Je m'envoie tout seul - 1

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Province autonome d’Ieshanala

Čearda Jägare

Avec une lenteur infinie, l’aérostat se pose au milieu d’une vaste plaine où sont amarrés quatre autres dirigeables. La Première Meute foule l’herbe dorée par le soleil, Léon Biyaki à sa tête. Il étire son corps longiligne avec délectation, savourant la hauteur sans fin d’un ciel ouvert. Après plusieurs jours de voyage dans un environnement confiné, même la brise chaude de la saison sèche est une bénédiction. Les rayons du soleil frappent les plaques métalliques fichées dans les chairs d’Ephraïm, qui s’éloigne de la meute d’une démarche souple et rapide en direction de véhicules terrestres. Samal se précipite derrière lui et s’allonge sur le tapis jauni, ignorant la piqûre de l’herbe desséchée et la dureté du sol aride, trop heureuse de retrouver la terre ferme.

— Quatre jours à voler ! s’exclame-t-elle, les paupières closes sous la morsure du soleil. Qu’est-ce que j’aime le sol.

— Depuis la technosphère de Satyârtha ! Rajoutes-y une demi-journée à partir du puits, renchérit Tycho, lui aussi satisfait d’être enfin arrivé. Heureusement que ça valait le coup.

Il vient s’allonger à côté de Samal et se redresse très vite en position assise, gêné par l’herbe piquante. Le jeune homme se gratte vigoureusement le bras et grommelle des injures incompréhensibles.

— Fragiles ces jeunes ! P’tites natures, raille le vieux Klen. Connaissent pas la vie.

— Surtout le gamin, ni costaud ni futé ! s’écrie Amuï en surgissant derrière le pisteur, cigarette aux lèvres.

Le pilote lui met une petite claque derrière la tête avant de s’enfuir comme un enfant. Il laisse des nuages de fumée dans son sillage et glousse d’une voix rauque. Nebo secoue la tête d’un air navré, ses mèches couleur de feu volent au grès de la brise et viennent voiler son visage parsemé de taches de rousseur. Le chef de meute observe ses Jägare avec une fierté dont il ne laisse rien paraître. Réprimant un sourire, il se dirige vers la nacelle arrière qui fait office de soute. Léon déplie la plateforme télescopique pour en sortir le paiement généreux d’Ern Huysmans, en récompense à leurs trouvailles inestimables. Un bruit de moteur s’élève au milieu du silence paisible de la plaine. Au volant d’un véhicule tout terrain à la carrosserie d’un noir obsidien, Ephraïm vient rejoindre la meute et se gare à proximité de la soute.

— On décharge, dit Biyaki sans élever la voix.

Les deux plus jeunes se relèvent, époussetant l’herbe sèche accrochée à leurs vêtements, tandis que Klen et Nebo sont déjà en train de sortir les multiples objets. Des batteries photovoltaïques, de nouveaux outils pour travailler les métaux et les alliages associés, des pièces de rechange variées et autres matériaux devenus indispensables aux expéditions des Jägare. Amuï se rapproche d’un pas tranquille, nonchalant, toujours une cigarette fumante aux lèvres. Il s’empare d’une caisse remplie à raz bord de plaques métalliques, qui tintent les unes contre les autres tandis qu’il essaie de la soulever. Sans succès. La fumée sort de sa bouche au rythme de son effort. Avec un déploiement surhumain d’énergie et les jambes tremblantes, il parvient à la déplacer jusque dans la benne du véhicule, sous le regard moqueur de Nebo.

— Ni costaud ni futé ! raille-t-elle en l’imitant d’une voix nasillarde.

Pour toute réponse, il lui adresse un rictus narquois, qu’elle fait disparaître en lui arrachant sèchement la cigarette de la bouche. Décrétant qu’elle serait désormais la sienne, elle tire dessus en lui rendant son sourire goguenard.

— Mais c’est qu’elles frôlent le parfait amour nos sentinelles ! lance Tycho, embarrassé jusqu'au menton par un empilement de boîtes. On préfère pas savoir ce que vous faites dans la nacelle pendant qu’on est dans le puits, ajoute-t-il en haussant ses sourcils broussailleux d’un air salace.

— Et toi, on en parle de ce que tu fais avec la petite Samal ? rétorque Nebo, des fossettes moqueuses se dessinant sur ses joues.

La brune se met à rougir, mal à l’aise, et baisse la tête sur les batteries photovoltaïques, qu’elle fait mine de remettre en ordre. Elle porte une main à la tâche lie-de-vin qui illustre son cou, tout en rangeant les pièces de l’autre.

— Arrêtez de vous lancer des piques, intervient Ephraïm, sensible à la gêne de la jeune femme. Vos romances ne regardent que vous.

L’intégralité du matériel est transférée dans le véhicule, et Léon s’apprête à refermer la porte de la benne.

— Tycho, Amuï et Nebo, déclare-t-il en fixant les trois Jägare, qui se jettent des regards interrogateurs. Puisque vous êtes bien échauffés, prenez place. On y va.

— Quoi, à l’arrière ? demande Tycho, ses sourcils froncés dans un air perplexe.

— Oui, à l’arrière, confirme Biyaki, peinant à retenir un sourire narquois. Il n’y a que quatre places à l’avant !

— On pourrait pas tout simplement prendre une autre voiture ? relève Nebo, elle aussi peu enchantée de voyager au milieu du matériel.

— Non, on minimise leur utilisation, tu le sais bien, rétorque le chef. Allez, on se dépêche. Retour au bercail.

Amuï se contente de hausser les épaules et monte prestement à l’arrière. Les morceaux de ferraille cognent les uns sur les autres sous son impulsion, et tintent de plus belle lorsqu’il s’assoit sur le métal brûlant de la benne.

— Au moins je pourrai fumer tranquille ! lâche-t-il en levant une cigarette fumante vers le ciel.

Avec une moue boudeuse, Nebo et Tycho le rejoignent, non sans râler devant l’injustice manifeste de leur chef de meute. Le pisteur lâche un cri de surprise mêlé de douleur lorsqu’il pose sa main sur la carrosserie ardente, aussitôt étouffé par Amuï qui le tire vers lui et le force à s’asseoir. Il passe un bras dénudé et couvert de tatouages autour des épaules du jeune homme, visiblement satisfait du trajet qui s’annonce.

— Baisse le bras Amuï, tu pues la sueur ! grogne Tycho en fronçant le nez, mécontent.

Le pilote part dans un grand éclat de rire, tandis que Nebo s’installe en face d’eux, accoudée sur une caisse en plexiglas. D’une main habile, elle couvre sa tête d’un foulard pour se protéger du soleil et du vent, ne laissant dépasser que quelques mèches flamboyantes et rebelles.

— Confortable ? demande Léon Biyaki en refermant la benne, sous les regards contrariés de Tycho et Nebo. Courage, on n’en a pas pour longtemps.

Il met un léger coup sur la carrosserie du plat de la main, signifiant qu’ils sont prêts à partir. Le chef prend place à l’avant avec le reste de la meute, fenêtres ouvertes et sourire aux lèvres. L’habitacle relativement spacieux lui permet d’y rentrer ses longues jambes sans trop de peine. Un hochement de tête en guise de feu vert, et Ephraïm démarre le véhicule pour les emmener au Čearda.

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