Chapitre 17 : Le départ.

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Les feythas avaient tenu parole. Ils avaient fourni une escorte nombreuse pour accompagner Saalyn à sa base. Et 868 en faisait partie. Tous, ils prirent en charge les possessions de Saalyn. Elle ne s’était pas rendu compte du trésor qu’elle avait accumulé pendant son séjour. Beaucoup d’habitants étaient venus écouter ses récitals et l’avaient remerciée avec de nombreux cadeaux.

Enfin, ils se mirent en route. Nertali, comme promis, les accompagnait. Sa présence leur donnait accès à l’ascenseur qui permettait de relier la zone d’atterrissage avec la ville. À cet endroit, la falaise tombait directement dans le fleuve. L’ascenseur aboutissait donc sur un ponton flottant qu’il fallait rejoindre en bateau. Mais ces derniers ne ressemblaient en rien à ce que la guerrière libre connaissait. Il était plus élaboré que celui utilisé lors de leur première visite, mais il avançait toujours sans voile ni rame. Il ne fallut que quelques stersihons pour atteindre la plateforme.

En comparaison, l’appareil chargé de les élever au sommet paraissait fruste. C’était de toute évidence un système temporaire qui serait remplacé par autre chose une fois que les urgences en ville seraient passées. Conçus pour transporter de lourdes charges, ses constructeurs avaient privilégié la puissance à la vitesse. Il les amena lentement au sommet. Heureusement, il était assez grand pour tous les accueillir, ce qui leur évita plusieurs voyages.

Si Saalyn espérait en apprendre plus sur les machines feythas, elle en fut pour ses frais. Le trajet qu’ils empruntèrent les contourna. Toutefois, elle se rendit compte que six d’entre elles avaient disparu. Où étaient-elles passées ? Elle ne les avait pas entendu partir, ce qui confirmait bien que la traînée de feu qui leur avait révélé l’arrivée des feythas était un accident. Elle décida de demander à Nertali.

— J’ai vu qu’un de ces engins avait eu un accident.

— Une panne de moteur, confirma la feytha. La navette s’est écrasée, il y a eu beaucoup de morts.

Elle nota le mot par lequel elle désignait ces engins.

— Je suis désolée. Il y avait beaucoup de feythas parmi eux ?

— Non. Nous nous contentons de les piloter. Il n’y a qu’un seul d’entre nous par voyage.

— Un seul feytha est mort !

— Non. Il faut plus qu’un simple crash pour nous tuer. Mais les modèles 3 que nous transportions n’ont pas eu cette chance.

Saalyn médita cette réponse. Ainsi, ces êtres pouvaient survivre à un accident aussi grave, là où tout le monde aurait été tué. Pourtant, pendant le bref moment où elle avait tenu Nertali dans ses bras, cette dernière ne lui avait pas paru particulièrement solide. Elle s’était bien trompée en l’évaluant. Elle comprit aussi qu’elle ne devait pas juger les feythas selon les critères qu’elle utilisait pour les peuples qu’elle connaissait. Ils étaient quelque chose de nouveau, de différent, totalement hors de son expérience. L’état de Muy lorsqu’elle n’avait fait que tenter de lire leur esprit, en était une parfaite illustration.

Le village, à quelques longes à peine au sud du site d’atterrissage, fut atteint en moins d’un monsihon. Dès qu’ils eurent quitté le domaine que les feythas s’étaient réservé, ils purent rejoindre la route, ce qui leur permit de progresser plus rapidement. Quand ils furent en vue des premières maisons, Saalyn prit la tête. Il était inutile d’affoler les sentinelles qui surveillaient leur direction. En tant que représentante des visiteurs, Nertali se plaça à côté d’elle.

Leur arrivée ne passa pas inaperçue. Les habitants sortirent de leurs maisons, les armes à la main. En reconnaissant la guerrière libre, ils restèrent calmes. Mais les visiteurs étaient plus nombreux qu’eux même, aussi se montraient-ils méfiants. Nertali en revanche ne semblait pas inquiète, malgré les arbalètes pointées sur le groupe, dont quelques-unes sur elle.

Au fur et à mesure qu’ils progressaient vers la grande place, les villageois leur emboîtaient le pas. C’était la première fois que Saalyn menait une ambassade, elle ne savait pas s’il existait un protocole à respecter. Aussi, elle s’arrêta dès qu’ils atteignirent le centre, espérant que quelqu’un la tirerait de son indécision.

Ce fut le cas. La porte de la maison de ville s’ouvrit, livrant le passage à un officiel Ocarian de haut rang. Vu la richesse de son costume et les décorations qu’il portait, il faisait certainement partie de la famille impériale. L’envoyé officiel de l’empire était enfin arrivé. Mais il n’était pas seul. À ses côtés, se tenait une femme dont Saalyn reconnut la silhouette à damner un saint avant de voir le visage.

— Vespef ! s’écria joyeusement Saalyn.

— Tu tardais à rentrer, alors que je suis venu voir ce qui se passait.

L’ambassadeur s’avança, poussant presque Vespef pour prendre sa place, s’adressant directement à Saalyn.

— Vous êtes l’envoyé helarieal auprès de ce peuple ?

— C’est moi, confirma-t-elle.

— Votre travail est fini, je prends le relais.

— Pardon, protesta Vespef, Saalyn travaille pour moi, seule moi peux la relever de ses fonctions.

— Nous sommes ici sur le territoire de l’empire Ocarian. Mon autorité prévaut sur la vôtre.

— Vous avez raison, répondit Vespef soudain conciliante. Saalyn, allons avec ton amie discuter quelque part pendant que l’officiel Ocarian reçoit l’ambassade des visiteurs.

— Bien sûr, accepta Saalyn.

Elle se tourna vers Nertali. Cette dernière arborait un sourire amusé sur son visage.

— Vous venez ?

— Je vous suis.

L’ambassadeur leva la main.

— Madame, vous ne …

— Je ne fais pas partie de cette ambassade, l’interrompit Nertali. Je suis juste venu accompagner Saalyn pour voir à quoi ressemble son monde.

La feytha planta là l’Ocarian et emboîta le pas aux deux femmes pendant qu’il restait avec la délégation de Sernos. Vespef les guida jusqu’à la grande maison qu’elle s’était attribuée. Elle les invita à y entrer et referma la porte derrière elles.

— Vous n’êtes pas une officielle de cet empire, remarqua Nertali.

— Je suis l’envoyée d’une nation située au sud de ce fleuve. Et vous, si je vous ai bien évaluée, vous participez au gouvernement de nos visiteurs.

— Les choses sont plus complexes, mais on peut dire cela.

Vespef se dirigea vers un petit placard.

— Désirez-vous boire quelque chose ?

— Je ne peux rien consommer de ce que vous produisez sur cette planète. Si vous faites référence à de l’alcool, il a un effet nocif sur notre organisme autant que sur le vôtre.

Vespef renonça à se servir, au grand regret de Saalyn qui aurait bien bu un verre d’hydromel.

— J’avoue que je préfère traiter avec vous, remarqua Nertali. L’autre homme me semble un parfait imbécile.

— L’empereur de l’Ocarian est intelligent. Mais il est contraint par des traditions. Il a envoyé cet ambassadeur ici, mais je me suis engagée à partager mes informations avec lui et m’a autorisé à parler en son nom.

— Je suppose que votre pays est suffisamment petit pour qu’il ne le considère pas comme une menace, mais que vous avez déjà démontré vos talents par le passé.

Nertali tira une chaise pour s’installer. Vespef s’assit à son tour, face à son invitée.

— Je suis surprise que des être venus d’aussi loin que vous nous ressemblent tant, alors qu’ici même nos différents peuples son si différents les uns des autres. Vous pourriez facilement être confondu avec l’un des nôtres.

— Ne vous fiez pas à l’apparence extérieure. Si nos aspects sont semblables, intérieurement, nous sommes très différents.

— Tout le contraire des peuples de ce monde. Nous sommes très différents à l’extérieur, mais semblable à l’intérieur.

Saalyn se demanda où Vespef voulait en venir avec ce préambule. Elle n’eut pas l’occasion de le découvrir. Elle tourna la tête vers la guerrière libre.

— Tu veux bien nous laisser ? demanda-t-elle.

— Bien sûr.

Avec regret, la guerrière libre quitta la maison.

N’ayant rien à faire, Saalyn tourna dans le village. Après tous ces jours d’activité et de découvertes permanentes, elle était incapable de se poser quelque part et de profiter de la vie. Ce fut un soldat de l’Empire qui vint la trouver. Il lui posa la main sur l’épaule pour la calmer.

Le lendemain, Saalyn laissa son partenaire de la nuit partir prendre son poste avant de se lever à son tour. Aussitôt, elle se mit en quête de 868. Elle voulait lui dire adieu avant qu’elle ne retournât à Sernos. Aussi tôt, dans la froidure du matin, bien peu de stoltzt étaient actifs. Mais les visiteurs par contre étaient tous debout. En tout cas, une grande partie d’entre eux. Mais la jeune femme n’était pas parmi eux. Et quand la délégation quitta le village, elle n’avait toujours pas reparu. Elle croisa l’ambassadeur, qui ayant compris qu’il s’était fait avoir, était d’humeur maussade. Il ne répondit pas quand elle le salua.

Le ciel était bien haut quand 868 réapparut. Elle s’était installée sur un banc, face à l’est, et profitait de la chaleur du soleil.

— Bonjour, la salua-t-elle ?

868 lui rendit son salut. Saalyn ne put s’empêcher de regarder le ventre arrondi.

— Je peux m’asseoir ?

Elle tapota la place libre à côté d’elle. Saalyn répondit à l’invite et s’assit.

— Je suis surprise que tu ne sois pas repartie avec les tiens, commença-t-elle.

868 changea de position. Apparemment, son gros ventre la gênait.

— Tu n’as pas choisi de nom pour moi, lui reprocha-t-elle.

— Tu es sérieuse ?

— Les matricules sont impersonnels. Ils nous réduisent au rang de machines.

Saalyn était surprise de sa réaction. Elle avait l’impression que la jeune femme critiquait ses maîtres.

— Je vais y réfléchir. D’ici à ce que tu rentres en ville, je t’en aurais trouvé un.

868 sourit à la stoltzin.

— Je ne rentre pas en ville.

— Pardon ?

Saalyn avait-elle bien saisis ce qu’elle voulait dire ou était-ce une incompréhension due à son vocabulaire limité ?

— Tu ne rentres pas à Sernos tout de suite.

— Je ne rentrerai jamais Sernos. Je veux venir avec toi en Helaria.

— Je ne comprends pas. Les feythas sont ton peuple. C’est là que tu as grandi.

— Quel âge me donnes-tu ?

La question surprit Saalyn. Elle examina son interlocutrice. Elle semblait jeune, même selon les critères stoltzt. Mais ce n’était plus une adolescente. Si le développement des deux peuples était similaire, elle n’avait pas encore atteint l’âge adulte, un stade qui se produisait entre quarante et cinquante ans. C’est l’âge qu’elle lui aurait donné si elle n’avait pas parlé avec 517 quelques jours plus tôt.

— Je serais tenté de dire aux alentours de quarante-cinq ans, répondit-elle, mais je crois comprendre que vous grandissez vite. Deux ans ?

— Selon mes critères et sur mon monde, je suis née il y a moins d’un an.

— Un an ! Je m’en doutais. Comment les feythas font-ils. 517 n’a pas été très clair là-dessus. Même avec une croissance rapide, on ne peut pas devenir adulte en moins d’un an.

— Je n’ai pas grandi. J’ai été fabriquée déjà adulte par les feythas.

Saalyn ne put s’empêcher de palper le bras de la jeune femme, ce qui lui arracha un sourire.

— Je suis normale, dit-elle, mon corps est normal, je suis une femme normale avec les mêmes organes que toutes les autres femmes. Les feythas utilisent le même mode de croissance que la nature, mais plus vite. Et séparément. Ils font grandir chaque organe à part et assemblent le tout une fois qu’ils sont prêts. Il leur suffit de six jours pour obtenir un corps tel que celui-là.

D’un geste de la main, elle se désigna de la tête aux pieds.

— Et pourquoi les feythas font-ils cela ?

— Ils m’ont fabriqué parce qu’ils ont besoin moi. Je ne suis qu’un outil. Et je ne veux pas que mes enfants soient aussi des outils.

— Tu es une esclave des feythas ?

— Je ne connais pas le mot « esclave »

— Tu n’es pas une femme libre, tu leur appartiens.

— Je suis un objet. Un objet n’est pas libre, il a toujours un propriétaire.

Saalyn était abasourdie. En voyant tous ces gens vivre dans cette ville en devenir, elle aurait parié qu’ils étaient libres. Mais en fait, les feythas étaient un peuple esclavagiste. Cela était inquiétant. Dans le monde, les États esclavagistes se montraient généralement infréquentables. Mais il y avait des exceptions. Avec un peu de chance, les feythas appartenaient à cette catégorie. Après tout, ils savaient fabriquer ceux dont ils avaient besoin, ils n’auraient pas besoin de pillage et de conquête pour en capturer. Et ils donnaient l’impression de bien traiter les leurs.

Elle réfléchit aux événements de ces derniers jours. Les feythas les avaient agressés, elle et Muy, et gravement blessés. Mais elles avaient essayé de s’introduire dans leurs territoires. Il était évident que celui-ci serait protégé. Ils n’avaient fait que se défendre. Et après, ils avaient mis leur technologie à disposition pour guérir Saalyn. Elle avait même pu se lier d’amitié avec une feytha. Et pour finir, 868 allait s’enfuir sans manifester aucune peur face à d’éventuelles représailles de leur part. Ils ne semblaient pas accorder une forte importance à ce statut d’esclave.

Saalyn se leva et se mit face à la future réfugiée.

— Tu es bien sûre de vouloir venir avec nous. Tu es prête à quitter les tiens pour te joindre à des gens qui ne sont pas du même peuple que toi. En Helaria, la vie n’est pas aussi facile qu’ici, même si elle est agréable…

— Tu ne veux pas que je vienne ? l’interrompit 868.

— Bien sûr que si. Je veux juste être sûre que tu sais ce que tu fais.

— Je ne veux pas que mon enfant soit un esclave.

Le ton assuré, presque buté, qu’elle employa pour cette dernière phrase confirma ce que Saalyn pensait.

— Dans ce cas, bienvenue en Helaria, terre d’accueil de tous les esclaves du monde entier.

— De l’univers entier, répliqua 868, je ne suis pas de ce monde.

Saalyn aida la jeune femme à se relever et l’enlaça.

— Bienvenue en Helaria, terre d’accueil des esclaves de l’univers entier, corrigea-t-elle.

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