1.

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Un homme en sueur courait à travers les rues du centre-ville de Dakar, la capitale sénégalaise. Il courait comme s’il avait la mort en personne à ses trousses. En y repensant, il se disait qu’il n’aurait pas eu à s’essouffler de cette façon si tout s’était déroulé comme prévu et si tout le monde se mêlait de ses affaires. Il avait suivi tous les conseils et toutes les instructions qu’on lui avait donnés. Il avait profité de l’abondance de personnes et de l’excès de bruit en ce jour de jeudi, dans le marché Sandaga. Et après avoir ciblé sa victime – une femme d’âge mur qui faisait des achats -, il l’avait suivie sans se faire remarquer. Il était sur ses pas et ne la lâchait pas des yeux ; il n’avait attendu que ça, une simple erreur, une faille dans sa vigilance, qui s’était vite transformée en une opportunité : elle avait laissé son sac ouvert. Il avait appliqué la méthode habituelle, une petite bousculade sur le côté sans la faire tomber et il en avait alors profité pour glisser sa main dans son sac et en retirer le porte-monnaie. Il semblait cependant, que ce jour-là, il jouait de malchance. Un vendeur qui tenait une petite échoppe en face de celle dans laquelle se trouvait la jeune femme avait aperçu la scène de loin et avait crié au voleur. C’était un cas prévisible, et la fuite était une solution valable, mais ce qui faisait le comble, c’est qu’un homme qui se trouvait non loin l’avait pris en chasse. Il avait couru entre les petits commerces improvisés installés sur le bord de la route tentant de semer son poursuivant, mais ce dernier était coriace. Mais, pourquoi le poursuivait-il ? N’avait-il pas chaud comme lui, à courir sous ce soleil de plomb ? Pourquoi jouait-il le héros ? Qu’avait-il à y gagner ? En slalomant entre les ruelles et les allées étroites qui caractérisées bien ce marché, le voleur pensait pouvoir décourager cet homme qui lui courait après depuis le début. Il décida de changer de direction et de l’attirer dans une impasse. Le poursuivant se rapprochait dangereusement de lui et était sur le point de le rattraper. Le voleur décida donc de jouer le tout pour le tout. Il se retourna à la dernière seconde, pour assener un coup de poing dans le visage de son adversaire. Malheureusement pour lui, ce dernier était déjà préparé à cette éventualité, et esquiva le coup comme s’il ne s’agissait chez lui que d’un simple réflexe, aucune peur ou hésitation ne trahissant son mouvement fluide, comme s’il l’avait fait toute sa vie. L’homme profita de ce moment de surprise, pour neutraliser le délinquant qui, de toute évidence, ne s’attendait pas à ce genre de réaction, d’un coup de genou dans le ventre. Le voleur, à terre, semblait avoir abandonné l’idée de s’enfuir à nouveau. Il ne lui restait à présent qu’une seule solution : demander pardon.

- Hey, l’ami qu’est-ce que tu vas faire, maintenant que tu m’as attrapé ? tu crois que je vais te laisser me livrer aux flics ? demanda-t-il en ricanant. Tu me laisses partir et on fait comme si rien ne s’était passé, hein l’ami ?

- Désolé, mais je te passe les menottes, dit-il en les exhibant.

Un policier ! De tous les hommes qui auraient pu le poursuivre, il avait fallu qu’il tombe sur un policier ! Ce jour-là, il jouait vraiment de malchance. En moins de quelques minutes, l’arrestation avait ameuté des passants, qui s’étaient arrêtés pour observer la scène, comme il est généralement coutume dans le pays. Le ton de sa voix s’adoucit et il essaya réellement de négocier.

- On peut s’arranger, n’est-ce pas, Monsieur ? Comme on dit ici, tout se négocie.

- Oh, alors nous ne sommes plus amis ? fit le policier, étonné de voir à quelle vitesse son prisonnier avait changé.

- Monsieur le policier, s’il vous plaît, ne faites pas ça, j’ai une famille à nourrir.

- Moi aussi ; c’est pour ça que je fais ce travail, répondit-il sarcastiquement, en l’aidant à se relever.

- Si je vais au cachot, ma mère va encore s’inquiéter. Qui sait ce qui pourrait lui arriver ? Elle pourrait avoir une crise, c’est pour cela que j’ai volé. Pour lui acheter des médicaments, car elle est malade. Ayez pitié de cette pauvre femme, Monsieur le policier.

Au fur et à mesure que le voleur parlait, le policier notait que dans l’assistance, les gens, qui n’étaient au début que de simples spectateurs bons à donner leur avis sur tout et n’importe quoi, commençaient à s’émouvoir. Deux hommes - un vieux et un autre d’âge moyen - étaient même venus négocier pour le pauvre voleur.

- Ne crois-tu pas en Dieu, mon garçon ? commença le vieil homme. Dans Sa miséricorde, le Tout-Puissant a demandé de pardonner, si quelqu’un nous causait un tort. Un croyant doit savoir pardonner.

- S’il a volé, c’est qu’il avait vraiment besoin de le faire, continua le plus jeune.

- Désolé, vieil homme, mais même s’Il a dit de pardonner, Il a aussi dit que le vol devait être puni, rétorqua-t-il. Une pointe d’énervement se sentait dans sa voix. Pourquoi fallait-il toujours que ce genre de personnes se sentent obligées d’intervenir ? se demanda-il. Puis, se retournant vers le martyr, et toi, t’as pas bientôt fini ton cinéma ? C’est pas vrai çà, j’ai jamais vu une aussi grosse chialeuse depuis longtemps. Si ta mère doit compter sur toi pour lui ramener ses médicaments, la pauvre, elle n’en a plus pour longtemps !

- Quoi ? fit le voleur.

- Allez, vous n’allez pas me dire que vous ne voyez pas qu’il vous ment, cet abruti ! Il porte littéralement son butin sur lui : une montre hors de prix, et il possède un téléphone de dernière génération. Maintenant, j’en ai marre ! Poussez-vous de là, dispersez-vous, je n’ai pas que ça à faire !

Les badauds s’étaient donc poussés pour laisser passer le policier énervé. Ce dernier arrêta un taxi et lui demanda de se diriger vers le commissariat le plus proche.

A cette heure, il n’était plus rare de voir quelqu’un entrer en cellule ; c’est devenu normal pour une ville dont le taux de criminalité est en hausse ces dernier temps, pensait Abdoulaye, en regardant sa prise derrière les barreaux, comme un animal. Perdu dans ses pensées, scrutant le flux de personnes entrant et sortant du commissariat, le jeune gendarme Abdoulaye Diop n’avait pas remarqué qu’un homme de très grande taille, accompagné d’une femme, s’approchait de lui.

- Abdoulaye, Abdoulaye…

Revenant à lui, il vit son ami et collègue de travail Mansour Fall. Abdoulaye était un peu plus jeune que Mansour, même si à première vue, on leur donnait le même âge. La mâchoire carrée, un regard perçant et dynamique, des sourcils broussailleux et un visage grave dans ses mauvais jours, et plus décontracté dans les meilleurs. Il s’entraînait pour essayer de garder la forme, ainsi que sa carrure d’athlète ; la condition physique, c’était important pour le métier qu’il exerçait. On lui reprochait souvent de s’énerver pour un rien, ou encore, son air trop sérieux par moments. Mais, même sans cela, Abdoulaye savait être un bon ami ou un super camarade, durant les sorties en soirée. Mansour, lui, se distinguait aisément à sa grande taille et à son teint très sombre. Abdoulaye regarda la femme, qui paraissait minuscule à côté de lui, et reconnut la victime du voleur. Elle avait commencé à le remercier, elle ne pensait vraiment pas que quelqu’un l’aiderait. Elle avait entendu des rumeurs sur les gens de la ville ; on lui avait dit que dans ces cas-là, elle serait sans défense et que personne ne viendrait à son secours. Quelle chance elle avait eue, qu’un policier fût juste à côté ! Après son départ, Mansour et son équipier quittèrent le commissariat à leur tour. Treize heures venaient de sonner, le soleil continuait de taper fort, mais les rues ne désemplissaient pas. Mansour avait donc décidé, pour récompenser son ami pour sa bonne action du jour, de l’inviter dans un des petits restaurants qu’il connaissait bien, situé dans un quartier appelé la Médina. A première vue, le restaurant ne payait pas de mine, et faisait plutôt penser à un garage aménagé. Sur le chemin, Mansour animait la conversation.

- Sérieusement, je ne pensais pas que t’allais te mettre à sa poursuite. On tourne la tête un instant, et tu as disparu !

- Je n’avais pas le choix. Tu voulais qu’on fasse quoi ? Tu as vu comment elle était contente de retrouver son porte-monnaie ? protesta-t-il. Vu tout l’argent qu’il y avait dedans, elle venait de toute évidence, de faire un retrait à la banque. Tu penses qu’on aurait dû regarder ailleurs ?

- J’ai jamais dit ça, j’avoue que j’admire ton exploit. Je me demande encore comment t’as fait pour lui courir après, pendant si longtemps. Je dis juste qu’attraper des voleurs et arrêter des agresseurs, ce n’est plus ton travail. Laisse ça aux patrouilles. N’oublie pas, maintenant tu es un enquêteur.

- Je reste un gendarme, Mansour, répondit-il calmement.

Désespéré par la réponse de son ami, qui par moments ne semblait pas saisir la portée de ses messages, le plus grand des deux enchaîna sur un ton plus joyeux.

- Hmm, si tu n’étais pas mon ami, je ne pourrais pas crier sur tous les toits, que tu es un drôle de fou.

- Avec cette taille de perche, c’est toi que l’on pourrait prendre pour un fou, tu sais, rétorqua Abdoulaye.

- Bien joué. Mais tu sais, une personne normale et saine d’esprit aurait surement ramené le porte-monnaie et non le voleur avec. Tu aurais pu le lui reprendre et le laisser partir.

« Tout se négocie ». Ces mots résonnaient encore dans la tête d’Abdoulaye.

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