Il faut que ce soit propre

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Flanagan par-ci, Flanagan par là. Flanagan, peux-tu m’aider ? Bien sûr mon cher, je n’ai que ça à faire.

Le plus singulier, c’est que je me souviens parfaitement de tous ces bruits de couloir au travail mais absolument pas de mes activités du jour. J’ai dû recevoir quelques pigistes, valider l’achat de certaines photos pour ce reportage sur le Grand Nord et corriger des articles. Une journée normale en agence de presse, si ce n’est que je n’en ai aucun souvenir. Seules quelques phrases entendues dans la journée sont restées imprimées dans mon cerveau. Mais rien d’autre.

-         « Flanie ! »

Machinalement je me retourne. Je ne connais personne d’autre que ma mère, ma femme et mon fils, qui ne m’appelle par ce surnom. Et la probabilité qu’une de ces trois personnes se trouve sur mon chemin pour revenir du travail est plus que réduite.

Un petit garçon trotte doucement vers une femme qui doit être sa mère.

-         « Ne t’éloigne pas, je te l’ai déjà dit. Nous sommes dans une grande ville, tu pourrais te perdre ou rencontrer de mauvaises personnes. »

Est-ce un diminutif comme pour moi ou est-ce son vrai prénom ? Je n’ose poser la question à sa mère. J’arrive devant la petite vieille, toujours occupée à balayer son trottoir. Cette fois, je n’y tiens plus.

-         « Bonsoir madame.

-         Bonsoir monsieur.

-         Comment se passe votre nettoyage ? Il me semble vous avoir déjà vue à l’œuvre ce matin et les jours précédents.

-          Il faut que ce soit propre.

-          Je suis bien d'accord. Mais ne pensez-vous pas qu’il soit difficile de rendre un trottoir véritablement propre ? Beaucoup de gens passent ici et le salissent de nouveau.

-          Il faut que ce soit propre », répète-t-elle, obstinée, sans daigner lever les yeux pour me parler.

Devant son opiniâtreté, je n’ai pas d’autre choix que de battre en retraite.

-         « J’entends bien madame. Je vous souhaite bien du courage.

-         Bonsoir monsieur.

-         Bonsoir madame.

-         Il faut que ce soit propre. »

Interdit, je ne trouve rien à rétorquer et préfère continuer mon chemin. Ses gestes sont lents, méthodiques et raides. Elle ne s’est pas un seul instant arrêtée de balayer pendant notre conversation. La pauvre ne doit plus être en pleine possession de ses moyens.

Un panneau et un cordon de sécurité me barrent l’accès à la ruelle que j’emprunte habituellement pour mon trajet quotidien. Je pensais pourtant y être passé ce matin.


***


Je retourne au travail. J’ai l’impression de ne faire que ça en ce moment. J’oublie pourtant ce que j’y fais. Je n’ai pas de souvenirs non plus du temps que je passe avec ma famille. Les seuls souvenirs que j’ai ne concernent que mes trajets entre mon domicile et mon lieu de travail. Je ne saurais dire à quoi ont été occupés mes derniers week-ends. Quels sont mes loisirs ?

Le doute n’est plus permis, je souffre d’un trouble de la mémoire. Et les zones d'ombre dans mes souvenirs sont conséquentes. Si je ne me souviens que de deux heures pour chaque journée, je dois frôler l’amnésie complète. Ai-je déjà consulté un spécialiste ? M’aurait-il donné des conseils ? Suis-je en train de suivre un traitement ? Et ma femme est-elle au courant ?

La récurrence et la forte similitude de mes trajets domicile-travail sont certainement les facteurs qui ont conduit ma mémoire à enregistrer ces instants en particulier. Souvenirs générés automatiquement grâce à la répétition indéfectible de mes monotones trajets. Peut-être détiens-je là un point d’entrée pour commencer à retrouver la mémoire. Je n’aurais jamais pensé louer le moment de la journée que la plupart des citadins détestent.

Toutefois ces souvenirs ne sont pas parfaits, semble-t-il.  J’ai beau me creuser la tête un moment, je n’arrive pas à me remémorer les instants où j’achève mon trajet, lorsque j’arrive au travail. Je me représente encore moins l’aspect du bâtiment où je suis censé me rendre. L’enregistrement cesse-t-il au moment même où je pose les yeux sur mon agence ? Le bâtiment m’apparaît-il familier malgré tout ?

Je devrais certainement pouvoir m’en assurer lorsque je me trouverai devant celui-ci, une fois mon trajet effectué. Justement, sans que je puisse expliquer pourquoi, j’ai le sentiment que celui-ci touche à sa fin. Mes jambes me conduisent le long d’une avenue au bout de laquelle j’entraperçois un clocher surplombant les immeubles. Ce décor m’est vaguement familier. Encore une intersection et je serai arrivé. Un panneau analogique accroché à mi-hauteur de la tour distille les dernières nouvelles aux passants.

Nous sommes le samedi 8 avril 2010. Cela ne m’évoque rien. Cependant, cette information m’interpelle immédiatement. Le journal publie-t-il une édition le samedi ? Ma mémoire séquentielle n’a pas tenu compte du jour qu’il était et machinalement, a fait emprunter à mon corps le chemin du travail. Mais je ne crois pas être censé travailler le

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