7.

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Il n’avait pas réussi à se rendormir. Après moult tentatives infructueuses durant toute la nuit, il avait abandonné l’idée de retomber dans un sommeil profond. Ce faisant ce matin-là, il remarqua des rides autour de ses yeux, et tout ce qui le maintenait éveillé, c’était une tasse de café qu’il sirotait en espérant qu’elle fasse effet. Mansour avait vu l’état dans lequel se trouvait son ami, mais il ne voulut pas vraiment poser de questions.

Il était 10h quand le téléphone de Mansour sonna. Une petite discussion s’installa pendant quelques minutes, avant qu’il ne raccroche.

- Abdoulaye, Abdoulaye ! appela-t-il.

Il tourna lentement la tête.

- Wow, je ne sais pas ce que tu as fait hier soir pour être comme ça, mais il faut que tu te ressaisisses, frère !

- C’est toi qui me dis de me ressaisir ? putain, je dois encore rêver !

- Il faut bien que l’un de nous deux soit opérationnel. Je viens de raccrocher avec un de nos gars que j’ai envoyé confirmer l’alibi de ce cher Mar.

- Et alors ?

- Comme il l’a dit, il était bien à une fête organisée par une de ses connaissances.

Abdoulaye avait passé sa main sur sa tête en soupirant.

- T’inquiète pas, on avancera bien à un moment, on n’en est qu’au début, de toutes façons. Cette affaire commence à te prendre la tête.

L’enquête n’était pour rien dans le fait qu’il n’ait pas dormi, mais à quoi bon lui parler de ça ?

Abdoulaye s’était levé une heure plus tard ; il fallait qu’il sorte pour se changer les idées. De plus, il avait une sérieuse envie de fumer. Il était sur le point d’ouvrir la porte, quand la poignée de celle-ci se baissa d’elle-même. Abdoulaye stoppa net quand il vit qui se trouvait derrière. Un agent accompagnait une jeune femme habillée sobrement. Leurs regards s’étaient croisés. Pour lui, c’était comme si le temps s’était brutalement arrêté autour de lui. Il était face à un revenant, une personne dont l’existence avait depuis longtemps été ensevelie dans les sables du temps. Son visage avait blêmi. Etait-ce de la peur ? Non, cela n’y ressemblait pas du tout. Mais alors, pourquoi se sentait-il mal ? Il connaissait son nom, il savait qui elle était cette femme, qui n’avait pas tiqué en le voyant. Mansour – pour qui le temps s’écoulait normalement – avait vu toute la scène et avait accueilli la jeune femme.

- Vous êtes en retard, mademoiselle, plaisanta-t-il, la convocation était pour 10h30.

- Je suis désolée, dit-elle tout simplement.

Mansour s’était levé pour la saluer, il avait poussé son ami pour qu’il lui laisse le passage. Il lui avait indiqué un siège en face du bureau d’Abdoulaye et elle s’était installée. Mansour avait excusé l’attitude de son collègue et l’avait pris dans un coin de la pièce pour lui parler.

- Ah, je savais qu’elle te ferait de l’effet, t’es cloué sur place, mon gars. Tu ne dis plus rien, hein ? Bon, tu l’interroges et je vous écoute, d’accord ?

Il s’était assis face à elle. Il avait voulu refuser la proposition de Mansour, mais involontairement, sa bouche avait répondu à sa place. Il se dirigea vers son siège derrière son bureau. Il la tira et s’assit machinalement. Il savait ce qu’il fallait faire en cas d’interrogatoire. Il avait pris le cahier dans lequel étaient mentionnées toutes les dépositions qu’il avait prises. Il chercha pendant quelques secondes une règle et un stylo dans le bazar qui caractérisait bien son bureau, avant que Mansour ne lui prêtât enfin le sien. Il commença :

- Nom et prénom ?

- Malika Ndiaye.

- Profession ?

- Secrétaire.

- … statut ? demanda-t-il enfin.

- Célibataire, sans enfant.

A ce moment-là, on entendit un cri de joie étouffé provenant de derrière la jeune femme. Abdoulaye regarda d’un air désespéré, son collègue qui, triomphant, s’était levé.

- Hum, je sors quelques minutes, dit-il tout joyeux, je te laisse gérer ça.

Une fois qu’il eut refermé la porte, Abdoulaye continua.

- Nous vous avons convoquée, Mlle Ndiaye, pour vous poser quelques questions. Tout d’abord, …

Il avait cessé de parler, car elle avait fixé son regard sur lui. Il était différent de celui qu’elle arborait en entrant dans la pièce. Elle avait échangé son regard désintéressé et blasé pour un autre qui transperçait l’homme qu’elle fixait. Ces yeux, Abdoulaye s’y noyait.

- Tu sais, maintenant qu’il est parti, tu n’es plus obligé de faire comme si tu ne me connaissais pas, finit-elle par lâcher lentement d’une voix légère, cela fait un bail que l’on ne s’est pas vus. Comment vas-tu, Abdoulaye Diop ?

Il se détendit soudain. Il ne comprenait pas pourquoi, mais toute la tension qui s’était accumulée en lui était miraculeusement retombée. Il avait reposé le stylo sur le cahier, s’était repositionné sur son siège, avait croisé les bras et avait poussé un long soupir.

- Je vais bien, Malika, merci de demander, mais dis donc, tu n’as pas changé, à ce que je vois. Ça fait combien de temps depuis la dernière fois ?

- 5 ans.

- Déjà 5 ans, le temps nous file entre les doigts à une de ces vitesses ! dit-il sur un ton ironique.

- Toi aussi tu sembles ne pas avoir changé, à ce que je vois, tu as finalement pu devenir enquêteur. Ce n’est pas surprenant venant de toi, félicitations !

- Merci. Ce qui me surprend le plus, c’est comment tu as fini, lança-t-il.

Elle haussa les sourcils en signe d’incompréhension.

- Tout le monde en classe pensait que tu aurais un grand poste avec un bureau climatisé, chauffeur et voiture de service compris.

- Ce travail n’est pas mal.

Abdoulaye avait pris le paquet de cigarettes qui s’était caché dans un des tiroirs de son bureau ; il saisit son briquet et continua :

- Ca ne te dérange pas, si j’en grille une ?

- Si. Cela me dérangerait beaucoup.

Il les reposa sur la table, d’un geste lent.

- Tu sais, les gens acceptent généralement de me laisser fumer quand je le leur demande gentiment.

Elle n’avait pas répondu et s’était tout simplement contentée de détourner le regard. Une atmosphère chargée en électricité flottait dans la pièce à ce moment-là. Etaient-ils sur le point de se battre ? Pourquoi se comportaient-ils de la sorte ? Se jaugeaient-ils ? Ce qui était sûr, c‘est qu’Abdoulaye voulait en finir le plus vite possible. L’idée de rester une minute de plus dans cette pièce avec cette femme commençait à l’étouffer.

- Bon, venons-en aux faits. Ton patron est mort et notre enquête nous a révélé qu’il serait revenu à son bureau pour récupérer un dossier important qu’il aurait oublié, ou bien sur lequel vous auriez travaillé. Aucune idée de ce que cela pourrait bien être ? Je sais que tu étais aussi son assistante.

- Un dossier important ? … je ne m‘en souviens pas.

- Allez, ne me dis pas qu’il ne t’en a pas parlé, c’est obligé.

- Je suis catégorique. J’étais chargée de régler toute sa paperasse. Je programmais ses rendez-vous, gérais son agenda, répondais à son téléphone, lisais son courrier et rangeais tout ce qui était dossier. S’il y avait bien un dossier important dont il s’occupait – même personnel –, tu te doutes bien que j’aurais été la première au courant.

La piste du dossier, direct à la poubelle, pensa-t-il tout de suite.

- De là où tu es postée, tu vois toutes les entrées, n’est-ce pas ? Alors si par hasard un gars se ramène dans vos locaux avec la ferme intention de refroidir ton patron, tu le verrais de loin ?

- Evidemment.

- Et personne n’a récemment proféré des menaces de mort envers Abdou Karim ? Il n’a eu de démêlés avec personne ?

- Non, pas à ma connaissance. Il avait de bonnes relations avec tout le monde. De plus, il n’aimait pas recevoir des gens à l’improviste. La seule personne qu’il tolérait, c’était Alice.

Il avait lancé sa tête vers l’arrière et fixait à présent le plafond. Aucun suspect à l’horizon.

- Tu sais, le bureau n’est pas le seul endroit où il peut rencontrer des gens. Je ne te dis que ce que je vois. Si tu cherches une personne en particulier, tu devrais visiter les endroits qu’il fréquentait le plus.

Elle ouvrit son sac à main et en sortit un stylo et un bloc-notes. Elle y griffonna quelques mots, avant d’arracher la feuille.

- Tiens, dit-elle en lui remettant la note, peut-être que là-bas quelqu’un aura vu quelque chose. Et je ne sais pas si c’est important, mais récemment, Abdou Karim s’est beaucoup entretenu avec celui qui s’occupe des finances de la maison de disques.

- Et de quoi parlaient-ils ? demanda Abdoulaye, curieux.

- Aucune idée, mais ça avait l’air important, ils ne voulaient pas être dérangés.

Malika s’était levée juste après qu’il lui ait posé d’autres questions. Elle saisit son sac à main et se dirigea vers la porte du bureau.

- Merci pour ton aide, tu as été très coopérative, nous te recontacterons si nous avions besoin de plus d’infos.

- Ne te fais pas d’idées, moi aussi Abdoulaye, je voulais en finir au plus vite avec cet interrogatoire. J’espère que je n’aurai plus à remettre les pieds ici.

Abdoulaye fronça les sourcils. Cependant, il attendit le moment où elle s’apprêtait à passer la porte, pour lui lancer :

- Dis-moi, où te trouvais-tu, le soir du meurtre ?

- Chez moi, je dormais à cette heure-là.

- Qui peut le confirmer ?

- Personne.

Ils ne s’étaient pas échangé d’au revoir, rien. La porte avait fait le bruit habituel à chaque fois que quelqu’un passait, Malika avait quitté la salle. Elle avait emporté avec elle, la drôle d’ambiance, et il ne restait plus que le jeune enquêteur. Mansour allait bientôt revenir, il allait profiter de ce moment pour fumer. Après avoir expiré la fumée de sa cigarette, il tourna son regard vers la porte et dit d’un ton grave :

- On se reverra bientôt, ça tu peux me croire, Malika.

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