Chapitre 1 - Les poulaillers locatifs

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« Excusez-moi du retard. Commençons la réunion. »

Jean-Christophe s'assit en face de ses deux interlocutrices, Aline, responsable gestion locative, et Roxanne, responsable commerciale. Il n'avait aucune envie d'être là. Il savait d'avance que sa matinée était perdue.

Qu'est-ce qu'elles ont foutu encore ? Bon sang, leur simple vue me donne envie d'un martini.

« Pas de problème J-C, répondit Roxanne qui le gratifia de son plus beau sourire. »

Plus elle sourit et plus la connerie est grande, telle une fonction exponentielle.

« Nous voulions avoir l'avis du service juridique pour un petit projet, débuta Aline de sa voix flûtée. Madame Marchand n'est pas disponible ?

_ Non, elle n'est pas là de la matinée. Dites-moi tout.

_ Nous souhaitons revaloriser l'image de la société auprès de nos locataires dans les ensembles collectifs de l'avenue du château, expliqua Aline.

_ Comme rénover les logements insalubres ? tenta Jean-Christophe. Pour communiquer sur les futures rénovations thermiques, voyez plutôt avec Albin.

_ Non, répondit Roxanne dont le sourire s'était légèrement crispé. Nous voulons viser l'ensemble des locataires. »

Malin, emmerdons tout le monde au lieu de régler les problèmes de quelques-uns.

« Dommage, conclut-il. Régler ce problème devrait être prioritaire, enfin à mon sens.

_ Oui, acquiesca Aline. Mais c'est à lui de lancer les rénovations, nous ne savons pas où il en est d'ailleurs. »

Ba oui J-C, c'est à Albin de le faire. Sauf que pour ça, il faudrait qu'il retrouve les plans de la moitié du parc immobilier qu'il a jeté à la benne. Comme cela n'arrivera jamais, nous avons pondu un fabuleux plan pour que nos locataires meurent de froid heureux.

J'ai hâte de le découvrir.

« Sur quoi planchez-vous alors ?

_ Afin de renforcer l'esprit de convivialité de nos locataires, reprit la responsable commerciale, nous souhaitons installer des poulaillers. Un pour chaque immeuble... »

Mon dieu.

« ... donc huit poulaillers au total.

_ Des sortes de poulaillers locatifs, conclut Aline, sûre d'elle. »

Elles se surpassent à chaque fois. J'ai hâte de voir la tête de Madame Marchand quand je lui raconterai tout ça.

« Vous êtes sérieuses j'imagine ? »

Vas-y Aline, chiale. Je verserai tes larmes dans mon martini.

Roxanne ne s'était pas départie de son sourire, Aline n'avait jamais eu l'air aussi godiche. La réponse de Jean-Christophe avait rendu les deux responsables perplexes, ce qui l'attrista encore en plus.

« Qu'est-ce qui ne vas pas encore ? » tenta Aline.

Oh je ne sais pas, peut-être l'esprit de convivialité déjà. Un de ces locataires a réglé ses problèmes de voisinage à coup de hache le mois dernier. Que va-t-il arriver si ce cher monsieur s'aperçoit qu'on lui a piqué un oeuf ? Ou même une poule ? Ah et d'ailleurs, comment on fait pour départager vos poulaillers ? Et la production des oeufs, ça rentre en compte ? Il faut que tout le monde en ait le même nombre ? Bon dieu, je ne sais même pas par où commencer, elles ont réussi à créer une usine à gaz avec des poulaillers !

« Je ne vois vraiment pas comment donner un cadre juridique à cette opération, répondit-il. Je pense que Madame Marchand sera de mon avis. Bien sûr je pourrais me pencher sur la question et...

_ Oui, le coupa Roxanne, penchez-vous sur la question au lieu d'être réfractaire aux nouvelles idées. »

Mais quelle pute !

« Ne le prends pas personnellement J-C, ajoute Aline. Mais le juridique a tendance à bloquer les projets qui sortent du lot, nous cherchons juste à nous démarquer. »

Ça pour se démarquer, on se démarque. Ne pas s'énerver, ne pas donner cette satisfaction à Roxanne.

« J'ai dit que je regarderai, trancha-t-il. Je ferai part de votre projet à Madame Marchand. Je vous précise juste que vos poulaillers locatifs vont poser quelques difficultés. »

Aline soupira bruyamment.

« Nous en parlerons à Monsieur Caprin, indiqua Roxanne. Nous verrons ce qu'il en pense.

_ Mais je t'en prie Roxanne, s'agaça Jean-Christophe. Ça m'étonnerait vraiment que Monsieur Caprin soutienne votre idée, à moins qu'il ne soit actionnaire chez cocorette. »

Même lui, il trouvera cette idée ridicule.

« C'est ce que nous verrons, Jean-Christophe, menaça Roxanne.

_ Ah ? Tu penses qu'il a des actions ailleurs ? Chez la coquille dorée ? Oeuf 2000 ? »

Désolé de me dresser encore une fois devant la réalisation d'un projet révolutionnaire.

Roxanne se leva, son sourire s'étirait maintenant d'une oreille à l'autre, terrifiant de crispation.

« Nous allons prendre en compte tes réserves, temporisa Aline en se levant à son tour. Envoie-nous tes remarques et nous présenterons ensuite notre projet à Monsieur Caprin.

_ Pas de problème, nous regarderons ça avec Madame Marchand. »

Comme si on avait que ça à foutre.

« Au revoir Jean-Christophe, bonne journée. »

La porte claqua pendant qu'il feignait de prendre des notes de la réunion et il se retrouva seul dans la salle de réunion.

En fait, ça n'a pas duré longtemps. Bon, retour au service.

Jean-Christophe quitta le 4e étage et retrouva le service juridique au 2e étage garni d'une moquette marron et de murs jaunes canaris, les couleurs préférées de Madame Marchand. À peine avait-il passé la porte que Flavie, l'assistante, vint à sa rencontre.

Putain non !

« Alors J-C ? demanda-t-elle de sa voix nasillarde. Comment ça s'est passé ta réunion ?

_ Elles veulent faire des poulaillers locatifs avenue du château. » soupira-t-il en se servant un café.

Flavie ponctua sa phrase d'un insupportable gloussement dont elle seule a le secret.

« Non mais n'importe quoi ! s'exclama-t-elle hilare. Demain ça sera quoi ? Un Zoo ? Elles sont vraiment bêtes ces filles ! Elles ont rien d'autre à faire ? Avec tout le travail qu'on a, nous ! De toute façon dès qu'il y a Roxanne, ça ne peut être que n'importe quoi ! Et pourquoi pas un zoo pendant qu'elles y sont ! »

Seigneur, aidez-moi.

« Comme tu dis. Tout s'est bien passé ici pendant mon absence ? Des coups de téléphone ?

_ Non, j'ai travaillé sur mes dossiers de vente. Il faut que je rappelle Maître Raustau... »

Pour qu'il fasse le dossier à ta place.

« ... pour un dossier, j'ai l'impression qu'il manque des choses... »

Oui, ton boulot.

« ... alors que je n'ai pas que ça à faire avec tout notre travail, mais bon... On va faire avec ! Comme d'hab ! ponctua-t-elle d'un gloussement nerveux. Vivement que le nouveau arrive, on va pouvoir souffler. »

Oui Flavie, je vais pouvoir souffler. C'est moi qui me tape tout le corporate en plus de mon poste. Toi tu brasses du vent et parasite le service en plus de nous faire subir ton stress pathologique.

« C'est vrai. Il arrive à quelle heure ? Il a du retard c'est ça ?

_ Oui, il doit passer à la médecine du travail avant. »

Et chez le psy dans 6 mois. Sauf s'il est de ta trempe, Flavie. Dans ce cas, il faudra que je songe sérieusement à utiliser une de ces imprimantes 3D pour me fabriquer une arme.

« Ok, conclut Jean-Christophe en s'éloignant. J'ai des coups de fils à passer. Préviens-moi quand il arrivera, j'irai l'accueillir. »

Je ne demande qu'une chose : une personne normale.

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