8.

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Ils avaient sillonné toutes les rues du centre-ville et étaient passés par tous les endroits que la mystérieuse assistante d’Abdou Karim leur avait recommandés. Ils s’étaient mêlés à la masse d’habitants qui s’étaient approprié les trottoirs de la ville. Le centre-ville de Dakar était le cœur de toutes les activités. A toutes les heures de la journée, les rues étaient constamment bondées. Les gens s’y rendaient pour différentes raisons comme le travail, ou juste pour passer du bon temps. C’était aussi là-bas où étaient concentrées toutes les plus belles boutiques, dans lesquelles on pouvait trouver de tout.

D’après les différents témoignages qu’ils avaient recueillis, Abdou Karim était un homme remarquable. D’une générosité sans égale – à en croire tous les bénéficiaires des pourboires qu’il laissait derrière lui –, il était aussi plein d’attention pour sa compagne. Ce qu’on pouvait dire, c’est que cet homme que la presse n’avait pas arrêté d’encenser, avait fait honneur à toutes les actions qu’on lui prêtait. De ce fait, personne ne pouvait vraiment attester si un jour, quelqu’un avait eu à se plaindre de lui, que ce soit dans les boutiques dans lesquelles il passait des heures en compagnie d’Alice, ou des petits bars dans lesquels il avait siroté quelques jus locaux.

Cette petite expédition dans le centre-ville n’était certes pas très concluante, mais cela ne semblait pas gêner Mansour, qui bombardait Abdoulaye de questions de tous genres au sujet de la mystérieuse Malika Ndiaye, qu’il avait eu le privilège de rencontrer et d’interroger. Le jeune enquêteur, lui, regrettait plutôt sa maladresse, en ayant annoncé à son collègue qu’il connaissait déjà la demoiselle.

- Et vous étiez vraiment dans les mêmes classes au lycée ?

- Oui, répondit-il avec lassitude. De la seconde jusqu’à la terminale.

- Dieu fait bien les choses ! 3 ans dans la même classe qu’elle, hey, tu crois que tu peux me la présenter vite fait ?

D’aussi loin qu’il se souvenait, il avait gardé de très bons contacts avec les anciens camarades de sa promotion, mais jamais avec elle. Le fait qu’il ne lui avait jamais vraiment adressé la parole y était pour beaucoup. De plus, il ne lui avait pas expliqué comment s’était déroulé l’interrogatoire, comment elle avait brusquement changé d’attitude après son départ.

- Sur ce coup-là, frère, je ne peux rien pour toi, désolé.

- T’es qu’un chien !

Il voulait lui dire que cette femme était un vrai poison et qu’il ne la présenterait même pas à son pire ennemi. Mais à quoi bon ? Il préférait voir la réaction de Mansour, au moment où il découvrirait que cette femme le méprisait sûrement depuis leur première rencontre.

Ils se dirigèrent tous les deux vers le port, qui se trouvait en contrebas du centre-ville. L’odeur du poisson mêlée à celle de la mer, s’intensifiait à mesure qu’ils s’en approchaient. Désagréable au début, mais on s’y habituait rapidement.

Après avoir bousculé un nombre incroyable de personnes et tourné dans plusieurs ruelles, ils débouchèrent finalement sur une rue étroite, dans laquelle ils s’engagèrent. A mi-chemin, ils prirent à gauche et poussèrent une porte. Au moment d’entrer dans ce qui semblait être une boutique, ils furent bousculés par un petit homme qui lui aussi, sortait précipitamment. Abdoulaye s’était retourné l’instant d’après, mais le bonhomme avait déjà disparu. Encore lui ! pensa-t-il. Abdoulaye sortit dans la rue pour le retrouver, mais celui-ci s’était déjà mêlé aux passants.

Mansour discutait avec la réceptionniste qui se tenait derrière un comptoir. Abdoulaye n’avait pas remarqué l’intérieur de l’établissement et les gens qui attendaient. C’était un salon de massage, de toute évidence. La file d’attente était composée de personnes âgées et deux femmes enceintes. Le jeune enquêteur s’était rapproché de son collègue pour écouter ce qui se disait.

- Comment ça, vous ne pouvez rien me dire ? s’exclama-t-il en wolof.

- Je ne peux rien vous dire sur nos clients.

- Ce n’est pas grand-chose, je veux juste savoir si c’est un grand habitué de votre salon et qui s’occupait de lui. C’est pour une enquête.

Elle avait secoué la tête en signe de refus. Abdoulaye l’observait et essayait de comprendre où se trouvait le problème. Pas très futée, celle-là, pensa-t-il, elle avait visiblement très peur d’eux et essayait de se débarrasser des deux gendarmes qui troublaient l’atmosphère paisible de l’endroit. Cependant, elle ne comprenait pas qu’en refusant de répondre aux questions qu’on lui posait, elle confortait les deux enquêteurs dans leur position : quelque chose de louche se passait.

- J’imagine que je ne peux pas discuter avec votre patron ?

- Il n’est pas ici.

- Et est-ce qu’il a un numéro sur lequel on peut le joindre ?

Elle hocha encore la tête.

- L’homme qui vient de sortir me demandait la même chose que vous, mon patron n’est pas là.

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase, que la porte principale s’ouvrit sur un homme qui, les yeux rivés sur son smartphone, n’avait pas remarqué toutes les personnes présentes dans le salon. Sa façon de saluer bruyamment toute l’assemblée, sans même lever les yeux de son téléphone, et l’expression qui s’était inscrite sur le visage de la jeune femme, indiquaient que c’était lui qui était en charge des lieux.

- Fatima, dis-moi, est-ce que j’ai eu de la visite …

Quand il releva enfin la tête, son visage se décomposa.

Mansour souriait. Il connaissait bien la personne qui venait de faire irruption. C’était une vieille connaissance.

- Khadim ! dit-il en se rapprochant de lui pour le saluer. Alors, comment tu vas ? Et la famille ?

- Mansour, mais qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il, pas encore remis de sa surprise.

- Rien, j’essaie juste de faire mon boulot. Mais, figure-toi que je viens pour poser des questions, et personne ne veut répondre.

- C’est normal, si tu veux des infos sur un de nos clients, ce sera impossible.

Le grand enquêteur avait soudain froncé les sourcils, et son regard se dirigea vers le groupe de personnes qui attendaient sûrement depuis plusieurs minutes, leur tour pour se faire masser.

- Section Recherche de la Gendarmerie, nous vous demandons de bien vouloir sortir d’ici. Attendez dans la rue, ce ne sera pas long.

Mansour dut réitérer sa demande, avec plus de fermeté cette fois, pour que les clients se décident à s’exécuter, non sans rechigner. La réceptionniste les suivit, estimant qu’elle n’avait plus rien à faire ici. Abdoulaye restait en spectateur, aidant les clients fatigués par l’attente, à sortir.

- Pourquoi vous faites ça ? Vous voulez me ruiner, c’est ça ? dit Khadim exaspéré.

- Loin de là, mon ami. Donne-moi juste ce que je veux et puis nous on s’en va, c’est tout.

- Et si je refuse ?

- Si tu refuses, je vais vraiment te ruiner.

- Juste pour le plaisir ? Hey ! ce salon, je l’ai ouvert en respectant toutes les procédures. En d’autres termes, je suis clean !

Mansour éclata de rire.

- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Khadim, visiblement à bout de nerfs.

- Ne me fais pas rire, s’il te plaît, tu es possédé par de drôles de génies qui te forcent constamment à retourner dans de sales affaires. Alors, si tu me dis que ton petit commerce est tout ce qu’il y a de plus réglo … tu vois, j’ai beau me forcer, je ne te crois pas.

Le bonhomme un peu enrobé qu’était Khadim Sèye, était en effet un ancien repris de justice que Mansour avait rencontré à plusieurs reprises, dans différentes affaires de petits vols et d’escroquerie. Mansour avait posé sa main sur l’épaule de celui qu’il dominait. Abdoulaye savait ce que son collègue faisait. Utiliser sa taille pour écraser et mettre mal à l’aise les gens que l’on interrogeait, c’était une méthode qu’il trouvait assez intelligente : mettre à son avantage une caractéristique physique. De son côté, il explorait la salle d’attente. Il avait sorti une cigarette et avait posé son habituelle question avant de l’allumer.

- Ouais, faites ce que vous voulez. Mais moi, tout ce que je veux, c’est que vous vous en alliez !

- Pas possible, je te l’ai déjà dit. En tout cas, pas avant d’avoir trouvé ce que je cherche.

- Je t’ai dit que je ne peux rien te dire. Le secret professionnel, ça te parle ?

- Si on en arrive là, lâcha-t-il après un soupir, c’est uniquement de ta faute !

Puis se retournant vers son collègue :

- Qu’est-ce que t’as trouvé d’intéressant ?

- Entre 4 et 5 kilos de chanvre bien cachés dans l’arrière-boutique, dit-il tout simplement, en montrant la pièce dont il sortait.

- Clean, hein ? Tu sais j’ai presque de la peine pour toi, parce qu’avec tout ce yamba, tu risques gros. Je veux bien t’aider … mais tu vois, le secret professionnel, tout ça …

A ce moment-là, le sol sous ses pieds semblait s’effacer. Il prit une chaise et sortit un mouchoir pour éponger la sueur qui perlait son front.

- Ecoute, Mansour, commença-t-il, après quelques secondes de réflexion qu’il s’était accordées, ça ne se voit pas vraiment, mais à part les vieillards et les femmes enceintes, des personnes très importantes fréquentent mon salon …

- Ça, je l’avais compris, et tu vois, la personne sur laquelle je veux tout savoir, en fait partie.

- Abdou Karim Niang, n’est-ce pas ? J’ai lu les journaux, il paraît qu’il s’est fait tuer.

Abdoulaye restait simple spectateur, il n’avait aucune envie d’intervenir.

- D’après ce que j’ai entendu, il venait solliciter nos masseurs pour ses problèmes de genou.

- De genou ?

- Ouais. Des séquelles d’un accident.

- Il n’a jamais eu de problèmes avec personne ?

- Non, c’est comme tout le monde le dit, c’était un mec sympa.

Mansour soupira en signe de défaite, car finalement, ils n’avaient pas appris grand-chose de nouveau.

- C’est tout, il n’y a que ça ? Je veux dire, c’était si dur de cracher le morceau ?

Khadim ne répondit pas et se contenta juste de regarder l’heure sur son téléphone. Abdoulaye avait fini sa cigarette. Il n’avait pas parlé depuis qu’ils étaient tous les trois seuls dans la pièce, mais il allait bientôt changer çà.

- C’était un client spécial, n’est-ce pas ?

- Quoi ? fit son interlocuteur, surpris.

- Il profitait de ton stock, c’est la seule raison pour laquelle tu ne veux rien dire.

Mansour se tourna vers son ami avec un air satisfait, puis lui dit

- J’espère que tu n’es pour rien dans sa mort ?

- Non ! protesta-t-il vivement en se levant, j’y suis pour rien !

Abdoulaye et Mansour se rapprochaient de lui au fur et à mesure qu’il reculait. L’objectif était de l’acculer, exercer sur lui une pression telle, qu’il n’aurait plus d’autre choix que de tout dire.

- Écoute, toi-là avec ton regard, je vois très bien à quoi tu penses, dit-il en pointant Abdoulaye du doigt. Je ne l’ai pas tué, merde ! C’était un bon payeur. Çà fait pas longtemps que j’ai commencé ce commerce, et c’était le client qui me posait le moins de problèmes. On lui livrait la marchandise et il payait, c’était tout.

- Tu ne nous caches rien d’autre ? fit Mansour, suspicieux.

- C’est tout ce que je sais, je le jure sur le Saint Coran ! Si vous voulez en savoir plus, parlez à celui qui lui faisait les livraisons.

Mansour ne dit plus rien et se contenta de prendre le numéro qu’on lui donnait. Les deux agents en avaient terminé avec le pauvre gérant du salon, qui était encore tout bouleversé par la visite qu’il venait de recevoir. Les clients attendaient encore dans la rue, et lorsque les gendarmes sortirent, ils furent accueillis par des regards noirs, auxquels ils ne prêtèrent aucune attention, car ils sentaient qu’ils avaient enfin quelque chose de sérieux. Plus tard, Mansour lâcha à son collègue, tandis qu’ils regagnaient leur voiture :

- Hey, Abdoulaye, t’as pas beaucoup causé là-bas, tu pensais à quoi ?

- Que si on l’avait embarqué, on n’aurait pas perdu autant de temps.

- Dis, ça t’arrive de m’écouter quand je te parle ? « Tout se négocie ». Khadim est plus utile dehors qu’en taule. Certes, il va trouver un moyen de se débarrasser de tout son stock avant qu’on y envoie quelques-uns de nos gars pour lui rendre visite, mais au moins, on est sûrs d’une chose : il ne nous a pas menti. De plus, le connaissant, il nous redonnera l’occasion de le coincer.

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