2.

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Tout le monde n’avait pas la même chance que lui. Il s’appelait Abdou Karim Niang, et avait tout pour lui. Un parcours sans égal dans les meilleures universités du Sénégal et des Etats Unis, la chance de reprendre l’une des maisons de disques les plus florissantes du pays, des comptes en banque bien fournis et un train de vie comparable à celui des plus grandes stars qu’il avait lancées dans le milieu de la musique. Qui ne voudrait pas être comme lui ? C’était la question qui était en gros titres des journaux de la semaine dernière. Il avait déplacé ses bureaux dans l’un de ces nouveaux immeubles qui poussent comme des champignons dans le centre-ville, et depuis, son chiffre d’affaires avait triplé. Il était décrit comme un « visionnaire », car selon l’opinion publique, les artistes qu’il avait propulsés, avaient révolutionné la musique sénégalaise.

Il était assis dans son bureau et recevait son rendez-vous de 10h, une femme qu’il essayait de raisonner. Pour lui, c’était toujours un plaisir de la recevoir, même si elle faisait tout ce chemin jusqu’en ville juste pour lui crier dessus. Comment pourrait-il la redouter ? C’était sa poule aux œufs d’or et aussi sa concubine.

- Ecoute, Alice, commença-t-il, tu ne peux pas virer le guitariste tout simplement parce qu’il est arrivé en retard.

- Comment ça, je ne peux pas le virer ? C’est la troisième répétition qu’il me fait annuler, je ne peux pas travailler dans ces conditions !

- Mais, il est bourré de talent, le petit …

- Comme moi ! lui avait-elle répondu.

- Oui, comme toi ma chérie, alors tu comprends qu’il faut reconsidérer ce renvoi.

- Je ne peux pas travailler dans ces conditions. D’abord, tu refuses que je prenne des décisions par rapport à mon groupe, et ensuite tu prends tes distances avec moi. Qu’est-ce qu’il y a ? Je ne te plais plus ? Tu ne penses pas à mon bonheur ? rétorqua-t-elle.

Alice était une chanteuse talentueuse, qui avait réussi à conquérir son public en moins de quelques mois, grâce à sa voix. Il se félicitait tout le temps de l’avoir sortie de l’hôtel où elle se produisait il y a quelques années de cela. Il s’était levé de son fauteuil en cuir pour aller vers elle. Il n’avait pas seulement succombé à sa voix, mais aussi à ses formes de déesse, qui ne l’avaient pas laissé indifférent. Il s’était rapproché d’elle et l’avait enlacée. Surprise, elle le repoussa.

- Je vois, alors voilà le problème.

- Tu ne réponds pas à ma question.

- Bien sûr que je pense à toi tout le temps. Ces derniers temps, je suis juste accablé par le travail, c’est pour cela que je te consacre moins de temps. Moi aussi j’ai mal en sachant que je ne peux plus profiter de toi comme au tout début.

- Tu mens ! répondit-elle.

- A toi, jamais ! Je ne conteste pas ton autorité, mais ce guitariste est le seul qui aujourd’hui, peut prétendre pouvoir jouer correctement à tes côtés. Pouvoir chanter avec les meilleurs, n’est-ce pas là ce qui te fait plaisir ? N’est-ce pas ce que je t’ai promis ?

- Si, mais…

- Mais rien du tout, coupa-t-il en se reprochant d’elle, je t’ai promis que pour toi, je dénicherai les meilleurs pour faire de toi une star, et c’est ce que je m’applique à faire. Alors, ma chérie, si je pense qu’il doit rester, … c’est peut-être parce que j’ai raison.

- C’est tout toi, reprit-elle, toujours avoir le dessus sur les autres, ça ne marchera pas tout le temps, tu sais.

- Mais avec toi, ça marche tout le temps …

Sans qu’elle ne s’en soit même rendu compte, il l’avait déjà reprise dans ses bras. Elle ne pouvait pas non plus nier que, dès leur première rencontre, elle était tombée sous son charme.

- Alors, on fait comment ? Tu le mets à la porte, ou bien tu me laisses m’occuper de tout ?

Il l’avait prise par le menton pour la forcer à le regarder.

- C’est bien parce que c’est toi, céda-t-elle.

Leurs visages s’étaient dangereusement rapprochés ; ils étaient sur le point de s’embrasser, quand on frappa à la porte, qui s’ouvrit simultanément, sans attendre de réponse

- Mr Niang …, oh, désolé !

Les deux amants se séparèrent immédiatement ; comme coupés dans leur élan. Celle qui venait de faire irruption dans leur vie privée, c’était la secrétaire d’Abdou Karim.

- Je suis désolée, dit-elle d’un ton faussement confus.

- Ne le soyez pas, Mlle Ndiaye, rassura-t-il, qu’y a-t-il ?

- Je tenais à vous rappeler que votre rendez-vous de 11h veut savoir s’il était possible de repousser l’heure jusqu’à 15h30 ?

- Non, j’ai d’autres choses prévues à cette heure-là. Dites-lui d’attendre dans la semaine pour reprogrammer une autre heure.

- Bien, Monsieur, dit-elle en se retirant.

Abdou Karim déshabillait sa secrétaire du regard pendant qu’elle sortait du bureau. Comment ne pas faire autrement ? La deuxième chose pour laquelle il se félicitait, c’était de l’avoir embauchée. Quelle chance ! Il l’avait tellement observée, que les yeux fermés, il pouvait tout simplement la décrire. Malika Ndiaye avait une symétrie du visage simple et parfaite, avec des yeux mi-ouverts la plupart du temps, comme si elle était constamment fatiguée, des sourcils peu épais et des lèvres fines, et enduites en permanence, de rouge à lèvres. Elle mettait très peu de maquillage, elle n’en avait presque pas besoin. Son teint était d’un noir qui lui allait à ravir et elle n’avait sûrement aucune envie d’en changer. Ses formes étaient tout simplement dessinées au compas, tellement elles étaient harmonieuses. Une taille mince juste comme il fallait, et une poitrine ronde et proportionnée au reste de son buste. Elle était de taille moyenne et sa peau dégageait une odeur enivrante. Elle était attentionnée et travaillait comme dix. Elle pensait plus vite que lui, rendait les travaux dans l’heure, et était irréprochable. Le mot « parfaite » l’aurait décrite plus facilement, s’il n’y avait pas ce bémol : elle était inexpressive. Aucune émotion ne se dessinait sur son visage, elle avait toujours ce même air ennuyé, las. Même quand on lui faisait un compliment, elle répondait juste que ça lui faisait plaisir, sans pour autant le montrer, pas même un sourire, rien.

- Ta secrétaire a le don de toujours nous interrompre, et pour des futilités, en plus ! fit Alice, agacée.

Cette remarque l’avait sorti de ses rêveries.

- Tu veux aussi la virer ? dit-il d’un ton moqueur.

Elle l’aurait sûrement fait, si elle avait vu le regard qu’il lui lançait.

- Arrête, j’ai compris.

Malika venait de regagner son poste, quand la porte qui se trouvait à côté de son bureau et qui menait au bureau de son employeur, s’ouvrit. Celui-ci en sortit en compagnie d’Alice.

- Je suis content de t’avoir vue aujourd’hui, dit Abdou Karim.

- Moi aussi, répondit sa compagne, mais je me sens un peu mal. J’aurais aimé que nous discutions d’autre chose que du guitariste.

- On peut se rattraper quand tu veux, ce n’est pas un problème. Que dirais-tu de maintenant ? Malika, réservez-moi la meilleure table au Black Mount.

- Pour quand, monsieur ?

- 14h, ça te va, mon amour ? Tu pourras y être ?

- Oh oui, dit-elle toute contente, je ne sais pas quoi dire. Je rentre me changer. C’est affreux, je ne peux pas y aller dans cette tenue ! Au revoir...

Elle lui avait fait une bise sur la bouche, avant de tourner les talons et s’en aller. Malika avait suivi la scène sans porter de jugement, chose qu’elle avait perdu l’habitude de faire, et s’était contenté de regarder la chanteuse partir. Ce n’est qu’après avoir raccroché avec le guitariste, à qui elle avait annoncé qu’il était réengagé, que son esprit lui remémorait chaque moment de la scène qui s’était déroulée sous ses yeux.

- Ah, futile ! laissa-t-elle échapper.

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