5.

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Ils venaient enfin de quitter le quartier des Almadies, ce quartier résidentiel qui au final n’était qu’une succession de maisons de rêve appartenant à des gens riches, de restaurants et de boutiques de luxe. Ce dernier était placé sur la côte et pour cela les touristes et les étrangers s’y installés volontiers. Abdoulaye au volant de sa voiture roulait à travers les rues bouchées de Ouakam, un autre quartier proche des Almadies qui, lui, reflétait bien les réalités du trafic sénégalais. Les piétons circulant de façon anarchiques sur la chaussée, slalomant entre les voitures immobilisées; les automobilistes ne se préoccupant plus du code de la route, créant des bouchons de partout ; et les quelques marchands ambulants essayant de vendre leurs marchandises à tous vents. Cela n’était évidemment pas facilité par la proximité des deux marchés populaires qui ne désemplissaient presque jamais.

Assit sur le siège passager, Mansour faisait la conversation à son ami. La circulation évoluant au ralenti Abdoulaye avait pris la boite de cigarettes posée sur le tableau de bord et son briquet dans une de ses poches. A chaque fois qu’il en allumait une il demandait la permission à son entourage ou du moins il prévenait la personne la plus proche de son intention de fumer. Il avait adopté cette attitude singulière –trahissant complètement son comportement habituel- le jour où Absa lui avait dit que s’il le voulait il pouvait mettre sa vie en danger mais qu’il n’avait pas le droit de blesser les gens autour de lui. Ces mots l’avait fait réfléchir et depuis il essayait toujours de faire attention.

Il avait porté la cigarette une deuxième fois à sa bouche quand il essaya d’écouter ce que son collègue lui disait. Il n’avait pas changé de sujet de discussion depuis qu’ils avaient quitté ensemble la demeure de la chanteuse Alice.

- Je te dis cette femme elle est divine, mon gars. Merde je connais aucun mot juste pour la définir

- Tu parles encore d’elle

- Evidemment !

Il parlait de la secrétaire d’Abdou Karim. D’après ce qu’il en avait entendu elle avait coopérer sans faire d’histoires en laissant les gendarmes fouiller dans son ordinateur. C’est ainsi que la liste des suspects et leur profil a été établi. Cependant il semblerait que Mansour ait été séduit par cette dernière

- Si tu la voyais, non, Dieu l’a vraiment gâté

- Je parie que t’es bigleux et qu’elle n’est pas si belle

- Je te laisse parler parce que tu ne l’as pas vu, c’est normal. Je ne veux même pas débattre de ça avec toi.

- Je te connais, non, tout le monde te connais. A la fin c’est toujours la même chose. Tu n’arrêtes pas de parler d’une femme que t’as croisé, tu te lances, après ça fini en disputes quand elle te parle de mariage et tu redeviens célibataire après avoir fait ton affaire avec elle.

- Mais avec elle ça pourrait être différent, j’en suis sûr. C’est bien le genre de femme avec qui je pourrais avoir une famille

Abdoulaye expirait la fumée de sa cigarette en direction de la fenêtre en repensant à la dernière conquête désastreuse de son ami

- Elle doit sûrement être Peuhl pour avoir de si longs cheveux.

- Ou bien elle doit sûrement être mariée, taquina-t-il

- Ne dis plus ça, même pour jouer, avait-il dit sur un ton agressif

- Réfléchis deux secondes, si c’est une « Beauté Fatale », comme les occidentaux disent, alors soit ses parents en ont déjà profité et l’ont marié pour empocher sa dote soit un gars plus chanceux que toi lui a déjà mis le grappin dessus ou bien un vieillard plein aux as l’a déjà attiré dans ses filets. Et j’oublié le fait qu’elle est peut-être déjà fiancé à un immigré et qu’elle s’apprête à le rejoindre en France en Espagne ou peut-être même au Etats Unis.

- T’es qu’un salaud Abdoulaye, dit Mansour exaspéré

Abdoulaye n’avait pas répondu à la provocation, il s’était tout simplement contenté de tirer un coup sur sa cigarette comme en signe de victoire sur son camarade qu’il avait rendu muet. La voiture qui se trouvait devant lui n’avançait pas, il commençait à s’impatienter. Il voulait allumer la radio mais se ravisa automatiquement, la presse s’était déjà emparé de la nouvelle de la mort d’Abdou Karim Niang et de ses circonstances, la dernière chose qu’il avait envie d’écouter s’était bien les journalistes en parler toute la sainte journée. Un bras accoudé à la fenêtre l’autre tenant le volant, il regardait devant lui.

Le silence ne s’était pourtant installé dans la voiture que depuis quelques minutes que Mansour se remit à parler.

- Je préfère que tu la rencontres, tu comprendras pourquoi je suis dans cette état-là.

Abdoulaye se mit à rire

- Quoi encore, demanda-t-il

- Rien, c’est que tu es tenace quand tu veux

- Les femmes adorent ça, répondit-il fier du compliment. Et toi je ne t’ai jamais entendu parler de ta copine. Est-ce qu’au moins tu as déjà eu une relation ?

Il n’aimait pas parler de ça. La seule relation sérieuse qu’il n’ait jamais eue remonte à sa dernière année de lycée soit la terminale. Il avait déjà expérimenté le vrai amour avec Cette Fille qui l’avait atteint au cœur de bien des manières. A cette époque si on lui avait demandé comment il se voyait dans le futur, il aurait surement répondu qu’il serait avec Elle. Mais tout cela ce n’était maintenant que du passé, et rien ne pouvait changer cela. Mansour ne connaissait en effet aucune des relations amoureuses de son collègue et pour lui c’était toujours un terrain sur lequel il aimait le taquiner. Et comme à son habitude Abdoulaye lui servait toujours ce même sourire au coin des lèvres pour lui montrer son indifférence.

- Ah, tu ne me réponds pas, donc c’est oui

- Je n’ai juste pas envie de te répondre

Au final ce trajet en voiture parut bien plus long que prévu. Tout ça à cause d’une femme qui en étant trop belle a rendu fou son équipier. « hum, et avec tout ça j’ai bien envie de la rencontrer cette Marietou, non … Mariama Ndiaye. Non plus, son nom me reviendra … »

Dans une maison spacieuse improvisée en studio d’enregistrement pour Golden Jam, un homme discutait avec un visiteur qu’il avait reçu en urgence dans son bureau. Depuis la mort de la figure de proue de cette entreprise, il ne cessait de recevoir des gens sans rendez-vous. Il connaissait bien celui qui était venu, et il avait même prédit sa visite ; mais ce qu’il n’avait pas deviné, c’était l’objet de cette même visite.

- … et tu es vraiment sûr de ce que tu avances ?

- Je ne suis sûr de rien à ce stade-là, Alioune. Tout ce que je peux te dire, c’est que celui qui a fait ça, lui était proche.

L’homme à qui appartenait le bureau s’appelait Alioune Mar. Il avait une carrure modeste que sa chemise épousait bien. Avec son visage ovale, de petits yeux cachés derrière une paire de grosses lunettes, un petit nez et une barbe proprement taillée et bien entretenue, il n’était pas vraiment beau, mais il se dégageait de sa personne, un certain charme qu’on lui reconnaissait. Intelligent ou juste très malin, il avait réussi à s’imposer aux côtés d’Abdou Karim, face aux autres actionnaires de la prestigieuse maison de disques. Dans son bureau, il possédait une certaine présence et dominait son interlocuteur qui, à côté de lui, semblait quelque peu faible. Ce dernier se nommait Eliman Guèye. De nature chétive, il était généralement très peu sûr de lui. La mort de son ami d’enfance l’avait profondément touché, et il était plutôt anxieux.

- Je suis tout simplement venu te prévenir.

- De quoi ? Tu penses que je suis le prochain sur la liste ? demanda-t-il en le taquinant.

- Je suis sérieux !

- Moi aussi. Ecoute, nous sommes bien placés pour savoir qu’Abdou était quelqu’un d’assez doué pour s’attirer des ennuis et en créer. Nous savons aussi que beaucoup de personnes lui en voulaient spécialement.

- Justement, c’est pour cela …

- C’est pour cela qu’il n’y a aucun souci à se faire. Jusqu’à preuve du contraire, vous n’aviez pas les mêmes ennemies, moi non et heureusement j’ai déjà assez de problèmes à mon compte.

Eliman ne comprenait pas son interlocuteur. Un homme venait de mourir, et cette personne n’était autre que son ami.

- Ça ne te fait rien de savoir qu’il a été assassiné, finit-il par dire ?

- Bien sûr que si, tu me prends pour qui ? Je ne suis pas insensible. Moi aussi je suis bouleversé, mais pas au point de penser que quelqu’un veut me faire la peau à moi aussi. J’ai conscience que tu es venu ici dans le seul but de me prévenir, et je te remercie de me montrer ton soutien.

- Ce … ce n’est rien. En ce moment, je pense plus à la pauvre Alice, elle est dévastée.

- J’imagine. J’espère qu’elle saura faire face et qu’elle pourra continuer à chanter. Ce serait dommage si elle devait arrêter.

A cet instant, on frappa à la porte. Un homme l’entrouvrit, passa sa tête dans l’entrebâillement et annonça la présence de deux hommes disant appartenir à la section recherche. Alioune demanda à ce qu’on les fasse entrer. Eliman se leva et s’en alla, la tête baissée, au moment où les deux agents firent irruption.

Abdoulaye n’avait presque pas remarqué la présence du petit homme qu’il avait bousculé pour entrer. Il s’était retourné pour s’excuser, mais ce dernier s’était évaporé. Drôle de gars, pensa-t-il sur le coup. En face d’eux, se tenait Alioune Mar. il s’était levé de son fauteuil pour accueillir les visiteurs. Aussitôt les salutations échangées, l’interrogatoire commença. Cette fois-ci, Abdoulaye prit les devants.

- Nous avons compris en épluchant son emploi du temps, que vous étiez la dernière personne qu’il avait reçue ce jour-là, je me trompe ?

- Oui, répondit-il, nous avinons bien rendez-vous après le déjeuner.

- Et quel était le sujet de votre conversation ?

- Rien de bien confidentiel, en somme. La date de sortie des albums de nos artistes – il faut les sortir à des dates espacées –, la prochaine tournée de notre grande star Alice, et un projet d’organisation de concours de jeunes talents. Les vacances approchent, et il faut bien occuper la jeunesse. Des sujets peu importants, même si on doit devancer la concurrence, à défaut de prévoir plus de concerts.

Il dit ces derniers mots en riant. Abdoulaye ne dit rien de son côté. Il ne pensait rien de nouveau à son sujet. Quand il avait appris qui ils allaient interroger, il s’était déjà fait une petite idée du personnage, et cette dernière n’avait pas changé. Sûr de lui, car il n’avait rien à se reprocher, il parlait d’Alice sans même faire allusion à son état émotionnel du moment. Cela ne l’embêtait donc pas, qu’elle ne soit peut-être plus en mesure de chanter à nouveau, et il pensait aux prochaines vacances scolaires qui arrivaient, le moment pour lui de se renflouer les poches avec l’argent d’adolescents crédules, alors que son associé venait d’être assassiné dans son bureau !

- Nous avons entendu parler de l’existence d’un dossier important.

- Un dossier important ? dit-il avec un air surpris.

- C’est ce qui expliquerait qu’il soit retourné à son bureau tard la nuit, renchérit Mansour.

- Nous ne travaillions pas sur un dossier important.

- Vous semblez être le plus proche collaborateur d’Abdou Karim, Mr Mar.

- Plus proche collaborateur, je n’irai pas jusque-là. Voyez-vous, il y a des gens qui étaient beaucoup plus proches de lui que moi. Mais, collaborateur oui, on peut dire cela.

Il avait pris son souffle avant de reprendre :

- Disons que je m’occupais de tout ce qui était technique. Lui, il était plutôt la partie visible de la machine que nous composions. Pendant qu’il s’occupait de tout l’aspect communication, des rencontres avec les autres célébrités, des négociations, des passages à la radio, et avant l’officialisation de sa relation avec Alice, des dîners avec les animatrices et présentatrices de télé, moi je réglais les détails.

- Pas très avantageuse, cette position. Personne ne connaissait votre existence, dit Abdoulaye pour le provoquer.

- Pas besoin d’être sous les projecteurs. De plus, cela ne change rien au fait que je suis le second actionnaire majoritaire après lui. Vous savez surement que nous avons repris cette maison de disques lui et moi, au moment où elle était au plus mal. Nous y avons tout simplement mis toutes nos économies ; c’était une sorte de pari. C’est à ce moment-là que nous nous sommes répartis les tâches.

- Et c’est ce qui explique sa position au sein de l’entreprise.

- En quelque sorte.

Il semblait se plaire à sa place et n’avait surement aucune envie d’en changer. Mais, avec la mort d’Abdou Karim, il fallait quelqu’un d’aussi charismatique que lui pour le remplacer, pour garder Golden Jam à son standing. Un homme comme lui, connaissant par cœur les rouages du métier, serait un bon choix pour lui succéder.

- Alors, vu l’importance de votre travail, si vous n’étiez pas le plus proche collaborateur de M. Niang, qui l’était ? demanda soudain Mansour.

Un petit silence s’était installé dans la pièce. Alioune Mar réfléchit pendant quelques instants avant de donner sa réponse.

- Je dirai, sans aucun doute, son assistante et secrétaire, Malika Ndiaye.

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