Réinitialisation

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Je ne sais où je retourne puiser du courage, quand je pensais en avoir épuisé jusqu’aux dernières gouttes. Toujours est-il que je me calme et que je me relève. Lentement.

Je ne me laisserai pas abattre, pas tant que je n’aurai pas percé l’origine de toutes les singulières questions que je me pose. Qu’il s’agisse de moi-même ou de ce monde que je ne reconnais plus comme le mien. Ne serait-ce que par égard pour ma femme et ma chère fille. Ou du moins pour le souvenir que j’ai d’elles.

Peu importe. Il ne sera pas dit que William « Willy » Cramer se sera rendu sans se battre. Je passerai mes moments de lucidité tout entier à essayer de comprendre ce qu’il se passe.

Armé de cette résolution, je me détourne avec hauteur, presque snob, de cette insultante barrière qui m’aura causé tant de soucis. Mon idée reste la même, il faut que je revienne sur mes pas. Je bifurque légèrement et m’engouffre dans la ruelle suivante, libre de tout obstacle, avec la ferme intention de rejoindre mon itinéraire principal dès que possible. Ce ne sera au final qu’un banal détour.

Tout à mes occupations, je n’ai pas noté l’absence d’âme qui vive dans cette partie de la ville. Les rues sont étrangement désertes et je ne perçois que très faiblement la rumeur de la ville. Il me semble bien pourtant m’être conformé ce matin, inconsciemment, à mon horaire habituel.

Par précaution, je m’arme de prudence, ralentit le pas et scrute attentivement les alentours. Ce faisant, j’arrive à hauteur d’un passage me permettant de rejoindre mon chemin initial. Un presque imperceptible, mais bien présent, sentiment de triomphe me taquine, à l’idée que je me souviens toujours de l’endroit par lequel je suis venu. Il n’y a pas de petites victoires.

Mais celle-ci est aussi de courte durée puisque, soudainement, l’intégralité de mon corps perçoit comme un changement de texture de l’air. Celui-ci se fait plus épais, presque sirupeux, bien que rien ne me soit visible à l’œil nu. Mes mouvements ralentissent progressivement, comme si j’étais empêtré dans quelque gigantesque toile d’araignée. Je compense le ralentissement en redoublant d’énergie et accélère faiblement. Très vite, la sensation du freinage se fait plus forte. J’ai beau tendre mon corps de tout mon poids, je n’avance plus. Une invisible membrane élastique m’interdit le passage. C’est du moins ainsi que je décrirais la sensation étrange que j’éprouve. Serait-ce un champ de force ? Jusqu’à maintenant, je n’avais rien lu à ce sujet qui ne relève du domaine de la science-fiction.

Et l’interrogation tombe, glaçante.

Mon monde aurait-il des limites ?

Je suis forcément arrivé par-là, ce n’est pas possible. Je distingue quasiment une rue qui m’est familière au bout du passage. Je ne me laisserai pas abattre, je vais faire demi-tour encore et tenter avec la ruelle suivante. Fermement résolu, j’esquisse un pas en arrière et tente de ramener mon poids sur mon pied pour effectuer mon demi-tour, dans un geste qu’il me semble bien avoir effectué plus d’un millier de fois dans ma vie.

Mais encouragé par tous mes échecs précédents, mon corps se permet encore l’affront de ne pas obéir. Je ne peux ni avancer, ni reculer, ni même pivoter pour me retourner. Je me suis trop avancé dans cette espèce de mélasse invisible et me suis englué. Je me fais l’effet d’une mouche prise dans une toile. Piégé.

Machinalement, légèrement anxieux, je promène mon regard dans toutes les directions au cas où la chose qui aurait construit ce filet viendrait me cueillir. Mais nulle hideuse araignée géante et toujours pas d’âme qui vive. J’essaie d’agiter violemment mes jambes – seuls membres que je peux encore mouvoir – pour tenter de me dégager. Je me suis si bien empêtré que je reste suspendu dans les airs, les deux jambes levées, comme mis en pause en plein saut. J’ai beau être conscient que ma posture prête à rire, mon angoisse et mon impatience prennent le dessus.

-          « Hé, il y a quelqu’un ? »

Pas de réponse.

-          « S’il vous plaît, je suis coincé dans une ruelle. J’ai besoin d’assistance pour me dégager. »

Je m’apprête à hausser le ton, voire à crier mes appels à l’aide mais je me résigne instantanément. Je suis conscient que mes vociférations ne serviraient à rien. La ville n’est peuplée que de zombies qui m’ignorent. Je sais que rien ne

 

***

 

« Sing, sing, like if it would be the last time. »

J’aime ces matins empreints de sérénité.

« Keep calm and hold the microphone. »

Je ne prends jamais les transports publics, marcher me permet de garder les idées claires.

« Wave your head and grab my hand. »

J’en profite pour observer mes contemporains, en dodelinant du chef au son des mélodies qui emplissent mes oreilles.

« We are all echoes of each other’s. »

Même si la lumière du soir les sublime, c’est encore le matin que je préfère les regarder, les gens.  Pleins d’espoir, le matin, ils sont. C’est un jour nouveau et tout est encore possible. Et ils le savent. Résignés, fatigués, souffrants, soufflants, traînants des pieds ; ou la tête haute, le buste droit, le pas assuré. Mais toujours déterminés. La ville peut avoir l’air malade ou énergique au petit matin, c’est selon. Mais moi, je vois l’éclat. Je vois l’étincelle qui brille au fond de leurs yeux. Je vois de légers sourires déformer leurs lèvres, comme s’ils remerciaient silencieusement le ciel de cette nouvelle journée.

« Fly, in circles. »

Ma vie ne serait pas la même sans musique. J’ai fait un cauchemar cette nuit. Mon casque ne marchait plus. Et je devenais sourd. Funeste présage. J’ai vérifié au saut du lit, en nage, mais le son sortait normalement sans imperfection. Cela m’a rassuré.

J’aime ces matins empreints de sérénité. Je parle régulièrement à ma femme de ce que j’observe dans la rue, des petites anecdotes que j'y rencontre. Son petit humaniste, m’appelle-t-elle. Je n’irais pas jusque-là. Sans pour autant être philanthrope, comme ont pu l’être certains fameux philosophes et hommes de lettres, je cultive une bienveillante curiosité à l’encontre de mon prochain. Intérêt, à mon sens, essentiel à la panoplie de tout bon citadin.

Il m’est difficile d’appréhender le point de vue de la plupart de mes collègues et connaissances, qui me rétorquent constamment que moins on en connaît sur son prochain, à savoir le premier quidam croisé au hasard dans la rue, mieux on se porte. Je ne cultive pas cette froide indifférence envers ceux de mon espèce. N’est-il pas distrayant ou intéressant – c’est selon – d’observer les particularités morphologiques de chacun ou de s’imaginer ce que peut être sa vie ou son caractère ? Nous sommes l’une des espèces les plus diverses du globe, et ceci encore sans aborder le facteur culturel.

« At the end of time, at the end of me. »

J’aime ces matinées. Les oreilles saturées de mélodies instrumentales ou électroniques. Piano, guitare, violon ou saxophone. Voix douces, rauques ou gutturales, emplies de la personnalité de leur propriétaire ou déformées technologiquement. Les yeux grands ouverts pour ne pas rater une miette du spectacle. Chaque matin est inépuisable.

Chaque matin contient une parcelle d’éternité.

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