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Kimoudi adressa un dernier salut à sa famille, ces mères et ces pères qui lui avaient appris tout ce qu’il fallait pour devenir un homme. Le bouclier tressé par ses mères était le plus solide qu’il ait jamais vu. Presque aussi grand qu’un enfant de douze étés, ses motifs éclatants lui donnaient du courage. La sagaie offerte par ses pères était légère et rigide, une arme de valeur qui ne lui ferait pas défaut lorsqu’il la lancerait.

Pour finir, la lance qu’il s’était lui-même taillée était souple et puissante. Ses décorations rituelles lui avaient donné la force de lancer un défi à la tribu. Face aux yeux de Megouga. Elle le regardait, maintenant. Megouga n’épouserait pas Benowa, elle l’épouserait lui.

Benowa avait ramené la tête et la peau d’un lion vieux et puissant : le grand Chantak, qui avait tué plus d’un chasseur. Le fils des chefs arborait encore la toison de l’animal, ses yeux rendus féroces par l’ombre des crocs jaunis. Kimoudi ne pourrait pas trouver un lion plus grand et plus dangereux que Chantak, mais il avait quand même lancé le défi. Il ramènerait un trophée plus grand que Benowa, il l’avait promis. À son retour, il serait non seulement devenu un chasseur, mais aussi un héros et Megouga serait sa femme. Elle aussi l’avait promis, lorsqu'il avait lancé le défi.

Les yeux de charbon de la jeune fille le dévoraient, amandes blanches au milieu du visage d’ébène qui le rendait fou. Il était prêt à défier les orishas du feu et de la terre pour ces yeux.

La tribu fêta son départ en criant face à son défi. En revenant avec moins que Benowa, il serait un paria et l’esclave du jeune chasseur une année entière pour réparer l’offense. C’était un gros risque, mais Kimoudi avait fait un rêve la nuit précédant la cérémonie de l’épreuve. Il savait où trouver le trophée parmi les trophées.

Le soleil frappait si fort la terre que même la poussière sous ses pieds semblait être en feu. Pourtant, Kimoudi marchait d’un pas sûr car il savait où il allait. Le soir venu, l’orisha du feu se lova dans son amant l’orisha de la terre, tandis la grande maîtresse des esprits quittait lentement les bras de ce dernier pour prendre sa place dans le ciel. Kimoudi aimait contempler la voute céleste et ses milliers de milliers d’ancêtres qui le regardaient en retour, leurs esprits brillant partout autour de lui pour le guider.

Le froid ne lui faisait pas peur. Il connaissait les recoins de la terre, il les avait explorés en préparant l’épreuve avec ses pères : les grottes et les points d’eau, les arbres à ombre et les roches qui protégeaient du vent. La première nuit passa et Kimoudi avançait toujours. Le chemin était long, la tribu le croirait mort ou trop honteux pour revenir après un échec s’il tardait. Son retour n’en serait que plus triomphal. On le porterait sur les épaules des hommes, pendant que les femmes frapperaient ses jambes en signe d’adoration. Surtout Megouga. Il avait hâte terminer son épreuve et de devenir un homme.

Fatigué par la marche, Kimoudi se reposa la moitié du jour suivant, ses sens à l’affut du moindre son. Les lions errants étaient les plus dangereux, car ils vagabondaient sans cesse, à l’inverse des troupes de lionnes. Ils étaient toujours affamés et attaquaient les chasseurs imprudents ou malchanceux, c’était pourquoi ceux qui revenaient avec un lion étaient portés sur les épaules, alors que les autres non.

Une fois, un enfant était revenu avec un jabiru arc-en-ciel. C’était un bel oiseau, rare et difficile à attraper. Il en avait fait une parure pour couvrir sa nudité d’enfant et était rentré avec fierté, mais la tribu s’était moquée de lui. Il était devenu chasseur, mais aucune femme ne voulait de lui et il se lamentait tous les jours de sa bêtise.

Au début, Kimoudi n’avait pas trouvé son choix si stupide. L’oiseau était une proie originale, même si c’était plus facile qu’un léopard ou une hyène. Ensuite il avait compris : sa mort n’avait pas suffisamment servi la tribu. C’était la leçon que Kimoudi avait appris avec le chasseur au jabiru : la mort de l’animal n’était pas seulement une preuve de courage ou d'adresse, mais aussi une marque de sagesse. Tuer un oiseau ne rapportait rien, il fallait prendre la vie d’une créature qui faisait du mal aux chasseurs, c’était le meilleur trophée.

— Moi, je ne serai pas un homme-jabiru ! déclara-t-il en brandissant sa lance.

Kimoudi voyagea encore deux jours et deux nuits presque sans se reposer. La troisième fois que la déesse des esprits se lova dans le ciel, il reconnut le paysage de son rêve : la forêt des orishas. Frappant son bouclier de ses armes pour se donner du courage, il marcha avec conviction vers les arbres si nombreux qu’on disait qu’ils éteignaient même la lumière de l’orisha du feu en plein jour.

À mesure que Kimoudi s’enfonçait sous le couvert des arbres, l’atmopshère devint humide, presque irrespirable. Le vent ne soufflait plus et l’air se réchauffa malgré la nuit. Bien vite, il trouva la clairière de son rêve. Au milieu des fougères et des fleurs baignées par les étoiles, Eshu l’attendait.

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