3.

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Pour lui, devenir gendarme était un objectif à atteindre, un but dans la vie. Il avait eu les meilleurs résultats au concours d’entrée à la Gendarmerie, et il ne s’était pas ménagé pour ça. Ses efforts avaient fini par payer, et il avait réussi. Il venait de garer la vieille voiture que son père lui avait léguée, devant la maison familiale, qui se situait aux Parcelles Assainies –un quartier de la banlieue de Dakar. Faire partie de la Section Recherche de la Gendarmerie de Colobane, était par contre, inattendu. Tout le monde s’accordait à dire qu’il était brillant et qu’il méritait d’en faire partie. Au sein de cette section, il avait aidé en moins de quelque mois, à démanteler un réseau de trafiquants de drogue et aider à mettre sur pied, un plan pour appréhender des receleurs de voitures. Il regarda son rétroviseur, puis le siège côté passager pendant un instant, il se revoyait enfant, assis, admirant son père pour le travail qu’il faisait avec une si grande volonté. Lui aussi avait été enquêteur comme lui maintenant, et depuis tout petit, il avait toujours rêvé de devenir comme son père, un homme d’une grande clairvoyance. La nuit avait déjà obscurci le ciel, il rentrait un peu tard ce jour-là. Heureusement que j’ai les clés, pensa-t-il. Il sortit de la voiture et se dirigea vers la porte d’entrée de leur petit immeuble. Elle s’ouvrait sur un petit couloir à droite duquel une seconde porte était entrouverte ; c’était là où logeait toute sa famille, un appartement au rez-de-chaussée d’un bâtiment d’un étage. Il poussa la seconde porte et entra. Il était 21h, mais la maisonnette semblait encore être pleine de vie. Deux enfants faisaient la course pour saluer Abdoulaye.

- Bonsoir, les enfants, dit-il en wolof.

- Tonton est venu, tonton est venu, scandaient-ils en chœur.

Il s’était accroupi pour les saluer. C’étaient les enfants de sa grande sœur. L’aînée des deux, Penda, avait 8 ans et son frère Ahmed venait d’en avoir 3. Des enfants tout le temps joyeux et souriants, qui trouvaient toujours un moyen de s’amuser et d’animer l’appartement.

- Arrêtez d’embêter votre oncle, les enfants, cria une voix, et puis, ne vous ai-je pas dit d’aller vous coucher ? Je ne le répéterai pas, demain il y a école !

Cette voix appartenait à Absa. Elle était plus âgée que lui de six ans. Elle pouvait être attentionnée et douce quand il le fallait, ou sévère et féroce de temps en temps. Tout le monde s’accordait à dire que c’était elle qui avait influencé son frère au niveau du comportement. Elle était médecin dans un hôpital public, mais avait décidé de prendre quelques congés pour s’occuper de sa petite famille. Les enfants détalèrent comme ils étaient venus, après avoir entendu leur mère.

- Absa, tu ne devrais pas les terroriser comme ça, les pauvres !

- Ils peuvent être pénibles parfois, je suis obligée de leur dire trois fois la même la chose avant qu’ils ne le fassent.

Elle le débarrassa de son sac et lui dit de s’installer au salon. L’appartement était spacieux à sa manière. Le salon se trouvait juste à côté de l’entrée, et les 4 chambres étaient réparties de part et d’autre du couloir, qui menait à la salle de bain, juxtaposée à la cuisine. Avant le décès de son père, ils occupaient aussi l’étage au-dessus. L’immeuble ne manquait jamais d’ambiance, tout le monde avait sa place ou partageait son espace, mais ça n’avait jamais dérangé personne. A la mort du père de famille, leur mère était partie s’installer dans le nord du Sénégal à Saint-Louis ; leur oncle avec qui ils vivaient avait aussi quitté la maison avec sa famille, quelque temps après. Maintenant qu’ils n’étaient plus si nombreux, ceux qui étaient restés avaient décidé de louer l’étage à une autre famille. Abdoulaye était installé dans le salon et attendait qu’Absa lui serve à dîner. Il sentait l’odeur du repas réchauffé qui s’échappait de la cuisine et qui envahissait toute la maison. Elle vint quelques minutes plus tard, avec un petit bol posé sur un plateau en plastique. Elle le déposa sur la table basse du salon.

- Merci beaucoup, Absa, tu n’as pas d’égale.

- Ce n’est rien.

Les enfants étaient couchés et la maison était soudainement devenue silencieuse.

- C’est moi, ou tu es encore seule, remarqua-t-il.

- Ousmane est déjà couché, figure-toi qu’il n’a même pas dîné, il m’a sorti une histoire comme quoi il était trop fatigué. Et mon mari n’est pas encore rentré. Donc oui, c’est comme si j’étais seul. Mais maintenant, ce n’est plus un problème, vu que tu es là.

Il vivait avec sa grande sœur et sa famille et son cousin, Ousmane, un étudiant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

- Et ta journée ? fit Abdoulaye.

- Tu sais, rester à la maison, ce n’est pas aussi simple que tu le penses. S’occuper des enfants, le ménage, la cuisine… Je pourrais même dire que c’est tout aussi dur que de travailler comme gendarme, rétorqua-t-elle.

- Si seulement tu savais à quel point c’est compliqué, dit-il, tu n’as pas idée.

Il lui avait raconté sa course poursuite avec le voleur à travers le marché Sandaga, et la réaction des badauds après l’avoir attrapé.

- C’est pas croyable, ce que les gens peuvent être bêtes ! Toi aussi, tu t’attendais à quoi ? des félicitations ? Ha, faudra encore courir 10km pour les avoir !

Abdoulaye lui répondit avec un sourire.

- Et quand c’est à eux-mêmes que ça arrive, ils veulent mettre tout le monde en prison. Tu as bien fait de ne pas le laisser s’en aller, ce vaurien, je parie qu’il allait recommencer.

- Je ne sais pas, lâcha-t-il, peut-être que …

- Tu doutes ?

Il n’eut pas la force de lui répondre, car il avait croisé le regard enflammé de sa grande sœur. Il prit peur :

- Ne me regarde pas comme ça ! Après tes enfants, c’est moi que tu terrorises. Tu veux que j’en fasse des cauchemars, ou quoi ?

- Je ne sais pas. Non. Là tout de suite, ce dont j’ai vraiment envie, c’est de te frapper.

- Attends, écoute-moi d’abord. Tout le monde a essayé de négocier avec moi, c’est comme si je faisais quelque chose de mal ou que j’étais le méchant de l’histoire !

- Et alors ? dit-elle en croisant les bras, c’est ce que tout le monde pense de moi quand j’interdis certaines nourritures à mes patients ou bien quand je les gronde parce qu’ils font des entorses à leur régime. Je ne me suis jamais dit que ce que je faisais était mal. Je le fais parce que c’est mon travail et qu’on ne négocie pas avec la santé des gens. Alors toi qui es censé être le « protecteur des honnêtes citoyens », je vois mal comment tu peux penser qu’il est possible de négocier avec des voleurs.

Elle avait raison, et il le savait. Alors pourquoi doutait-il ? Cela n’avait aucun sens.

- Tu as raison, je n’ai fait que mon travail, déclara-t-il.

- Bien sûr que j’ai raison. Là je te retrouve, c’est comme ça que je te préfère.

Elle avait posé sa main sur son épaule et continua

- Tu n’as pas à te soucier de ce que les gens pensent ou de ce que les gens veulent te faire croire. Quand tu as une idée, tu t’y tiens quoi qu’il arrive, d’accord ? Ne rentre pas dans ces débats de méchant de l’histoire. Tu es fait pour ce travail, c’est comme si tu étais né pour occuper ce poste. Les gens savent rarement ce qui est bon pour eux ou pas. Dans ce cas-là, il faut tout simplement le leur montrer, et s’ils persistent, il faut les y forcer.

Absa venait de lui remonter le moral ; il savait maintenant quoi faire et s’en voulait d’avoir douté de lui-même un seul instant.

Le soleil était à peine visible dans le ciel, et la brise matinale encore fraîche, quand il arriva enfin. Il avait sauté dans sa voiture juste après qu’on l’ait appelé. Une urgence, semblait-il. Il devait se rendre au centre-ville. L’immeuble devant lequel était garée sa voiture venait d’accueillir des occupants, et c’était le premier incident qui s’y produisait. Le téléphone d’Abdoulaye sonna dans sa main ; il ne répondit pas. Des véhicules de la Gendarmerie et une ambulance des pompiers étaient au pied de l’immeuble. Les quelques agents se trouvant sur place s’affairaient ; il fallait faire vite avant que les gens ne commencent à se poser des questions. Le jeune enquêteur ignora le peu de gendarmes présents sur les lieux et se fraya un chemin jusqu’à la porte d’entrée de l’immeuble. De là, il traversa un grand hall joliment décoré avec des couleurs sobres. Il emprunta l’un des deux ascenseurs qui se trouvaient au bout de ce dernier et appuya sur le chiffre quatre du tableau de commande. Quand les portes s’ouvrirent, elles firent place à un nombre incroyable de gendarmes qui allaient çà et là, déplaçaient des objets et fouillaient un peu partout. On arrivait à distinguer des pleurs dans un coin de la pièce. C’était une femme de ménage, elle avait encore ses gants aux mains. Elle était plus choquée qu’autre chose, un agent essayait de la consoler. Abdoulaye marchait droit devant lui ; l’atmosphère, malgré l’agitation, était lourde. Il fit irruption dans le bureau qui se trouvait au fond de l’accueil.

Au milieu de la pièce, un homme était étendu sur le sol, face contre terre, dans une mare de sang. Ce tableau ne perturbait nullement Abdoulaye, car ce n’était pas la première fois qu’il voyait une scène de crime. D’autres agents fouillaient le bureau du mort, à la recherche d’indices, et parmi eux se trouvait Mansour, accroupi près du corps.

- Enfin ! Tu en as mis du temps, tu n’as pas vu mes appels ? commença-t-il.

- Tu m’as rappelé quand j’étais déjà arrivé, ça ne servait à rien de répondre, dit-il. Peu importe ! Qui est allongé là ?

- Abdou Karim Niang, producteur et grand dirigeant de la maison de disques Golden Jam.

- Alors, on est dans leurs nouveaux bureaux ?

Mansour se releva pour fixer son interlocuteur.

- Tu ne l’avais pas remarqué ? Je veux dire, c’était tout de même assez évident, avec l’enseigne

- Désolé, je n’ai pas fait attention. Quelle est la cause du décès ?

- On lui a tranché la jugulaire et il s’est vidé de son sang.

- J’imagine que c’est la femme de ménage qui l’a découvert ?

- Toi aussi tu l’as vue, elle n’arrête pas de pleurer. Quand elle est arrivée ce matin pour nettoyer le bureau, elle est tombée sur ça. Drôle de manière de commencer une journée !

Abdoulaye n’avait pas répondu ; il regardait fixement toute la pièce, comme s’il cherchait quelque chose en particulier. Mansour savait ce que son collègue faisait, il l’avait déjà vu à l’œuvre. Abdoulaye fit un tour du bureau et commença lui aussi à fouiller. Il se dirigea vers le bureau. Au-dessus, il n’y avait que de quelconques dossiers, des papiers et un verre à moitié vide, dont il inspecta le contenu. A côté, il y avait aussi une bouteille d’alcool vide. Il dirigea son attention vers la corbeille se trouvant au pied du meuble ; il y en avait une autre. Il marcha ensuite vers un des murs où étaient accrochés des diplômes, des photos encadrées et des récompenses. Rien de vraiment spécial, mais ce qui avait attiré son attention, c’était plutôt ce qui se reflétait en arrière-plan sur les cadres. Sur une petite table à l’autre bout de la pièce, il y avait une chaîne stéréo, qui semblait encore allumée. Elle avait épuisé toutes les pistes du disque qui y était enfermé. Il alla ensuite examiner le corps. C’était la première fois qu’il approchait ce fameux bonhomme, dont tout le monde parlait et qui avait presque le même nom que lui. Comme Mansour l’avait dit, il s’était vidé de son sang sur le sol ; il n’avait aucune chance avec ce type de blessure, le coup avait été net et précis, le meurtrier savait ce qu’il faisait. Abdoulaye remarqua aussi une traînée de sang qui menait jusqu’au corps du défunt. Le long du filet de sang, il vit aussi les débris d’un objet cassé. Son collègue vint le déranger dans ses pensées.

- Alors, tu as trouvé quelque chose d’intéressant ? demanda-t-il.

- Il n’était pas seul dans cette pièce, répondit-il en se relevant, je peux dire qu’il était accompagné et que c’est lui qui a fait le coup.

- Tu en es sûr ? Nous avons demandé au gardien de l’immeuble, il n’a vu personne d’autre entrer après lui.

- Certain. Regarde, dit-il pointant la table, une bouteille.

- Quoi ? la bouteille ? elle est vide.

- Il partageait un verre avec quelqu’un qu’il connaissait, qu’il avait invité. Ils ont passé un long moment ici, ce qui explique la deuxième bouteille vide.

- Et à ton avis, il s’est passé quoi ?

- Ce qui semble le plus évident. Tard dans la nuit, le sieur Niang revient dans son bureau, il est accompagné par quelqu’un d’autre. Ils ont longuement discuté ensemble, mais je ne pourrais pas te dire quel était le sujet de leur discussion. Quoi que cela puisse être, la tension est vite montée entre eux.

- Une dispute ?

- C’est une possibilité. Ils se sont déplacés jusqu’ici juste pour discuter ; cela devait être très important.

- Alors, la chaîne stéréo qu’on a trouvée allumée, c’était pour détendre l’ambiance ?

- Je ne pense pas, le volume de la musique est anormalement trop élevé. C’était pour étouffer des cris.

- Donc, c’est à ce moment-là que ça a tourné au vinaigre, conclut-il.

- Oui.

- Alors, ce sera vite réglé. On trouve avec qui il était et puis l’affaire est classée. Le gardien ne nous a surement pas tout dit.

Abdoulaye était encore resté muet ; il était plongé dans ses pensées. Les bras croisés, il observait le cadavre au milieu de cette pièce qui en savait bien plus que lui sur ce qui s’était passé cette nuit. « Non, ce n’est pas aussi simple que ça, pensa-t-il. C’est quoi, cette manière de tuer ? Ca n’a rien de pratique. S’ils se disputaient, comment le meurtrier a-t-il fait pour atteindre son cou et le trancher aussi facilement? Ils n’en sont pas venus aux mains, sinon il y aurait des traces de lutte dans la pièce et sur son corps, comme des griffures ou des bleus. Le tueur s’y est pris avec une entaille nette pendant que sa victime faisait une action, ce qui explique le verre cassé par terre. Il ne s’y attendait pas. Comment a-t-il fait pour déjouer sa vigilance ? Les choses semblent bien plus compliquées qu’elles ne le paraissent. Avec qui était-il ? Ce qui est sûr, c’est que le verre qui est posé sur le bureau ne nous donnera rien, il a sûrement effacé toutes les traces. Pour l’instant, on ne voit que ce qu’IL veut que l’on voit. » 

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