Chapitre 11 : Les étrangers

16 minutes de lecture

Muy et Saalyn étaient finalement arrivées en vue du campement des étrangers. Elles avaient choisi de rester au sommet du plateau pour observer ces objets de près. Ensuite, elles s’occuperaient du groupe installé au pied de la falaise. Cachées derrière un épaulement du terrain, elles reconnaissaient la zone qu’elles allaient examiner à la faveur de la nuit. Sleter avait raison, elles voyaient bien des machines devant elle. Il était impossible de les confondre avec des bâtiments. Et les lieux étaient déserts. Muy se demanda comment ils étaient défendus. Il semblait inconcevable de laisser de tels trésors à la vue de tous sans protection. D’autant plus que si les communications étaient coupées, c’était bien parce que ces étrangers interdisaient à quiconque d’approcher de leurs biens.

Malgré la distance, le bruit du creusement du canal couvrait tout, rendant toute conversation inutile. Heureusement, les deux femmes pouvaient parler par la pensée. Mais cela excluait le villageois qui leur servait de guide de leurs discussions. Saalyn jeta un coup d’œil au pied de la falaise. Comme l’avait prévu la pentarque, un engin avait été installé pour transporter la terre extraite à proximité de l’Unster. Mais malgré la puissance des deux machines, il faudrait plusieurs mois pour que le travail fût achevé. Là aussi, par quel moyen la colonie était-elle protégée des prédateurs géants qui sévissaient à l’est du continent ? Existait-il un rapport avec ces deux pylônes qui portaient un mécanisme étrange à leur sommet ?

Mettant fin à leur examen, elles se rejoignirent leur guide.

— Nous en avons assez vu, dit Muy, nous reviendrons ce soir.

Le petit groupe d’espions se retira discrètement. En quelques calsihons, il réintégra le village où ils logeaient. Ce dernier se situait juste à l’extérieur de la zone d’exclusion qu’avaient ménagée les visiteurs. Il constituait l’endroit idéal pour surveiller les artefacts parqués sur le plateau. La plupart des habitants avaient fui. Il en restait assez pour qu’ils pussent raconter ce qu’ils avaient vu. Ils avaient décrit des armes terribles qui utilisaient la lumière pour brûler les gens. Personne n’avait le droit de s’approcher des machines. En revanche, l’accès au camp bâti sur le bord du fleuve était facile. Ses occupants ne semblaient pas hostiles. C’est pourquoi Muy décida que la fin de la journée serait consacrée à le visiter.

La descente du plateau se révéla assez aisée. À cet endroit, la falaise n’était pas parfaitement verticale et un chemin étroit avait pu être ménagé depuis son sommet. Il était peu employé, la peur que ces étrangers suscitaient était encore supérieure à la curiosité des habitants du coin. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux continuaient à fuir devant les prodiges dont ils semblaient capables. Mais une fois sur la rive, il restait l’Unster à franchir. Pour des stoltzint telles que Saalyn et Muy, cela ne représentait pas un obstacle. Elles se dévêtirent et enfermèrent leurs biens dans un sac qu’elles avaient amené avec elles. Puis elles se jetèrent à l’eau. Elles ne mirent que quelques calsihons pour le traverser. Elles avaient sélectionné un point d’accostage un peu plus d’une longe au sud du camp des visiteurs. Elles étalèrent leurs vêtements sur la berge au cas où le sac n’aurait pas été étanche puis s’allongèrent juste à côté. Quand elles furent séchées, elles s’habillèrent. Elles avaient choisi un manteau avec une capuche permettant de dissimuler leur visage. Elles n’avaient pas apporté d’armes, si ces ennemis étaient si puissants, elles ne serviraient à rien. Mais Muy disposait de deux gemmes chargées et Saalyn emportait avec elle quelques-uns des sorts de Panation Tonastar. Puis elles se mirent en route.

Les villageois avaient raison, personne ne les arrêta quand elles entrèrent dans le campement. Elles purent tourner longtemps pour découvrir son organisation. Au centre se trouvait une tente immense constituée de plusieurs petites connectées entre elles par des passages. De là partaient trois rues rayonnantes le long desquelles des tentes plus modestes étaient alignées. L’ensemble était complété par un boulevard semi-circulaire qui reliait les trois artères précédentes. L’endroit évoquait l’agencement d’une ville en quartier, mais qui aurait été formée de toile au lieu de bois et pierre.

Les gens étaient nombreux, certainement un millier. Et ils étaient très différents entre eux. Certains étaient grands et élancés, minces, presque éthérés. D’autres aux contraires étaient trapus et très musclés avec une épaisse barbe. Toutefois, la plupart des habitants rappelaient les représentants du premier groupe, mais en plus petit. L’activité de ces derniers, à courir partout, semblait inexplicable.

— Des enfants, comprit soudain Saalyn, le camp est principalement peuplé d’enfants.

— Tu es sûre ? demanda Muy.

— Ce ne peut être que cela. Ils ressemblent aux adultes en miniature et passent leur temps à jouer.

Muy médita les paroles de sa guerrière libre.

— Tu as peut-être raison, lâcha-t-elle enfin. Et cela pourrait expliquer pourquoi ils prennent tant de soin de leur sécurité.

— Pourtant ils nous laissent entrer sans s’inquiéter.

— Sans nous perdre de vue non plus. Nous sommes surveillés depuis notre arrivée.

Muy baissa sa capuche. Elle se retourna et adressa un sourire à un individu qui se tenait non loin de là. Se sachant repéré, leur gardien n’avait plus aucune raison de se cacher. Il s’approcha résolument des deux femmes. Saalyn se découvrit à son tour. Elle détailla l’homme qui venait vers elles. Grand et mince, il ne semblait pas frêle cependant. Son gilet de cuir noir lui permettait d’exhiber des épaules et des bras dont la musculature, si elle était sèche, n’en paraissait pas moins vigoureuse. Le bas de son corps était masqué par une jupe taillée dans le même tissu. Elle cachait ses chaussures, mais les marques qu’il laissait dans le sable de la rue indiquaient qu’il n’allait pas pieds nus. Son visage ressemblait à celui d’un stoltz, sauf pour ses oreilles pointues au sommet, et ses yeux qui montraient un iris vert pâle au centre d’une sclérotique blanche, lui donnant un regard étrange. Quand il arriva auprès de ses visiteurs, Saalyn constata que son gilet n’était pas en cuir. Il était coupé dans une matière brillante qui semblait moins souple.

Le nouveau venu s’inclina devant Saalyn et Muy.

— Soyez les bienvenues, nobles visiteuses.

Il avait prononcé ces mots dans un ocariamen si parfait qu’on l’aurait dit natif de l’empire.

— Je vous remercie de votre accueil, répondit Muy dans la même langue. Votre campement est extraordinaire.

D’un ample geste de la main, elle désigna l’ensemble des tentes qui les entouraient.

— L’organisation est impossible sans ordre, déclara l’étranger

— C’est exact.

— Et comment se nomme cet endroit ?

— Dans votre langue, il s’appelle « Le refuge ». Dans celle des seigneurs, ce mot se dit Sernos.

— Nous savons où nous sommes, intervint Saalyn, il ne reste plus qu’à connaître celui à qui nous avons le plaisir de discuter. Je suis maître Qalan et voici mon apprentie.

— Bien sûr. Je manque à tous mes devoirs. Mon matricule est le 1-34-517n.

— C’est un nom bien étrange, n’en portez vous pas un autre ? Plus personnel ?

D’un geste de la main, l’individu les invita à le suivre vers le centre de la ville.

— Nous connaissons cette coutume locale d’utiliser des mots plutôt que des références. Cela nous semble surprenant et peu pratique. Notre matricule résume bien notre nature. Un nom ne transporte aucune information.

— Et que dit votre matricule sur votre nature ?

— Que je suis un modèle 1, version 34, je suis né en cinq cent dix-septième position et que je proviens des matrices feythas.

Les deux femmes échangèrent un coup d’œil. Elle n’avait pas compris la signification des paroles de cet individu. Mais au fond de leur esprit, Wotan s’agitait.

« C’est une machine, leur suggéra-t-il, il n’est pas né d’une femme, il a été fabriqué. »

Il n’avait pas tort, les explications de – faute de mieux elles décidèrent de l’appeler 517 – pouvaient être interprété de cette façon. Mais cela semblait si fou. Qui étaient ces êtres capables de se mouvoir, de réfléchir ou de parler comme un être vivant ?

— C’est bien étrange comme identifiant, reprit Saalyn. Nous n’avons pas l’habitude d’utiliser des matricules. Ni de rencontrer des gens qui en portent.

— Et moi, je trouve étranges ceux qui en sont dépourvus. Cela me paraît exotique et un peu inefficace.

Pendant que Saalyn discutait avec 517, Muy en profita pour le sonder. Depuis l’attaque pirate qui avait failli coûter la vie à sa sœur, elle avait développé ses talents de guérisseuse. Si elle ne se montrait pas aussi bonne que Wotan dans ce domaine – il avait disposé de plus d’un millier d’années pour s’entraîner –, elle était capable de l’examiner. Cela nécessitait toutefois une certaine proximité. Elle se rapprocha donc de lui, presque à le toucher.

— Si vous êtes un modèle 1, continuait Saalyn, je suppose qu’il en existe d’autres.

— En effet, il y a six modèles actuellement. Mais les feythas en construisent d’autres. Parmi nous, trois sont intelligents comme nous, les 1, 2 et 6. Les autres sont des animaux.

— Ce qui représente donc trois catégories d’êtres doués de raison parmi vous ?

— Deux en fait. Le modèle six est tout récent. Il n’a pas encore quitté les laboratoires feythas.

Muy s’immisça dans son esprot.

« C’est bon. C’est un être vivant similaire à nous, pas une machine.

— Je persiste à penser qu’il a été fabriqué, riposta Wotan.

— Peut-être, mais cela reste un être vivant. »

Si Wotan avait raison, les perspectives étaient extraordinaires. Seuls les dieux pouvaient créer des êtres vivants. Dieux auxquels l’Helaria ne croyait pas jusqu’à présent. Devaient-ils revoir leur position ? Ou ces êtres n’étaient-ils qu’un peuple très puissant possédant un haut niveau de magie ?

— Qui sont ces feythas dont vous avez parlé ? demanda Saalyn.

— Ce sont nos créateurs.

— Vos créateurs ? Ce sont des dieux ?

517 lâcha un rire amusé.

— Des dieux ? Non. Ce sont des êtres supérieurement intelligents qui maîtrisent un savoir immense.

La guerrière libre était rassurée de ne pas avoir à modifier son cadre de réflexion. Vu l’absence de piété des Helariaseny, ils auraient eu droit à l’enfer.

— Et à quoi ressemblent-ils ? reprit Muy.

— Ils nous ont créés à leur image.

— Et serait-il possible d’en rencontrer un ?

— Bien sûr, c’est là que je vous amène justement.

Effectivement, ils ne se trouvaient plus très loin du cœur du campement, la tente gigantesque était en vue.

Accompagnés de 517, les gardes laissèrent les femmes entrer sans aucun problème. Il les guida dans le labyrinthe de toile jusqu’à une pièce d’assez belle dimension. Au centre se trouvait un siège richement décoré qui évoquait un trône. Et sur ce siège se tenait un homme qui ne présentait rien de remarquable. Le temps que les fidèles venus lui rendre hommage quittassent les lieux, Saalyn put largement le détailler. Sa silhouette ressemblait à celle de n’importe quel stoltz, mais son visage restait masqué par une capuche. Elle parvenait néanmoins à distinguer son menton et sa bouche aux lèvres fines.

— Seigneur, commença 517 quand leur tour vint, ce sont des visiteurs arrivés de l’extérieur de Sernos. Je crois qu’ils représentent une autorité locale.

Devant cette introduction succincte, Saalyn avança d’un pas. Le feytha détailla longuement la femme.

— Vous êtes en mission officielle ? demanda-t-il.

Saalyn ne savait pas quelle voix pouvait avoir un être détenant la puissance des dieux. Mais elle ne s’attendait pas à ce timbre chaleureux.

— L’empire Ocarian veut connaître les étrangers qui se sont installés sur son territoire.

— Ainsi donc, ce territoire appartient à quelqu’un. Nous pensions nous établir en un lieu désert.

— Cet endroit où vous avez bâti Sernos n’appartient à personne. Mais l’autre côté du fleuve est terre ocarianal.

— Nous discuterons de cela plus tard. J’attendais la visite d’un officiel.

— La capitale se trouve loin d’ici, répondit Saalyn.

— Je me doute qu’avec les moyens de locomotions primitifs dont vous disposez, voyager prenne du temps, dit-il.

Le feytha se leva. Pendant qu’il marchait, il rabattit sa capuche, révélant son visage.

— Il est pourtant bon de connaître ses voisins, continua-t-il. Cela évite les incompréhensions.

Il se plaça face à Saalyn, lui permettant de l’examiner en détail. Globalement, il ressemblait à un stoltz. Mais les différences étaient flagrantes. Il était impossible de le confondre avec un représentant des peuples d’Uv Polin. Son visage était très pâle, presque transparent. Ses traits étaient très fins, comme à peine esquissés. Mais ce qui attirait l’attention était ses yeux. Ils étaient bleu pâle, translucides, comme s’ils avaient été remplis d’eau. On aurait dit le regard d’un aveugle. Il s’était pourtant correctement placé devant Saalyn. Il la voyait, au moins suffisamment pour éviter les obstacles.

— Parce que nous allons devenir voisins.

— Qui êtes-vous ? demanda Saalyn.

— Nous sommes des réfugiés. Nous avons quitté notre monde parce que nous y étions persécutés. Et aujourd’hui, nous sommes venus chez vous réclamer un asile.

— Je n’ai pas le pouvoir de vous l’accorder. Seul l’empereur peut vous céder un territoire. Mais je doute qu’il refuse quand vous le rencontrerez. Le peu que j’ai vu de votre culture semble incroyable. Et vos moyens paraissent immenses. Vous n’êtes arrivé que depuis quelques douzains. Et pourtant, vous parlez notre langue comme si vous étiez né ici.

Le feytha remit sa capuche en place.

— Mieux que vous, apparemment, remarqua-t-il, vous n’êtes pas des envoyés de ce pays. Vous êtes autre chose.

Saalyn resta un moment sans savoir quoi répondre, laissant à l’étranger le temps de rejoindre son trône.

— L’empire est grand, dit-elle enfin. D’un bout à l’autre, les gens ne parlent pas de la même façon. J’utilise le dialecte de la capitale.

Le feytha ne réagit pas à la remarque de Saalyn.

— De toute façon, je n’ai pas l’intention de m’installer sur le territoire votre empire. Toutes les terres hospitalières à l’ouest de ce fleuve sont habitées. Et à l’est, nous avons découvert qu’y vivaient des prédateurs féroces. Nous avons donc entrepris de détourner son cours. Ce territoire neuf qui n’appartient à personne sera le nôtre pour le futur.

Ainsi, les pentarques avaient eu raison quant au but des étrangers. Mais si ce demi-cercle de douze longes de haut et six de large suffisait pour créer une grande ville, qu’en était-il d’un pays complet.

— Mais comment vous nourrirez-vous ? demanda-t-elle. C’est trop petit.

— Ne vous inquiétez pas pour cela. Nous avons apporté le nécessaire. De toute façon, nous devons analyser vos aliments pour savoir s’ils sont toxiques ou pas.

— Ils ne le sont pas puisque nous les consommons.

— Nous ne possédons pas le même métabolisme. Ce qui représente de la nourriture pour vous peut s’avérer du poison pour nous, et inversement. Nous devons aussi vérifier si elle contient tous les nutriments indispensables. Pour le moment, nous avons apporté le nécessaire. Plus tard, peut-être, pourrons-nous établir des relations commerciales avec vous.

— De telles relations profiteraient à nos deux peuples.

— En tout cas, ces boissons font partie des aliments que nous pouvons partager.

Il me montra une petite table sur laquelle se trouvait une carafe remplie d’un liquide opaque et quelques verres.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Saalyn.

— Du jus d’orange. Un fruit que nous avons amené avec nous. Vous pouvez en consommer, j’ai vérifié. Il est inoffensif pour vous, et très désaltérant. Vous devriez en donner à votre apprentie, j’ai l’impression qu’elle se sent mal.

C’était vrai qu’elle se montrait bien silencieuse. Elle n’avait pas prononcé un mot depuis leur arrivée dans la tente. Saalyn tourna son regard vers elle. Elle la découvrit très pâle et tremblante, comme en état de choc. Pourtant Wotan n’avait rien signalé, il aurait dû se rendre compte de ce qui se passait. À son air contrit qu’elle ressentit au fond de sa tête, elle comprit qu’il avait négligé de surveiller sa sœur pour écouter les paroles de cet être étrange.

« Sors-la d’ici, ordonna-t-il. Son esprit est en pleine confusion. Quelle chose la perturbe dans cet individu ».

— Vous avez raison, répondit Saalyn au feytha. Elle ne se sent pas bien. Je vais devoir la ramener dans notre camp pour qu’elle se remette.

— Offrez-lui à boire d’abord, cela lui fera du bien.

Saalyn lui lâcha la main et se dirigea vers la petite table. Elle se versa un verre. Avant de le donner à sa pentarque, elle en avala une gorgée. C’était délicieux, frais et très sucré, avec une pointe d’acidité. Elle laissa le reste à Muy qui but fébrilement. Elle en profita pour essayer d’explorer le lien qui les unissait. En temps normal, elle ne pouvait pas accéder aux pensées des pentarques. Elles ne recevaient que les sensations qu’ils lui transmettaient. Mais là, c’était différent. Son esprit était grand ouvert, elle pouvait le visiter à volonté. Elle y trouva une grande confusion, et une panique qui l’effraya. Muy avait tenté de pénétrer dans la tête du feytha. Était-ce qu’elle y avait découvert qui l’avait mise dans cet état ?

« Éloigne-la, répéta Wotan. »

Saalyn se tourna vers le feytha.

— Je dois vous quitter, lui annonça-t-elle. J’aurais aimé faire plus ample connaissance. Mais mon apprentie doit être confiée à des mains expertes rapidement. Je dois la ramener à notre logement.

— Que de préventions pour une simple apprentie, remarqua le feytha.

— Nous restons des années avec eux. Nous les formons depuis l’adolescence jusqu’à l’âge adulte. Ils sont un peu comme nos enfants.

— Je comprends. Allez vite vous occuper de lui. J’espère vous revoir bientôt.

— Je n’y manquerai pas.

Saalyn salua le feytha, puis elle saisit Muy par les épaules et la dirigea vers la porte. La pentarque se laissa faire sans résister. 517 leur emboîta le pas avant de prendre les devants. Il les guida jusqu’à la sortie. Une fois dans la rue, il se permit de parler.

— Vous accordez trop d’importance à un apprenti, remarqua-t-il, vous risquez de faire échouer d’éventuelles négociations pour un malaise.

— Je ne suis pas habilité à négocier, expliqua Saalyn. Je suis là pour observer ce qui se passe, rien de plus.

Il se mit face à la guerrière libre, bloquant sa progression.

— Jouons cartes sur table, vous n’avez pas de pouvoir, mais elle oui. Elle n’est pas une simple apprentie.

Saalyn hésita avant de répondre. Elle suivit les conseils de Vespef.

— En effet, avoua-t-elle enfin, c’est une officielle et je suis son escorte.

Il reprit le chemin.

— Je vous suggère de trouver quelqu’un d’autre pour négocier. Le feytha n’apprécierait pas d’avoir été ainsi joué, même s’il s’en doute.

Saalyn hocha la tête, mais il ne pouvait pas la voir.

Il les conduisit jusqu’au fleuve. Une barque était tirée sur la berge.

— Je sais que vous n’avez pas besoin de ceci pour traverser. Mais je pense que dans son état, votre apprentie ne pourra pas nager.

Saalyn l’aida à le pousser à l’eau. Puis elle soutint Muy pour monter à bord. La guerrière libre ne trouva pas de rames au fond de l’embarcation ni de voile. Mais cela ne sembla pas préoccuper 517. Il s’affaira sur un caisson fixé à la poupe. Puis un vrombissement se fit entendre. Il saisit une poignée. Le bateau s’élança. Le bruit et la vitesse paniquèrent un moment Saalyn, mais l’étranger ne paraissait pas inquiet. Elle finit par s’habituer. Elle s’installa à côté de leur guide.

Ils filaient plus rapidement qu’à bord du plus récent catamaran de la Pentarchie. Le vent dû à la vitesse qui giflait son visage et faisait voler ses cheveux lui offrait des sensations inconnues. Elle ne tarda pas à éprouver une forme d’exaltation. Elle poussa un cri qui exprimait sa joie.

Mais tout avait une fin. Le fleuve, aussi large fût-il, finit par être traversé. 517 amena leur embarcation jusqu’au pied du chemin qui grimpait le long de la falaise.

— Je vous laisse ici, dit-il, je n’ai pas le droit de sortir des limites de la ville. Si vous revenez, passez me voir. Je vous présenterai ma compagne.

— Je n’y manquerai pas. Où vous trouverai-je ?

— J’habite à l’angle entre la route de l’est et le boulevard circulaire. Je me trouve rarement chez moi dans la journée. Mais 868 sera certainement présente.

— Je prends note de l’information.

L’état de Muy ne s’était pas arrangé. Elle ne serait pas capable de monter jusqu’en haut de la falaise. Saalyn allait devoir se résoudre à la porter. Heureusement, en tant que guerrière, elle était un peu plus athlétique que la moyenne et que la pentarque était menue. Quand avec l’aide de 517 elle la hissa sur son épaule, elle découvrit que petite ne signifiait pas légère. Elle aussi était musclée, malgré sa silhouette menue. Au début l’ascension parut facile. Mais après s’être élevée de quelques douzaines de perches, elle commençait à ressentir durement le poids de sa souveraine. Quelques foulées de plus et elle était épuisée. Elle envisagea de la poser pour souffler, mais si elle faisait cela, elle serait incapable de la reprendre sur son dos. Elle continua. La fin de l’escalade se fit dans la douleur. Chaque pas constituait un supplice pour les muscles tétanisés de ses jambes. Enfin, alors qu’elle pensait ne plus pouvoir avancer, le sommet de la falaise arriva.

Dès qu’elle se retrouva en terrain plat, elle se laissa tomber au sol, puis allongea délicatement la pentarque. Elle était toujours agitée et fiévreuse.

« Enlève-lui sa gemme ! ordonna Wotan.

— Un instant, lui répondit-elle. »

Elle se retourna sur le dos pour reprendre son souffle.

« Pendant que tu te reposes, Muy souffre, remarqua Wotan. »

Il avait raison. Elle se pencha sur la silhouette allongée près d’elle. Elle dégagea la gemme de sous les vêtements et l’écarta autant que le permettait sa chaînette, mais ce fut insuffisant. Elle batailla un moment avec le fermoir avant de réussir à l’ouvrir. Quand le bijou fut assez éloigné du corps de Muy, il émit un flash lumineux pour libérer l’énergie qu’il contenait. Puis elle passa à la seconde pierre, celle qu’elle portait en cas de combat. Elle la découvrit à la main droite, passé au majeur. Un deuxième éclair ponctua l’action. Puis elle se laissa tomber sur le dos et ferma les yeux.

Quand elle se fut assez reposée, elle se retourna vers sa pentarque. Le conseil de Wotan s’était avéré judicieux, elle semblait plus calme. Son air hagard avait disparu, sa respiration était devenue plus régulière. Elle s’était endormie.

« Que s’est-il passé ? demanda-t-elle à Wotan.

— Je ne sais pas trop. Je dirais une sorte de boucle parasite entre son esprit et ceux du feytha.

— Ceux ? Il en avait plusieurs.

— Des centaines, des milliers peut-être. C’est ce qui explique son état. »

Elle se rallongea contre sa pentarque et du bras lui entoura les épaules. Cette dernière se tourna vers elle et posa la tête sur la poitrine de Saalyn. Elles restèrent là plus d’un monsihon avant d’avoir repris suffisamment de force pour rejoindre le village.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Laurent Delépine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0