Partie 1 - Chapitre 1

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Gaby

Le soleil était haut dans le ciel en ce dernier samedi du mois d’août. Il n’était pourtant pas encore neuf heures que Gabriella avait déjà réveillé ses parents, excitée par la promesse d’aller se promener en vélo.

Pour la petite fille de 4 ans, faire le tour du pâté de maison sur son tricycle, accompagnée de ses parents et de son chien Toudou, était une véritable expédition. Tout d’abord, il fallait s’équiper, pas question de monter sur son bolide avec ses petites sandalettes. Non. Elle commencerait par mettre ses belles baskets roses à scratch, ensuite, elle enfilerait son casque que papa lui attachera ce qui n’empêchera pas maman de vérifier qu’il est bien serré et attaché. Alors seulement, l’aventure pourrait commencer.

Habitant en bas de la colline de Greenwood Hill, la jeune fille avait, dans sa petite tête qui travaillait beaucoup trop vite pour son jeune âge, transformé chaque étape du parcours en aventure dangereusement mortelle. Ainsi, remonter la colline jusqu’au carrefour entre Broken Road et Long Road devenait l’ascension de la montagne de feu. Ensuite, il y avait un petit chemin d’herbe qui passait tout d’abord sous une avenue, puis entre les jardins et permettait de rejoindre directement le parc. Mais dans l’un des jardins, le premier à gauche quand on sortait du souterrain, un berger allemand aboyer sur tout ce qui approcher de près ou de loin de son territoire. Pour Gabriella, c’était l’antre du dragon. Et au parc, descendre le toboggan revenait à échapper à une avalanche.

Tout, chez la jeune fille, était prétexte à l’imagination, à la création d’histoire fabuleuse. Pour ses parents, c’était bien moins amusant, ils avaient même envisagé de lui faire passer des tests psychologiques, persuadés qu’elle était atteinte du fameux trouble de l’attention aussi appelé hyperactivité. Mais leur médecin traitant les avaient très vite rassurés, elle avait juste beaucoup d’imagination.

Gabriella venait donc de sautait sur le lit de ses parents pour les réveiller, elle courait, sautait, criait :

- Debout, debout, on doit aller faire du vélo aujourd’hui.

Le père de Gabriella, Dom, grogna, attrapa sa couette, et se retourna, cachant son visage.

- Calme-toi Gabriella, on ira faire du vélo cet après-midi, pour commencer, je vais préparer le petit déjeuner, répondit Maria, sa mère.

- Je veux bien un grand café bien serré, dit le père de Gabrielle de sous sa couette.

- D’accord, dit Maria, mais ne crois pas que je vais te l’amener au lit, tu vas venir le boire avec nous, dans la cuisine.

- J’arrive, souffla t’il.

Gabriella bondit.

- Moi aussi, un café noir bien serré, chanta la petite fille.

Sa mère se leva, sorti du lit et attrapa l’enfant.

- Je crois que tu n’as pas besoin de café, tu es déjà assez excitée comme ça.

L’odeur forte du café flottait de la cuisine jusqu’à la chambre lorsque Gaby, son bol de chocolat calé entre ses petites mains, vit un gros camion bleu et s’arrêter devant le 223 Long Road, la voisine juste à côté de chez eux.

- Chouette, des nouveaux voisins, s’écria la petite fille, lâchant son bol qui éclaboussa la table.

- Attention Gaby, regarde, tu en as mis partout.

- Dom, si tu veux ton café, il va falloir venir le chercher. En plus, le camion des voisins vient d’arriver, j’ai hâte d’aller les saluer.

Maria avait toujours été une grande curieuse, elle aimait tout savoir sur la vie du voisinage. Mais ce qui l’intéressait par dessus tout, c’était le mystère qui entourait le départ précipité des voisins.

Un lundi, cela devait être le douze ou peut-être le treize Mars, il y a un peu plus d’un an, la famille Baker, n’était jamais rentrée. Dom se souvenait très bien avoir vu monsieur Baker sortir, comme tous les matins, sa voiture du garage. C’était une vieille Cadillac des années 60, qui était plus recouverte de rouille que de peinture, avec à l’intérieur, Catherine, sa fille de dix-huit ans, et Sam, sa femme. Cela faisait parti de la routine. Monsieur et Madame Baker conduisait leur fille avant de se rendre au travail. Ils tenaient une petite épicerie qui était certes très pratique mais cependant très peu fréquentée.

Ils avaient tous les deux le même âge, la quarantaine passée. Mme Baker était plutôt petite et bourrue, sa voix grave résonnait souvent dans toute la rue. Elle ne portait que des robes qui couvraient ses jambes jusqu’à ses genoux. Quant à son mari, lui, on ne l’entendait que très peu. Pas plus grand que sa femme, il portait une moustache grisonnante, et mâchouillait sans cesse un bout de cigarillo. Lui portait toujours un costume gris élimé aux coudes, et qui paraissait avoir appartenu à son propre père. Ils étaient sympathiques et aimables.

Ce qui surprenait le plus les habitants du quartier, c’était la beauté de Catherine, en totale contradiction avec le physique de ses parents, la jeune femme était grande et fine, une allure élancée. Elle coiffait toujours ses longs cheveux châtains en une queue de cheval, révélant ainsi ses épaules. Catherine savait qu’elle était belle, et savait en jouer, quand cela devenait nécessaire. Comme le soir où en rentrant de soirée, elle avait conduit la voiture de son père , alcoolisée, et avait été malheureusement controlée par la police du comté. La jeune femme avait alors rapidement tiré sur son débardeur pour révéler un décolleté laissant plus que deviner l’absence de soutien-gorge. Sa mère lui disait toujours « Profites-en avant que le temps et la gravité fassent leurs travail. » Et elle rajouter systématiquement « Et tu verras quand tu auras eu une grossesse ». Alors Catherine en profitait, et ce soir là, le policier en profita également, incapable de regarder autre chose que les seins de la jeune femme, il décida de lui faire une remontrance, et de la suivre jusque chez elle afin de s’assurer de son retour en toute sécurité.

Toujours polie et souriante, Catherine servait également de baby-sitter à Gaby lorsque Dom et Maria décidait de s’octroyer un petit moment de tranquillité, qui consistait bien souvent en un restaurant, un film au cinéma et une chambre d’hôtel pour pouvoir faire l’amour sans se soucier de réveiller leur fille. Parfois, Dom ne trouvait pas de film qui lui plaisait, et parfois c’était Maria, alors, ils passaient directement à l’étape suivante. Ensuite, ils rentraient chez eux, payaient Catherine, embrassaient Gabriella et aller se coucher.

Mais la baby-sitter n’était pas dupe, un soir, elle avait remarqué la coiffure de Maria, bien trop ébouriffée pour une simple soirée resto/ciné. Une autre fois, c’était Dom qui avait son tee-shirt à l’envers, une autre fois encore, en cherchant dans le sac de Maria l’enveloppe contenant son salaire de la soirée, elle avait trouvé au fond du sac, la culotte de Maria. Gênée, elle l’avait aussitôt remise tout au fond du sac, espérant que personne ne s’aperçoivent de sa découverte.

Ce fameux lundi de mars, la famille Baker avait donc quitté son domicile, comme à son habitude. Catherine n’alla pas en cours ce jour là, et la supérette ne fut pas ouverte. Leurs voiture fut retrouvée moteur allumé en plein milieu du carrefour central, à quelques centaine de mètre du magasin. Aucune trace d’eux nul part. La police avait retrouvé toutes les affaires de la famille dans la maison de Long Road.

Cet été là, quatre autres adolescentes disparurent.

La thèse du crime passionnel et du suicide avait été établi par un jeune lieutenant, et sans preuve contradictoire, les autorités locales validèrent cette thèse, sans même décidé de qui avait pu faire quoi.

Une fois l’affaire classée, la machine administrative se mit en marche, aucun héritier n’existait, la maison fut donc rapidement vidée puis mise en vente par la municipalité. Cependant, l’affaire était bien trop récente pour qu’un couple accepte d’y vivre. Le temps faisant son affaire, il effaça des mémoires ce triste évènement et maintenant, de nouveaux voisins emménagés.

Mikael

Comme chaque fois après ce rêve étrange, Mikael se réveillait en sueur. Il ne se souvenait même plus de la dernière nuit complète qu’il avait faite. Il y avait bien la semaine dernière où il avait réussi à dormir 8h d’affilée, mais il avait mélangé alcool et somnifères, donc ça ne compte pas.

Il regarda son réveil, et lâcha une flopée de jurons. Il était à peine cinq heure trente, et sa journée commençait mal. Son seul réconfort fut l’évacuation dans les toilettes de toute la bière bue la veille. Le sol était froid sous ses pieds, il senti un frisson le parcours de sa voute plantaire jusqu’au bout de son nez. Il éternua, ce qui le fit tressaillir, et se pissa ainsi sur les pieds. Nouvelle flopée de jurons. Il y avait des jours comme ça, ou on ferait mieux de rester couché.

Il pris une rapide douche glacée, celles qu’il préféraient. Elles lui remettaient les idées en place avant d’attaquer sa journée. Et vu comment celle-ci avait démarré, il aurait bien besoin de ça aujourd’hui. Il attrapa son savon, et tout en repensant à ce foutu rêve, frotta l’intégralité de son corps massif. Mikael n’utilisait pas un savon par soucis d’écologie, non ça il s’en foutait royalement. S’il préférait le savon au gel douche, c’était uniquement par habitude, dans l’orphelinat où il avait grandi, il n’y avait pas de gel douche. Du savon, rien que du savon! Ces gros blocs jaune en forme de savon de rugby était accroché partout, dans les douches communes, au dessus des lavabos, dans les cuisines.

A nouveau une pluie glacée s’abattit sur ses épaules, il se rinça rapidement, attrapa sa serviette et se frictionna pour s’essuyer.

L’avantage de la douche froide, en plus de remettre les idées en place, c’était l’absence de buée sur son miroir. Il put ainsi contempler les marques du temps sur son visage. Bien qu’il fut été encore jeune, les années ne l’avaient pas épargné. Mikael avait depuis petit des pommettes prononcées, et une mâchoire carrée. Mais depuis une dizaine d’année, ses cheveux avaient blanchi, ses yeux s’étaient cernés, et des rides s’étaient dessinées un peu partout.

Il plongea son regard froid dans son propre reflet.

- Putain, elle te reconnaitrait même pas. Regarde ta tronche connard, t’as les tempes grisonnantes, t’as autant de rides que ton père, et t’as des yeux vides d’un bovin. Même si elle arrivait à te reconnaitre, elle voudrait plus de toi. T’es plus qu’une loque.

Tous les matins, Mikael faisait un point de situation avec lui-même, ce n’étais jamais très flatteur pour lui, mais il avait besoin de se souvenir d’elle. Se rappeler la vie qu’il aurait pu avoir s’il avait fait d’autre choix. On dit qu’il vaut mieux vivre avec des remords plutôt que des regrets, malheureusement pour lui son âme était chargée de regrets.

Toujours face à son reflet, Mikael examina sa barbe, cela faisait maintenant une semaine qu’il avait arrêté de sa raser, et c’était uniquement par pur flemme.

- Faudrait peut-être que je taille ça proprement un jour. Un jour, mais pas aujourd’hui.

Non, aujourd’hui il avait un rendez-vous avec un client habituel, le lieutenant Lopez de la police nationale. Après tout, il fallait bien payer les factures, et dans cette ville, les affaires confiées à un privé n’était pas nombreuses. Heureusement, il avait deux ou trois gros clients, notamment un riche industriel qui faisait régulièrement surveiller ses partenaires commerciaux afin de garder une longueur d’avance.

Il y avait également cette femme dont il ne souvenait jamais du nom, qui était persuader que son mari la trompait. Faut dire qu’elle n’avait pas totalement tort, puisqu’effectivement, tous les mercredi soirs, sous couvert de réunions professionnelles, son mari se payait des prostituées. Mikael voyait toujours les choses d’un œil cynique.

- Soyez heureuse, avait-il dit à l’épouse en lui remettant les photos, au moins il n’a pas une maitresse. C’est que pour le cul.

Les gains du divorce pouvant rapporter plusieurs millions à la femme délaissée, celle-ci avait demandé à Mikael de faire des photos de toutes les sorties extra-conjugales de son futur ex-mari. Ce que Mikael faisait volontiers, on ne crache pas sur un salaire hebdomadaire dans ce métier.

La sonnerie stridente du téléphone sorti le privé de ses pensées.

- Fait chier, il est même pas six heure du mat’ , tant pis, le répondeur c’est pas pour les chiens.

Le bip retentit, la boîte vocale s’enclencha et une voix grave et sinistre résonna dans son petit appartement.

- Mitchell, c’est le commissaire Guerin, oubliez votre rendez-vous avec Lopez, et venez immédiatement, c’est plus qu’urgent.

Mikael Mitchell n’était pas du genre à obéir aux directives aboyées par le commissaire Guérin. Pour lui ce type n’était rien d’autre qu’un gratte papier qui se cachait derrière des notes et des directives plutôt que de poser ses attributs de patron sur la table. Il méprisait ses hommes qui avec le pouvoir et surtout les responsabilités perdaient leurs convictions et se dégonfler au moindre conflit.

Cependant la voix de Guerin n’est pas comme à son habitude. Mikael ne savait pas ce qui clochait, une vibration dans la voix, ou l’intonation un peu trop aiguë. Impossible de trouver quoi, mais quelque chose avait allumer une petite lumière interne. Cette petite lumière qui s’allumait à chaque fois que le détective avait une intuition, et celles-ci étaient souvent avérées.

Ce fut ainsi que, pour la première fois depuis le début de sa collaboration avec la police, Mitchell obéit au commissaire. Il attrapa donc rapidement les premières fringues qui se présentèrent, s’enfila une tasse de café cul sec, attrapa ses clefs et parti.

Il était encore tôt et il y avait très peu de circulation. Au volant de sa moto, une Harley Davidson Fat Boy, il ne lui fallut pas plus de quinze minute pour rejoindre le commissariat et trouvait une place juste devant l’entrée visiteurs. Une berline noire au vitre teintée était garée en double file devant le bâtiment, un gyrophare sur le toit éclairant par intervalle la rue.

Le commissariat avait été aménagé dans les locaux d’un ancien hôpital. Haut de trois étages, la façade était décorée de fausses colonnes en pierre jaune, encadrant de grandes fenêtres rectangulaires.

- MITCHELL!

Le privé tourna la tête en direction de la voiture noire, une Ford beaucoup trop moderne pour que Mikael ne reconnaisse le modèle. La vitre arrière était ouverte, et le visage rouge du Commissaire Guerin dépassé.

- Mitchell, montez dans cette voiture tout de suite, on n’a pas le temps.

Et pour la deuxième fois dans la même journée, il obéit sans réfléchir. A l’intérieur de la berline, à l’avant, un agent était assis derrière le volant.

- Sûrement le chauffeur personnel du Commissaire, pensa Mikael.

Et à la place du mort, le lieutenant Lopez. Elle se retourna, regarde Mikael de ses yeux rougis et laissa échapper un petit bruit incompréhensible. Mitchell en était sûr, elle venait de pleurer.

Mikael n’était pas détective privé pour rien, en quelques secondes son esprit vif rattacha les éléments les uns aux autres. Rendez-vous annulé, la voix du commissaire au téléphone et maintenant le visage bouffi par les larmes de Lopez, ce fut donc naturellement qu’il s’adressa au commissaire.

- Il est mort où, quand et comment?

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