La fille écarlate

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Daniel a prononcé son premier mot ce matin. Il a dit « pudding ». J’étais tellement ému que je suis resté dix minutes à essayer de le lui faire répéter à nouveau. Par conséquent, je suis en retard pour aller au travail et je déteste ça. Je presse le pas. Avec un peu de chance, ce ne sera que l’affaire de cinq minutes et personne ne remarquera rien. De toute manière, je suis plutôt bien placé dans la hiérarchie de l’agence, personne ne me dira rien.

Pour ne pas la chercher au dernier moment et risquer de prendre davantage de retard, je fouille dans ma sacoche pour trouver ma carte de presse et la porter autour de mon cou. Ne la trouvant pas, je m’arrête une seconde pour examiner plus consciencieusement l’intérieur de mon sac. Pas de carte. Un portefeuille et un prospectus d’agence de voyage. Au dos de celui-ci, une photo, sur laquelle j’apparais au milieu d’hommes et femmes qui me paraissent vaguement familier.

 

«  Le staff Sunny Corp, toujours prêt à répondre à vos exigences et attentes. Pour l’assurance que vos vacances et voyages restent des moments inoubliables. De gauche à droite, »

 

Plusieurs noms sont égrenés à mesure que la liste en vient aux personnes présentes au centre de la photo.

 

« Flanagan Holster, directeur commercial de l’agence. »

 

Incrédule, je reste planté sans bouger quelques secondes. Une agence de voyage ? Vraiment ?

Et soudain, tout semble me revenir en un éclair. Il est vrai que j’ai toujours rêvé d’être journaliste. En partant travailler, je m’étais mis en tête que je me rendais à la rédaction avant de partir investiguer. Agence de presse, agence de voyage, l’amalgame est aisé. Je travaille bel et bien dans le tourisme, je cherche d’ailleurs à mettre en place des circuits vers des destinations nouvelles, comme le Grand Nord.

J’étais tellement sur un petit nuage ce matin avec le premier mot de Daniel que j’ai dû transposer ma bonne humeur sur le reste et m’imaginer que je travaillais dans le domaine dans lequel j’ai toujours rêvé d’officier.

Je raconterai ça à Lyra ce soir, cela devrait l’amuser. Encore faut-il que je m’en souvienne d’ici là.

 

Je reprends ma route d’un bon pas pour ne pas perdre davantage de temps. La rumeur de la ville bourdonne à mes oreilles, forte de milliers de conversations simultanées.

-          « Monsieur, votre monnaie.

-          Attention, le feu n’est pas vert.

-          Il s’appelle Hold, il vient d’avoir cinq ans.

-          Façade classique, volets blancs, plaque à l’entrée. Il y a souvent une grande plante verte à côté de la porte. »


***

 

Je suis sorti beaucoup trop tôt, en plein milieu de l’Heure Rousse. Je déteste ce moment de la journée. La lumière du soleil n’est ni jaune, ni orange et oscille perpétuellement entre les deux, donnant une teinte malsaine à toute la ville. Les passants ont l’air malade et maussade. Ils clignent des yeux pour ne pas être éblouis par les innombrables reflets de l’astre. Ils ont l’air idiot.

Je préfère de loin l’Heure Sanglante. Son appellation est plus agressive mais elle ne la mérite pas. La couleur rouge s’exprime plus franchement que les tons orangés nauséeux de l’heure précédente et offre un bien plus beau récital de fin de journée. Comme pour fêter le temps qui s’est écoulé. Tant pis, je ferai plus attention demain, je sortirai plus tard de la rédaction.

Mon regard est attiré par une tâche écarlate passant à la périphérie de ma vision, sur ma droite. Je tourne la tête. La masse de cheveux rouges appartient à une séduisante fille qui traverse nonchalamment la rue. Sur d’autres personnes, cette couleur de cheveux est toujours ratée ou donne l’air vulgaire. Sur les siens, elle donne l’impression d’être naturelle. Elle est élégante. J’ai l’impression de l’avoir déjà vue quelque part. Mais si j’avais croisé une fille pareille, je m’en souviendrais.

Je ne sais si j’ai attiré son attention, mais là voilà qui regarde aussi dans ma direction.

Non, elle me regarde.

Elle fait un pas dans ma direction, puis un autre. Je tente de lui sourire, mais mon visage reste figé. Mon inexpressivité ne l’empêche pas de continuer de progresser vers moi. J’aimerais aller à sa rencontre, mais mon visage n’est pas la seule partie touchée, mon corps ne me réponds pas.

C’est à ce moment-là que je la remarque. Cette musique. Elle flotte dans l’air. Depuis combien de temps est-elle audible ? J’ai du mal à en distinguer les différents instruments mais la mélodie est douce et rythmée, faisant naître en moi un vague sentiment de mélancolie. Puis c’est la voix qui finit par monopoliser mon ouïe, une voix de femme. Tendre et lancinante.

Par réflexe, je porte mes mains à mes oreilles. Comme je l’escomptais, je ne porte effectivement pas mon casque. C’est comme si cette musique m’entourait. Aucun haut-parleur ne diffuse pourtant de sons aux alentours. Je n’arrive pas à identifier l’origine de ce que j’entends et je parviens encore moins à déterminer par quel côté cela m’arrive. C’est omniprésent. Je n’ai jamais rien entendu de pareil. J’ai beau plaquer, inquiet, mes mains sur mes oreilles, c’est peine perdue. La musique résonne aussi à l’intérieur de ma tête.

Indifférente à mon malaise, la fille a continué d’avancer et me dépasse doucement. Elle ne me regarde plus. J’ouvre la bouche pour l’interpeller mais nul timbre n’en sort et la peur me gagne devant ce nouveau refus de mon organisme à suivre mes ordres. Me prenant de cours, elle se met à courir à toute vitesse. Le temps que je réagisse, elle s’est éloignée et a bifurqué dans une rue attenante à celle dans laquelle nous nous trouvons. C’est trop tard que ma parole finit par faire vibrer l’atmosphère.

-          « Attendez ! »

Je m’élance à mon tour, et mon corps – sans rechigner cette fois-ci – me donne l’énergie nécessaire pour suivre le même chemin que l’inconnue écarlate. Bien qu’athlétique, j’ai l’impression d’aller bien moins vite qu’elle. Bifurquant à mon tour dans la ruelle, je ne l’aperçois pas. J’augmente ma cadence, espérant la repérer à la prochaine intersection, mais quelque chose de singulier se produit.

Je n’avance plus.

Pourtant, je n’ai pas arrêté de courir. Je balance toujours un pied devant l’autre pour avancer, je m’équilibre de mes bras et j’inspire et expire régulièrement pour ne pas m’essouffler. J’avale le sol à chaque pas. Mais je n’avance pas.

Surpris, je m’arrête et tend prudemment la main en avant. À partir d’un certain point, je sens comme une légère résistance et mon bras refuse d’aller plus loin. Ce phénomène m’est inconnu. S’agirait-il là des nouvelles technologies de champ de force louées dans les dernières actualités télévisées comme dernière avancée scientifique majeure ? Je ne savais pas que

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