emprise de plus en plus, non ça fait déjà trop longtemps que tu ne peux plus me faire mal.

- Lâche-moi ! ordonna-t-elle d’une voix tremblante de rage.

Il s’exécuta. Il perdait le contrôle, il le savait. Il devait se ressaisir. Abdoulaye s’éloigna d’elle et lui montra son dos. Malika se massait le poignet.

- Alors c’est ce que tu veux détective, me faire disparaitre au fond d’un cachot pour régler tes comptes avec moi ?

Sa voix s’adoucit peu à peu et reprit son ton monotone habituel.

- C’est à cause d’Elle, n’est-ce pas ? lâcha-elle. C’est à cause de Codou que tu fais tout ça ?

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