Chapitre 2 : le Doc

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 Après avoir été jouer un peu dans les platebandes, Samuel et Louise furent envoyés se débarbouiller. Et finalement, ils se retrouvèrent devant le docteur Patrick Dreyer, dit le Doc, accompagnés par le Sachem.

 Le Doc était un homme aux longs cheveux gris, attachés en catogan. Son visage était orné d’un bouc où le poivre et sel le disputait au blond. Ses grands yeux bleus étaient ornés de lunettes cerclées d’acier. Le Doc semblait féru de heavy-metal. Il avait les deux oreilles percées de plusieurs anneaux chacune. Il portait une cravate avec sa chemise blanche, dont les manches retroussées laissaient voir des avants-bras recouverts de tatouages. Enfin, à chaque main, il portait plusieurs chevalières en argent.

 Quand il vit arriver les enfants, sous ses airs rudes, et un peu intimidants, il adressa un grand sourire à Samuel et à Louise. Il était en train de faire une ordonnance à Milan.

– Dès que les vaccins arrivent à la pharmacie, tu te fais vacciner sans traîner, on ne peut pas se permettre de perdre un travailleur social en ce moment, il va sûrement y avoir d’autres orphelins bientôt, vu où en est la courbe épidémiologique. Maintenant, va te reposer, et garde bien tes distances avec les adultes non vaccinés, d’accord ?

– OK, le Doc. Merci, et bonne journée.

– Allez, va, conclut-il avec un sourire. Je m’occupe de tes protégés… Bonjour, les enfants. Alors, est-ce que ça va ?

– Ben… hésita Samuel.

– Pas fort, hein… C’est normal. Perdre un papa ou une maman, c’est toujours très dur, même pour les grands. Mon p’tit gars, tu vas t’asseoir sur la civière, on va vérifier que tu n’es pas malade, d’accord ?

 Samuel hocha la tête, tandis que Louise, assise sur les genoux du Sachem, observait son grand frère, en train d’enlever sa chemise, puis son T-shirt, puis son pantalon. Le Doc posa son stéthoscope à plusieurs endroits, sur sa cage thoracique, dans son dos, regarda ses yeux, sa langue.

 Quand il eut fini l’examen, il demanda :

– Quand est-ce que la maladie s’est déclarée chez sa mère ?

– Il y a un six jours, environ.

– Six jours, humm…

– Quoi ?

– Tu es bien sûr de ce que tu dis ?

– Absolument, j’ai tout l’historique depuis le moment où elle a téléphoné, et le rapport du médecin qui a diagnostiqué leur mère et constaté le décès.

– Je vois… C’est la seule victime dans le foyer ?

– Non, répondit le Sachem. Leur… père l’a attrapé une semaine plus tôt… Il… (à mi-voix) en est mort.

– Il lui a transmis le virus ?

– Je ne crois pas… Il y a eu cinq cas déclarés aux ateliers de Völlund, mais Karlsson a fait le nécessaire tout de suite. Elle avait été testée… négative.

– Alors elle a dû l’attraper ailleurs. Je vais les garder en observation. Il faut compter environ cinq jours d’incubation. Si dans une semaine, ils ne présentent aucun symptôme, c’est qu’ils ne sont pas contagieux.

– Très bien, se résigna le Sachem. Fais ce que tu as à faire. Je pourrai venir les voir ?

 Le Doc regarda le poignet du Sachem, il portait un bracelet médical, attestant qu’il avait été vacciné.

 « Bien sûr, tu es vacciné, tu ne risques rien ».

 Le Sachem hocha la tête. Puis il parla à Samuel et à Louise :

– Le Doc va vous garder quelques jours dans votre cabinet. Je viendrai vous voir, c’est promis.

– Le Sachem, si on reste avec le Doc, c’est qu’on est malades ?

– Pour le moment, on ne sait pas.

– Le Doc… On va mourir, comme Maman ?

 La voix de Samuel était tremblante, comme s’il était prêt à pleurer.

– Non ! répondit vivement le Doc. Toi et ta sœur, vous allez vivre. Vous serez peut-être un peu malades, mais vous guérirez.

– Mais Maman, elle n’a pas guéri, poursuivit Samuel, terrifié.

– Cette maladie est dangereuse seulement pour les grandes personnes, pas pour les enfants. Tout va bien se passer.

– Louise et moi, d’accord, le Doc. Mais toi ?

 Le doc montra le bracelet qu’il avait au poignet, le même que le Sachem.

 « Tu sais ce que c’est, ça ? Un docteur m’a mis ce bracelet après m’avoir vacciné. Ça veut dire que le Sachem et moi, on est protégés contre la maladie et qu’on va rester avec vous deux, jusqu’à ce que tout aille bien. »

 Et tout alla bien,... ou presque. Samuel et Louise restèrent en observation dans une zone de quarantaine. Régulièrement, des infirmières, toutes portant le même bracelet, vinrent s’occuper des deux enfants. Pendant la période d’incubation supposée, Samuel et sa sœur continuèrent de bien se porter. Puis le cinquième jour, si Samuel restait en pleine forme, Louise eut des poussées de fièvre, des quintes de toux. Elle présentait les symptômes.

 Devant le spectacle de sa petite sœur en aussi piteux état, Samuel fut tenté de se mettre à pleurer. Mais de nouveau, une ombre planait au-dessus d’eux. Celle de leur mère. Et tandis que Louise, malade, secouée de quintes de toux, à la respiration sifflante, laissait entrevoir la peur dans son regard, son souffle devint subitement plus régulier. Il restait sifflant, et difficile, mais elle cessa peu à peu de trembler et de pleurer. Comme si quelqu’un lui avait susurré à l’oreille que tout allait bien se passer, et qu’elle allait bientôt guérir.

 Le premier soir, le Doc, qui s’était visiblement pris d’affection pour ces deux enfants, était venu avec sa guitare. Il joua une ballade pour aider Louise à s’endormir. La fillette écouta attentivement la musique. Samuel, comme il l’avait déjà fait à l’école, ferma les yeux pour laisser ses pensées vagabonder au gré des accords qui s’enchaînaient. Comme de juste, nombre d’images lui vinrent, mais l’une, plus claire que les autres, se manifesta. Le spectre de sa mère et de son père, qui l’étreignirent l’un après l’autre, comme pour lui adresser un message. Sans l’avoir vraiment entendu. Samuel comprit :

« Louise n’a plus que toi, occupe-toi bien d’elle. Tu es un bon garçon, tu vas y arriver. »

 Samuel n’eut pas besoin de plus. Il eut à cœur, dès les jours suivants, de tout faire pour s’occuper de Louise. Alors même qu’il eût pu parcourir le foyer ou même le parc autour comme il le voulait, il mit un point d’honneur à rester près de sa sœur pendant toute la période où elle allait garder le lit. Alors qu’il se débrouillait seul de mieux en mieux pour faire sa toilette, s’habiller, tenir un couteau et une fourchette, il prit sur lui d’aider Louise à en faire autant. Et Samuel, en garçon qu’il était, s’adonna à un petit plaisir qu’il ne pouvait pas faire avec lui-même : coiffer sa petite sœur. Il commença par lui brosser les cheveux, puis rapidement, s’entraîna à lui faire des couettes. Au début, le résultat n’était pas concluant. Cela n’empêchait pas Louise d’être ravie que son frère s’occupe d’elle ainsi. Le jeune garçon, quant à lui, était bien décidé à continuer jusqu’à obtenir un résultat irréprochable.

 Au bout d’une semaine de repos, ce qu’on espérait arriva, Louise guérit. Le Doc avait raison. Cette maladie était sans danger pour les enfants. On découvrit cependant que la fillette avait de légers problèmes d’asthme.

 « Dans les années qui viennent, vous allez passer beaucoup de temps au grand air, à faire pousser des patates et à nourrir des poules, ça va vous faire du bien, à tous les deux. Et ta petite sœur va devenir une force de la nature », dit le Doc à Samuel.

 Le petit garçon, heureux, prit la menotte de sa petite sœur dans sa main. La fillette réagit :

– ‘amuel, t’es zentil.

 Puis la fillette serra son frère dans ses bras. C’en fut trop pour le jeune garçon. Déjà très heureux de voir sa sœur guérir, il fut tellement ému qu’il en pleura de joie, tout en lui rendant son étreinte. Attendri par cette scène, le Doc finit par se manifester :

 « Louise, tu es guérie. Maintenant va dehors, joue, et profite de la vie. »

 Samuel vint serrer le Doc dans ses bras. Celui-ci, visiblement touché par ce geste, posa une main sur la tête du jeune garçon.

– Merci, le Doc… Merci.

– De rien, mon grand. J’ai juste fait mon métier. Et puis, tu t’en es bien occupé aussi. Tu peux être fier de toi. Allez, dehors maintenant.

– Le Doc ?

– Oui ?

– Je pourrais apprendre à jouer de la guitare ?

– Tu voudrais apprendre ?

– Oui… Comme ça, je pourrai jouer des chansons à Louise, pour l’aider à s’endormir.

 Le Doc eut un air un peu perplexe. Habituellement, il ne jouait pas vraiment des ballades. Mais pour aider une fillette malade à s’endormir, il n’allait pas jouer avec son groupe de heavy-metal.

– Tu sais, la musique que je joue d’habitude, ce n’est pas aussi calme. Mais si tu veux, tu pourras venir nous voir en répétition, avec les copains.

– Oh oui ! s’écria Samuel. Oui… Ce serait génial.

– On fera ça, alors. Maintenant, toi et ta sœur, sortez d’ici, et allez profiter du beau temps.

– D’accord !

 Samuel aida Louise à enfiler ses chaussures, et sa veste. Peu après, le Sachem entra dans la chambre pour les emmener. Samuel agita la main :

– Au revoir, le Doc.

– Avoi’, ‘e Doc, répéta Louise.

 Dans les semaines qui suivirent, Samuel allait régulièrement se retrouver chez le Doc avec sa petite sœur, pour l’écouter jouer de la musique avec ses copains, mais nous y reviendrons.

 Pour l’heure, un problème restait à résoudre pour le Doc : la pénurie de vaccins contre le virus Schoenberger. Pendant que Louise et son frère étaient en quarantaine, soit environ dix jours, en Alsace, quelque trois-mille personnes de plus étaient mortes. Autant d’orphelins qui allaient arriver dans les foyers comme celui de la Robertsau. Le Sachem lui en avait annoncé trois-cents, juste pour cette semaine. Après sa journée de travail, il contrôla la messagerie de son ordinateur, et trouva un message du Docteur Schoenberger, pharmacien et directeur des laboratoires du même nom, à Ottmarsheim, à côté de Mulhouse.

 Enfin ! Il attendait désespérément ce courrier électronique. En regardant le destinataire, il constata qu’il était dans une longue, très longue liste. Tout l’annuaire de l’ordre des médecins d’Alsace, et aussi celui de l’ordre des pharmaciens y étaient passés, soit plusieurs milliers de personnes.

 Pour tout texte, il lut :

« Message important à tous les professionnels de santé : dans le lien suivant, une information importante concernant le virus. Il existe une alternative au vaccin.

Lisez et réunissez-vous, chaque heure compte. En espérant que votre action aidera à apaiser ma conscience.

Sincèrement,

Richard Schoenberger »

 Le Doc cliqua le lien. Une vidéo s'afficha et il reconnut le docteur Schoenberger. Quelque dix ans plus tôt, il avait été très médiatisé dans le cadre de la lutte contre une épidémie qui avait ravagé une bonne partie de l’Europe. Mais il semblait beaucoup plus diminué, fatigué, sur cette vidéo. Il commença à parler :

« Bonsoir, si vous voyez cette vidéo, c’est que vous êtes inscrits soit à l’ordre des médecins, soit à l’ordre des pharmaciens d’Alsace, et donc, je suis en capacité de vous apporter un moyen de sauver un maximum de vies. Avant toute chose, j’aimerais déjà m’excuser de l’insuffisance des efforts déployés par mes laboratoires pour produire des vaccins abordables en quantité suffisante. La faute en incombe à l’un de nos actionnaires, qui a fait pression pour nous obliger d’abord à augmenter le prix de vente, et ensuite, à réduire la production, en nous bloquant l’accès à certains composants.

Je tiens à être parfaitement clair : Je suis en train de vous dévoiler un traitement mis au point par un laboratoire concurrent qui m’a envoyé ses travaux. On en est toujours aux essais cliniques. Mon concurrent manquait de moyens matériels pour les expériences, j'ai donc mis en place une caisse noire pour l'aider à le mettre au point. J’ai communiqué dans le plus grand secret avec l'Hôpital Émile Mueller de Mulhouse et la clinique Diaconat pour des essais cliniques. Les résultats sont très encourageants, malheureusement, pour ne pas attirer l’attention sur cette activité, je n’ai pas eu la possibilité de faire un nombre d’essais suffisants. Je m’en remets à votre sagacité et à votre conscience pour savoir si la solution que je vous propose est à prendre au sérieux ou non. Encore une fois, quand l’actionnariat de mon laboratoire va apprendre mon implication dans la mise au point de ce traitement développé par un concurrent, ça va me coûter ma place, mais en comparaison du nombre de morts qu’il pourrait éviter, un limogeage et une perte de chiffre d’affaires sont dérisoires.

Sacrifier l'entreprise de tout une vie pour sauver ma conscience, ça ne me paraît pas trop cher payé. Si vous ne courez pas ce genre de risque, vous n’avez aucune raison d’hésiter. Aussi, je vous invite fortement à lire les rapports autour des essais cliniques déjà réalisés, et si, comme je l’espère, vous êtes convaincus, à le diffuser en masse.

Le Doc, une fois le message vu, retira ses lunettes, et réfléchit un instant, assis devant son ordinateur. Puis il décrocha son téléphone. Il était 20h30, il n’allait peut-être y avoir personne dans la faculté de pharmacie, mais il fallait tenter le coup.

Faculté de pharmacie, bonjour. Notre secrétariat est ouvert de…

– Fait chier ! fit le Doc.

Puis il prit son téléphone mobile, et appela directement un des professeurs.

Patrick ?

– Simon, tu es à ton labo ?

Oui… Tu as reçu la vidéo, toi aussi ?

– Oui. Vous êtes dessus ?

Oui, on fait des heures sup. Vu l’urgence, si c’est sérieux, il ne faut pas qu’on perde de temps.

– Tu penses que c’est sérieux ?

On est sur le compte rendu des essais cliniques. Ça semble tenir la route. Il va falloir les répliquer pour vérifier ses dires.

– Il y a une grande multinationale dont on va s’attirer les foudres, railla le Doc.

Rassure-moi, tu n’espérais pas sérieusement me dissuader avec ce genre d’arguments !? Il y a des vies en jeu, là. Avec les vaccins, on en a pour des mois à attendre. Alors que pour cette molécule, en bossant bien, on peut diffuser le traitement à grande échelle dans moins d’un mois.

– OK. Je peux vous aider ?

Bien sûr. Retrouve-nous au Palais U.

Dans les jours qui suivirent, alors que Milan avait bel et bien contracté le virus Schoenberger, et qu’il ne put être vacciné en temps et en heure, il fit partie des premiers volontaires pour l’essai clinique… lequel fut concluant. Il guérit. Deux semaines plus tard, le 16 avril 2051, fut la date de décès du dernier patient. Tous les autres furent traités et guéris. Le 7 juillet de la même année, le Gouvernorat recensa le dernier malade du virus Schoenberger, qui fut traité et guéri en dix jours. Les savants d’Alsace avaient vaincu le virus. Le prix à payer fut la carrière du Docteur Schoenberger, éminent pharmacien, qui paya très cher la trahison de ses actionnaires, mais ceci est une autre histoire.

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