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Abdoulaye marchait dans les rues de Colobane. Il faisait déjà 10h du matin quand il sortait d’un Tangana –un commerce de fortune ou l’on vendait le petit déjeuner pour quelques pièces – et le ventre plein il se dirigeait vers son lieu de travail. Il avait pris comme d’habitude une tasse de Kinkéliba – une tisane faite à partir de feuille du même nom- et la moitié d’une miche de pain au chocolat. La faim avait eu une violente étreinte sur lui et il devait y remédier. Il avait dans sa main un pain garni de petit pois et de sauce, enroulé dans une feuille de journal. Il était destinait à son collègue qui lui aussi mourrait de faim.

Il était enfin arrivé devant la caserne Samba Diery Diallo. Au Sénégal la gendarmerie était l’un des corps de l’armée avec le plus de budget, cette caserne l’illustrait bien. Elle avait à sa disposition du matériel de qualité, des services performant et des hommes avec un entrainement complet. La caserne était tout simplement immense, elle pouvait constituer, à elle seule, tout un quartier. Des maisons et de petits appartements côtoyaient les bâtiments administratifs et avec le temps même des maternelles et des écoles élémentaires avaient fini par s’installer. Il traversa le camp et arriva, après quelques minutes de marche, devant le bâtiment qui abritait la Section Recherche. C’était un immeuble élevé sur un étage avec des murs peints en beige. Il n’avait rien de bien spécial. L’intérieur aussi était banal avec ces petits carreaux marron et ces murs blancs. Les couloirs fourmillaient de monde. La particularité de la Section Recherche de la gendarmerie était que la plupart de ceux qui y travaillait étaient habillés en civil. Ils étaient doués pour l’infiltration. De la vendeuse de légumes à l’artiste de rue en passant par le simple employé de bureau, ils étaient partout. Seul un œil entrainé pour pouvait prétendre les démasquer. Abdoulaye emprunta l’escalier qui menait à l’étage, c’était là où se trouvaient tous les bureaux. Il s’avança à travers les couloirs et salua deux collègues avant de pousser la porte d’une pièce. Elle n’était pas bien grande, elle avait pour meubles 3 bureaux en métal et était peinte d’un bleu fade. Mansour était assis sur son bureau et était concentré sur des documents. Cette vision avait surpris le jeune enquêteur qui ne voyait pas cela tout le temps. Quand Abdoulaye fut transféré dans cette section de la gendarmerie il avait été placé sous la responsabilité de ce dernier qui devait lui apprendre les ficelles du métier. Mais Mansour n’était pas quelqu’un qui aimait beaucoup travailler. Ces plus grands centres d’intérêt étaient les femmes et l’argent. Cela ne l’avait jamais vraiment dérangé, au contraire s’il avait été quelqu’un de coincé il ne serait jamais d’aussi bons amis.

- Je ne t’ai jamais aussi concentré, qu’est-ce qu’il y a ? on t’a promis une prime si tu boucles l’enquête rapidement. Si c’est le cas on partage l’argent

Mansour leva doucement la tête pour fixer son interlocuteur

- Non, je lis les pronostics des courses de chevaux de la Lonase

Découragé et amusé par la réponse de son ami, le jeune enquêteur ne voulut pas poursuivre. A quoi je pensais quand je lui posais cette question ? Se demandait-il en levant les yeux au ciel.

- Alors tu as ce que je t’ai demandé ?

- Tiens, lui dit-il en posant le pain sur sa table.

- Enfin tu en as mis du temps, est-ce qu’elle a mis du piment ?

- Elle n’en avait plus

- C’est pas grave, tu ne sais même pas à quel point j’ai faim. J’ai rien mangé depuis hier soir.

- J’en suis navré frère, répondit-il instinctivement.

- Tu dis ça comme si tu en avais quelque chose à faire

Mansour, impatient, croqua dans l’objet de sa convoitise sans se soucier de l’odeur qu’il dégageait. Celle-ci ne dérangeait pas Abdoulaye et elle ne dérangerait personne d’autre. Le troisième occupant de la pièce, celui à qui appartenait le dernier bureau – celui du fond – avait demandé une disponibilité et ne s’était plus représenté depuis. Abdoulaye alla s’installait sur sa chaise. Son bureau était constamment désordonné, il y trainait des feuilles, un paquet de cigarettes vide, quelques dossiers qu’il n’avait pas rangé la veille et un vieux calendrier de l’année d’avant qui lui servait de sous-main. Parmi tout le bazar qui régnait sur son espace de travail, il avait remarqué des feuilles de papiers liées par un trombone comportant des écritures brouillonnes faites au stylo à bille.

- C’est quoi ? demanda-t-il en les brandissant

- Profils et liste de suspects

- T’es plutôt efficace quand tu le veux, s’exclama-t-il surpris, on doit tous les interroger, on a beaucoup de travail. Remarque, ce n’est pas n’importe qui qui s’est fait assassiner.

L’enquêteur se mit à examiner le document qu’on lui avait fait parvenir et parcouru du regard tous les noms qui s’y trouvaient.

- tu as pu obtenir quelque chose du gardien de l’immeuble ? dit-il soudainement

- J’ai dut le secouer pour qu’il change sa version. Figure-toi qu’il y a bien un moment où il a quitté son poste. Disons qu’il ne voulait pas perdre son travail

- Il sait que c’est à cause de lui qu’on ne peut pas identifier le meurtrier. Et du côté des caméras de surveillances, il n’y a aucuns enregistrements. J’en ai remarqué quelques-unes à l’entrée avec un bon angle

- On a déjà fait un tour par là-bas, il semblerait que le propriétaire les a faites installer mais elles ne sont pas opérationnelles.

- Et l’arme du crime, la recherche a donné quelque chose ?

- Aux dernières nouvelles on sait juste que l’on doit trouver une petite lame. Le problème c’est juste que l’on a aucune idée de l’endroit où il faut chercher. Cette lame peut bien avoir fini dans une poubelle à la Médina ou au fond d’un canal à ciel ouvert à l’autre bout de la ville. Si tu pensais pouvoir trouver quelque chose avec cette piste …

- C’est raté, termina-t-il

- La seule option à ce stade-là, continua Mansour, c’est d’éplucher cette liste. En interrogeant toutes ces personnes ont trouvera surement quelque chose d’intéressant.

Son coéquipier avait raison, il ne pouvait s’attendre qu’à ça. Il savait que cette enquête serait beaucoup plus compliquée que d’habitude et il l’avait compris. En lisant les différents noms qui s’étalaient sur la liste qu’on lui avait remis, il remarqua que celle-ci était étrangement bien établie.

- Dis, c’est pas pour me foutre de toi, mais t’a pas fait cette liste tout seul ?

Le visage du gendarme s’était décomposé en un instant

- Boy, j’ai complètement oublié de te raconter ce qui m’est arrivé quand t’es parti.

La vie n’avait plus aucun sens pour elle. Tout son monde s’était effondré quand on lui avait annoncé la nouvelle. C’est comme si le sol sous ses pieds s’était évaporé et qu’elle tombait dans un trou sans fond. Son cerveau n’avait réalisé que bien plus tard la réalité de la situation, l’amour de sa vie était mort. L’homme avec qui elle pensait passer le reste de sa vie, avec qui elle pensait avoir des enfants qu’elle verrait grandir et s’épanouir ne reviendrait plus dans leur foyer. Alice était restée toute la journée dans son immense chambre, couchée dans son lit qu’elle ne partagerait avec son confident de toujours. Son esprit se remémorait dans une boucle infernale tous les bons moments passés ensemble. C’était une torture qui aurait raison de son esprit. Cependant un bruit lointain qui résonnait dans toute la pièce l’avait tiré de se supplice. Quelqu’un frappait à sa porte. Une femme de petite taille qui visiblement était sa domestique était venue la prévenir de la visite de deux hommes. Alice la renvoya mais elle se sentit obligé de descendre quand sa domestique précisa qu’ils insistaient pour la voir immédiatement. Après avoir descendu les escaliers elle traversa le hall et se dirigea vers le salon où l’on avait installé ses visiteurs incongrus. Ceux-ci se levèrent pour accueillir la maîtresse des lieux

- bonjour, fit-elle en entrant

- bonjour Mme Niang, répondit le plus grand des deux, mon collègue et moi-même aimerions avant tout vous présenter nos condoléance les plus sincères pour la mort de votre mari

- nous n’étions pas mariés, dit-elle avec un pincement au cœur, je peux savoir qui êtes-vous et ce que vous me voulez

- Section Recherche de la gendarmerie, répondit le second, nous sommes les agents Abdoulaye Diop et Mansour Fall. Nous sommes désolés de vous déranger mais nous aimerions vous poser quelques questions concernant la mort de votre amant.

Après quelques secondes d’hésitations elle consentit finalement à s’assoir. Alice était installait sur un canapé tandis que les deux gendarmes étaient chacun sur un fauteuil l’un à côté de l’autre. Elle avait remonté ses jambes et serrait contre elle un coussin

- Que voulez-vous savoir ?

Mansour se chargeait de poser les questions tandis que son collègue restait muet

- Qui selon vous en voulais à votre amant au point de l’assassiner, devait-il des comptes à quelqu’un en particulier ?

- Je n’en ai aucune idée

- A-t-il reçu des menaces de mort ?

- Non ! répondit-elle catégoriquement. Ecoutez, être le dirigeant d’une entreprise comme Golden Jam amène à faire beaucoup de rencontre. Chaque rencontre que l’on fait pendant sa carrière est un potentiel allié ou un potentiel ennemi. C’est le milieu de la concurrence qui veut cela. Mais cela ne va jamais jusqu’à assassiner quelqu’un.

- Alors vous a-t-il confié ses récents problèmes ?

- A ma connaissance … non. Abdou Karim s’occupait personnellement de ma carrière. Album interview, tourné, en plus d’être mon producteur il était aussi mon agent. Toutes les décisions me concernant nous les prenions toujours ensemble et dès qu’un problème se présentait nous le réglions. Sur le plan professionnel comme sur le plan privé nous n’avions aucun secret l’un pour l’autre.

Abdoulaye écoutait cette discussion d’une oreille distraite. Il regardait tout autour de lui et contemplait la pièce dans laquelle il se trouvait. Les décorations reflétaient parfaitement leur niveau de vie. Luxe, c’était le mot qui résumé parfaitement l’ensemble des objets qui se trouvait dans la pièce. Les fauteuils en cuir, le tapis sur lequel ils posaient leurs pieds, la table basse en marbre sur laquelle un vase en cristal, tout retenait son attention. Un immense lustre étrangement sophistiqué était suspendu au-dessus de leur tête. Ils ne connaissent pas la simplicité ? dit-il en regardant la pièce d’ensemble. Cependant quelque chose en particulier avait retenu son attention. Sur l’un des murs de la pièce était accroché une photo encadrée du couple à ses débuts. Elle avait surement été prise lors d’une fête à la volée. Le photographe avait bien réussi son cliché, il avait parfaitement retranscrit l’amour, le bonheur et la joie de vivre des jeunes tourtereaux à ce moment. Abdoulaye regardait successivement la photo puis Alice qui ne cessait de faire de son mieux pour répondre aux questions qu’on lui posait. Sur la photo, au côté de son homme elle rayonnait de mille feux avec sa robe décolletée à strass et son maquillage coloré. Mais là son visage assombri par la tristesse était couvert par un voile blanc. Elle était en tout point différent de la femme qui, sur la photo, posait un baiser innocent sur la joue de son compagnon. Peut-être ne serait-elle plus jamais pareil.

- … nous avons déjeuné ensemble en ville, puis il est retourné à son bureau. Il m’a rejoint à la maison le soir et nous sommes retourné ensuite en ville. Nous y avons passé toutes la soirée. Nous sortions vers 23h du restaurant quand il m’a dit qu’il fallait qu’il retourne à son bureau récupérer un dossier important.

- Un dossier important ? répéta Abdoulaye qui s’intéresser soudain à la conversation

- Oui … j’ai trouvé cela bizarre aussi. Il gardait tous ces documents dans son ordinateur qui se trouve dans notre chambre.

- Madame, je sais que mon collègue vous a déjà posé cette question et que tout cela devient pénible mais je veux que vous répondez à cette question, pensez-vous que quelqu’un en voulait à votre amant ? avait-il changé de comportement vis-à-vis de vous ou de quelqu’un en particulier ?

- Non, je ne sais pas, dit-elle confuse

- Vous ne pensez pas à quelqu’un en particulier ? réfléchissez bien

Elle refreinait ses larmes et essayait de se concentrer.

Les accusations d’une personne bouleversée sont très rarement fiables et Abdoulaye le savait mais elles peuvent servir pour débuter une piste. Après quelque secondes elle se décida enfin à parler

- Il y a bien quelqu’un qui me vient, mais je ne sais pas si …

- Dites toujours, s’exclama-t-il impatient

- Abdou Karim était quelqu’un qui était très proche avec ces employés. Il avait la réputation d’être un bon employeur et avait de bonnes relations avec son personnel, surtout avec ses secrétaires. Il pensait que c’était normal vu qu’ils devaient travailler ensemble. Mais il y a 6 mois de cela il avait engageait une nouvelle secrétaire sur recommandation après que la dernière ait tout simplement cessé de venir. Elle est efficace et fourni un travail monstre. Elle s’occupait de tout pour lui. Toujours joignable, elle est tout le temps disponible

- Et quel est le problème ?

- Je ne sais pas … elle est –à mon goût- trop parfaite. On ne sait jamais à quoi elle pense, elle ne parle presque pas et quand elle fait c’est comme si elle était, fausse. De plus depuis quelques mois Abdou Karim était devenu un peu méfiant envers elle.

Les deux gendarmes en avaient fini, ils ne pouvaient plus rien tirer de cette discussion. Ils se levèrent en même temps et se dirigèrent vers la sortit en laissant derrière eux la pauvre chanteuse retomber dans ces sombre pensées. Cependant avant de partir Abdoulaye demanda

- Au fait hier soir, au moment où votre amant s’est fait tuer où étiez-vous ?

- Quand nous nous sommes séparés il m’a demandé de rentrer à la maison directement à la maison, c’est ce que j’ai fait.

- Qui peut le confirmer ?

- Le gardien de la maison. C’est lui qui m’a ouvert la porte du garage pour que j’y range la voiture. Pourquoi me demandez-vous cela.

- Pour rien, dit-il nonchalamment, c’est juste une habitude.

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