Chapitre 12 : Partie 5/5

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Erik et le feu les accueillirent à leur retour. Il fut aussitôt chargé de s’occuper de la viande avec Illian, tandis qu’Aera s’attelait à la préparation de l’aigremus. Son premier réflexe avait été de vérifier le contenu de son sac pour s’assurer que toutes ses affaires y figuraient toujours, puis elle en avait tiré une coupelle en cuivre. Elle la remplit d’eau de sa gourde, y plaça les feuilles avant de les tasser avec un bâton, puis porta le tout sur le feu. Les flammes léchèrent le récipient une quinzaine de minutes, suffisamment longtemps pour que les plantes devinssent une mixture brunie. Aera l’appliqua encore chaude sur le pied de son amie.

- Demain, la douleur ne sera qu’un lointain souvenir, assura-t-elle. Garde bien ça toute la nuit.

- Merci.

Les effluves de viande grillée commençaient à emplir leur abri. Aera piocha une poignée de baies.

- J’aimerais qu’on parle de la pierre, annonça soudain Illian. L’artefact. Comment tu as su pour son existence ? C’est une information que seuls les soldats partis en mission à Luméo s’échangent.

Cette question lui procura un frisson désagréable. Elle s’humecta les lèvres. Devait-elle lui dire la vérité ?

- Je l’ai lu dans un livre.

Mentir ne servait à rien. Il n’était plus soldat, il ne pouvait plus rien contre elle. Inconsciemment, elle pressa son sac contre sa jambe, comme pour protéger l’ouvrage interdit qu’il renfermait. Illian ne cacha pas sa surprise.

- Ce n’est pas possible. Aucun livre de la bibliothèque ne le mentionne.

- Il faut croire qu’un livre t’a échappé. Ou que j’ai mis la main dessus avant que les contrôles ne soient renforcés.

- L’as-tu en ta possession ? la suspecta-t-il.

- Refais-tu partie de la garde ? répliqua-t-elle, plus agressive.

Illian soupira et se passa une main sur le visage.

- Peu importe. Que sais-tu sur cette pierre ?

- Elle est gardée dans un temple, caché au fin fond de Lumeo. Seul un élémentaliste sait où le trouver. Pour ça, bien sûr, il faudrait déjà pouvoir accéder au royaume.

Durant toutes ces heures passées à dévorer des écrits, lovée au fin fond de la bibliothèque, la jeune femme avait déjà trouvé des informations relatives à celui-ci. Mais aucune n’abordait sa localisation. Lumeo camouflait son entrée du reste du monde.

- J’y ai déjà été par le passé, lui apprit l’ancien commandant. Je ne devrais pas avoir de mal à le trouver.

- Elle confère à quiconque la tient la maîtrise des quatre dons à leur puissance maximale, poursuivit-Aera. Les effets se dissipent aussitôt qu’on la repose. Sa puissance est telle qu’elle sera suffisante pour créer une brèche dans le dôme des Irnaths. Elle défit toutes les lois du Don. Cet artefact peut être notre clé. Ou un véritable danger, s’il tombe entre de mauvaises mains.

- C’est terrifiant, marmonna Eileen.

- C’est pourquoi il nous faut la trouver et en faire bon usage, déclara Illian.

Aera fut tentée d’extirper le livre de son sac pour le leur montrer. Il renfermait une carte précieuse de l’emplacement du temple, au sein du royaume. Elle réfréna cette idée. Après tout, cette information ne leur était pas utile pour l’heure. Elle préférait en garder un peu pour elle. Au cas-où.

- Est-ce que quelqu’un pourrait enfin m’expliquer vos intentions ? réclama Erik.

Son air agacé ne le quittait pas. Eileen se lança :

- L’escouade de la dernière mission sur l’Entre-Deux n’est pas revenue. Des renforts s'y sont rendus et ont trouvé de nombreux corps, mais un certain nombre a disparu. Alors nous partons chercher ces hommes.

- Ils sont morts, coupa le garçon.

- Ou pris en otages ! s’enflamma-t-elle.

- C’est impossible. Personne ne peut traverser la protection des Irnaths sans le gène Z ! C’est le but du dôme, non ?

- C’est exact, confirma Aera. Mais on peut le contrer, comme je viens de l’expliquer. Avec la pierre.

- C’est de la folie ! Les maîtres du Don ont déjà été envoyés par le roi pour essayer de le détruire et n’ont jamais réussi ! Tu crois vraiment que ce caillou saura faire mieux qu’eux ?

- Ce caillou est un artefact. Son pouvoir n’est pas comparable avec celui d’une poignée d’hommes.

- Admettons, reprit-il plus posément. Qu’est-ce que vous avez à gagner, à part mettre la main sur des cadavres ?

- D’abord, montrer que le dôme possède des failles serait un grand pas en avant. Ensuite, le Commandant Kilenswar est mon promis. Je sais bien que les chances de survie sont faibles, mais je dois prendre le risque. Concernant Illian, sauver le commandant de la garde royale et ses hommes lui permettrait de retrouver son honneur.

La jeune femme omit de parler des motivations d’Eileen. Bien qu’elle fût à l’origine de ce voyage, Aera ne saisissait pas la raison qui l’animait à agir de la sorte, si ce n’était la futilité de son attachement à Gaël. Elle chassa aussitôt cette idée de la tête. Il était hors de question qu’elle laissât ses émotions la guider, encore moins la jalousie.

L’ancien commandant découpa de larges tranches de viande fumante qu’Erik leur tendit. Aera y mordit à pleines dents, sans se soucier du jus qui dégoulina le long de son menton. Le goût du hëtrel fumé ravissait ses papilles et manger ferait enfin taire les lamentations de son estomac.

Un bruissement sec survint des fourrés voisins. Le vent soufflait, mais le bruit avait été net et rapide. Comme si quelqu’un s’y était faufilé. Personne ne semblait l’avoir entendu.

Aera se détourna de la conversation, préoccupée, étudiant avec discrétion les alentours. Quelque chose traînait dans les parages. Une terrible intuition s’était installée et ne la quittait plus. En attendant, elle ne voulait pas alarmer le groupe inutilement : un bon soldat ne signalait que des faits vérifiés. Les poils de ses bras se hérissèrent soudain et elle se retourna en hâte.

Rien.

La plaine se prolongeait et la brise caressait sa végétation éparse.

- Qu’est-ce qu’il y a ? l’interrogea Eileen entre deux bouchées.

- Rien... rien du tout.


L’ancien commandant réitéra les tours de garde. Il désigna Aera pour la première partie de la nuit.

Juste éclairée par le feu de camp, la jeune femme analysait les environs. Elle avait ramené ses genoux contre elle et les frictionnait de temps à autre. Des beuglements et autres cris difficilement identifiables brisaient parfois le silence de la plaine endormie, mais rien ne se montrait.

Aera bailla à s’en décoller la mâchoire avant de se frotter les yeux pour retrouver un semblant d’énergie. Elle tira le livre de son sac, caressa l’épaisse couverture en cuir du bout des doigts, et entama les premières pages. Elle devait tenir encore une heure, après quoi elle pourrait changer sa place avec Illian. Ses paupières s’alourdissaient de seconde en seconde, mais elle luttait de toutes ses forces…


- Aera, va te coucher, je prends la relève.

La voix du doyen la réveilla en sursaut.

Elle s’exécuta sans un mot et zigzagua jusqu’à sa couche, l’esprit embrumé. Elle s’était endormie alors que quelque chose rôdait sûrement dans les parages ? Impossible !

Elle se rappela soudain de son livre. Où était-il ? Il n’était pas tombé lorsqu’elle s’était levée. Il n’était pas non plus posé à côté d’elle à son réveil. Elle plongea sa main au fond de son sac, dans un geste désespéré. Peut-être l’avait-elle rangé avant de sombrer ? Mais elle ne trouva pas la sensation rassurante qu’elle espérait, celle de ses doigts au contact du papier…

Rien.

Ses yeux s’écarquillèrent. Soudain alerte, elle retourna auprès d’Illian. Son cœur s’emballa, tandis qu’une bouffée de stress l’envahissait. Peut-être avait-elle mal regardé !

- Je n’ai rien laissé ici ?

Il vérifia les alentours, puis haussa les épaules.

- Non.

Aera tâta ses poches avec frénésie. Ses mains et ses lèvres tremblaient. La panique la submergeait.

- Quelque chose ne va pas ?

- Non, tout va bien, s’énerva-t-elle.

Ce n’était pas le moment de l’importuner. Il n’y avait aucune trace de son livre. Elle se sentait à la fois abattue et furieuse contre elle-même. Elle n’aurait jamais dû s’assoupir de la sorte ! Quelqu’un le lui avait forcément pris… Se pouvait-il qu’un homme les eût suivis depuis Rivelet ? Bien peu probable. Mais un voleur, cela ne faisait aucun doute. Peut-être un inconnu passant par-là ou bien… un membre du groupe ?

Mais qui alors ? Eileen ? Mais quelle intention la motiverait ? Ou Erik ? Non, ça ne pouvait être eux. C’était à coup sûr Illian ! Avant de la réveiller, il aurait très bien pu lui prendre le livre sans effort et le glisser dans ses affaires. Avec toutes les informations en main, il serait, comme d’habitude, le seul à suivre, le « seul qui sait ».

Oui, pour quelle autre raison pouvait-il s’en emparer ? Aera était persuadée qu’il avait besoin de se sentir supérieur pour retrouver une once de son ancienne vie de commandant. Sauf qu’en faisant cela, elle perdait les coups d’avance qu’elle s’était réservés au cas où un imprévu surviendrait. Et cette idée-là ne lui plaisait pas du tout.

Elle jeta des regards compulsifs vers les affaires de ses compagnons. Sans un bruit et en s’assurant tous les deux pas qu’Illian ne regardait pas en sa direction, elle fouilla les sacs – tous, sauf celui d’Eileen, sur lequel sa tête reposait – et souleva les couvertures. Il n’y avait rien. Rien du tout.

Aera eut beaucoup de mal à retrouver le sommeil.

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