Chapitre 7 : La fuite

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Ils chevauchaient depuis trois jours quand ils remarquèrent des signes de poursuite. Saalyn ne pensait pas que l’officier l’avait trahie, mais ils avaient traversé une riche campagne densément peuplée. N’importe qui avait pu signaler leur passage aux autorités. Sans compter que les soldats avaient été certainement délivrés depuis. Un responsable avait dû associer les deux événements. Par chance, le fonctionnement de l’empire du Cairn était laborieux et cela avait pris du temps pour mettre en place la riposte. De la chance, non. En fait, Saalyn comptait dessus pour échapper à la capture. Sauf que, bien caché derrière un épaulement du terrain, elle avait pu observer leurs poursuivants. Et elle s’était aperçue qu’ils avaient privilégié la vitesse à la force. Seule une brigade de douze personnes progressait à « marche forcée ». Ils allaient être obligés de les imiter sinon ils les rattraperaient le lendemain. Toutefois, à deux par hofecy, ils ne se déplaceraient pas aussi rapidement. Ils ne gagneraient qu’une journée sur cette escouade. Heureusement, à ce moment-là, ils seraient en sécurité dans la passe de Baltis. Aucun individu censé ne commettrait la folie d’entrer armé dans le domaine d’un gems, même quand celui-ci se montrait aussi tolérant que Panation Tonastar.

Lors de cette étape, ils restèrent en selle tant que le supportèrent les montures. Le soir tombait quand ils bivouaquèrent. Saalyn savait que c’était presque la même chose pour leurs poursuivants. La collation prise, les tours de garde distribués, ils purent se reposer jusqu’au lendemain. Au réveil, Saalyn eut la mauvaise surprise de découvrir que les soldats du Cairn s’étaient déjà remis en route. Tant pis, ils partiraient l’estomac vide. Ils se rattraperaient ce soir. C’était contraire aux habitudes stoltz, mais il fallait savoir s’adapter quand les circonstances l’exigeaient. La journée se déroula néanmoins dans les gémissements et les plaintes de ceux qui, ayant vécu toute leur vie dans un environnement protégé, n’écoutaient que leurs désirs. La patience des pentarques fut mise à rude épreuve et Saalyn put voir les efforts qu’elles accomplissaient pour ne pas en massacrer un sur place.

Le soir, les ennemis avaient presque rattrapé la moitié de leur retard. Mais la passe de Baltis était en vue. Cette échancrure dans la montagne, comme si une épée géante l’avait coupée en deux, paraissait toute proche. Mais ce n’était qu’une illusion, due à son immensité. Ils ne l’atteindraient qu’en milieu de journée.

Le lendemain se déroula à l’identique. Leurs poursuivants étaient déjà en route quand ils repartirent. Les fuyards n’eurent pas le temps d’absorber un déjeuner avant le départ, mais la veille, Saalyn avait pris des précautions. Elle avait rempli les fontes de fruits secs et viande séchée que les voyageurs pourraient grignoter tout en chevauchant. En tête du convoi, Saalyn surveillait le pic de baltis. À son pied, la balafre qui permettait de traverser les montagnes se rapprochait. Mais trop lentement à son goût, les soldats du Cairn les rattrapaient progressivement. Elle n’avait pas prévu que ceux qui les prendraient en chasses disposeraient de montures habituées à l’altitude. Depuis quelques jours qu’ils grimpaient, leurs hofecy se fatiguaient, ce qui se voyait à leur vitesse qui diminuait alors que ceux qui les suivaient restaient tout aussi véloces qu’au début. À moins que ce fût le résultat de la double charge que les fuyards imposaient aux animaux.

Enfin, ils atteignirent la passe. Les poursuivants n’étaient plus qu’à une longe au maximum. Ils s’arrêtèrent juste avant d’entrer dans le domaine de Panation Tonastar. Saalyn démonta. Elle décrocha son épée du flanc de son hofec et la glissa dans un grand sac que son apprenti apporta.

— Personne ne doit pénétrer armé sur le territoire de Baltis, ordonna-t-elle. Vous allez déposer toutes vos armes dans ce sac le temps de la traversée du passage.

Joignant le geste à la parole, elle retira soigneusement tous les couteaux qu’elle cachait sur elle. Previs fut surpris. Elle en portait plus qu’il avait réussi à en repérer, mais moins qu’il l’imaginait. Les deux pentarques l’imitèrent. Elles ôtèrent même leurs gemmes, se mettant à la merci de la maîtresse des lieux. Mais c’était le prix pour traverser ses terres sans être inquiété. Naturellement, il y en eut toujours un pour protester. Cette fois-ci, c’était le jeune frère de l’empereur.

— C’est une arme précieuse, je ne peux pas m’en séparer, objecta-t-il.

— C’est la règle, répliqua Saalyn, personne ne doit pénétrer ici avec une arme sur lui, même si elle n’est que d’apparat.

— C’est impossible. Je refuse.

Saalyn montra les deux poteaux en marbre sculpté qui marquaient l’entrée de la passe.

— Passé cette porte, nous serons soumis à la loi de Panation Tonastar. Si vous ne voulez pas la respecter, vous ne nous accompagnerez pas.

— Vous me chassez du groupe.

— Croyez bien que cela ne m’enchante guère. Mais je refuse que la haute gems qui dirige ce domaine exerce des représailles sur nous tous parce qu’un seul ne s’est pas conformé la règle. Descendez de ce hofec.

Comme il ne bougeait pas, Wuq vint aux nouvelles.

— Un problème ? demanda-t-elle.

— Non. Le prince nous quitte.

Wuq mit les mains sur les hanches. Malgré sa petite taille, elle n’avait pas l’air commode et semblait capable de flanquer une raclée au jeune blanc-bec.

— Veuillez descendre de votre monture comme Saalyn vous l’a ordonné. Et rapidement, nos poursuivants approchent.

Le prince était acculé. Il ne pouvait plus reculer sans perdre la face. S’il donnait le couteau à Saalyn maintenant, il serait humilié.

— Si vous m’abandonnez, les soldats vont me capturer. Et certainement me tuer.

— C’est probable, répondit Wuq.

— Vous n’aurez qu’à vous engager dans la passe derrière nous. Mais veillez à bien nous laisser au moins une demi-longe d’avance que Panation Tonastar comprenne bien que vous ne voyagez pas avec nous.

Le prince sembla reconnaître là une échappatoire. Il descendit du hofec et se mit à l’écart.

— Nous nous reverrons un jour, les menaça-t-il, et nous réglerons cette affaire.

— Tout le plaisir sera pour moi, répliqua Wuq. Une épée à la main, nous découvrirons alors ce que vous valez.

Il déglutit. Visiblement, il n’envisageait pas un combat loyal avec la pentarque. Plutôt de lui administrer une correction par ses hommes.

Saalyn et Wuq retournèrent à leur monture respective et prirent la tête du groupe. Sous leur direction, ils s’engagèrent dans la passe.

Il était temps, ils n’avaient pas parcouru un quart de longe que les soldats du Cairn arrivaient. En voyant le prince, seul, devant la porte, l’un d’eux pointa sa lance en avant et chargea. Sous la menace, ce dernier jeta son arme dans les fourrés et s’élança à la suite des voyageurs.

— Attendez-moi ! hurla-t-il.

En l’entendant, Wuq se retourna. Avec un sourire amusé, elle suivit sa course effrénée pendant quelques perches avant de faire demi-tour et de le rejoindre. Elle s’arrêta à son niveau.

— Je ne savais pas que le prince était si pressé que nous procédions à notre corps à corps, lui lança-t-elle.

— J’accepte vos conditions, gémit-il en reprenant son souffle.

— Je suis heureuse de vous voir revenir à la raison.

Elle lui tendit la main pour l’aider à monter derrière elle. Il passa les bras autour de la taille fine pour ne pas tomber.

— Si vous tenez à conserver tous vos doigts, tâchez de vous souvenir que je ne fais pas partie des commodités offertes pour ce voyage. Ni aucun autre d’ailleurs.

— Compris.

Au lieu de rejoindre le groupe de fuyards, elle reprit sa marche en direction de la porte. Les poursuivants s’y étaient arrêtés, prenant garde de ne pas violer la frontière.

— Remettez-nous vos prisonniers et nous oublierons toute cette affaire, proposa leur capitaine.

Il possédait une voix forte, habituée à donner des ordres. Et il était bien fait de sa personne. En d’autres circonstances, elle aurait pu se laisser séduire. Mais pas aujourd’hui.

— Vous êtes des soldats de l’Empire du Cairn, renvoya-t-elle. Comment pouvez-vous trahir l’empereur en poursuivant sa famille ?

— Pedas a été destitué. Un nouvel empereur est monté sur le trône.

— Dans l’Ouest, il dispose d’encore beaucoup de fidèles.

— L’Ouest n’est pas vraiment le Cairn. Il ne respecte pas nos valeurs.

— C’est pourtant là-bas que se trouve votre empereur légitime. Un empereur intelligent et compétent. Mais je comprends que ce soit nouveau pour vous, cela vous fait peur.

— Remettez-nous vos prisonniers.

— Ce ne sont pas nos prisonniers. Ils voyagent avec nous de leur plein gré. S’ils veulent repartir avec vous, libre à eux. Mais j’ai comme un doute là-dessus.

Elle se dévissa le cou pour regarder son passager.

— Mon prince, désirez-vous rentrer avec eux ?

— Je reste avec vous, protesta-t-il d’une voix qui manquait d’assurance.

— Bien.

Comme pour confirmer ses dires, il raffermit sa prise sur la pentarque. Elle lui tapota le bras pour lui signaler qu’il s’approchait d’une zone dangereuse. Il comprit le message et descendit légèrement sa main.

— Le prince parle au nom de tous puisqu’il est la personne la plus élevée dans la hiérarchie du Cairn ici présente.

— Il n’est plus rien, les forces ont changé dans le pays.

— J’espère pour vous que cela n’entraînera pas votre ruine. La Diacara vous a épargné la dernière fois. Mais la prochaine, elle ne se montrera pas aussi indulgente.

— La Diacara ne nous fait pas peur. S’ils nous envahissaient, la population ne se soumettrait jamais.

Wuq sourit en pensant à la désillusion qu’ils allaient avoir quand ils verraient la moitié du pays se soulever contre eux. L’expansionnisme du Cairn avait été trop rapide, les territoires conquis n’avaient pas accepté l’invasion. Si la Diacara déclarait une seconde fois la guerre, il y avait de fortes probabilités qu’ils se rangent au côté de ce puissant empire.

— Je doute que nous nous recroisions un jour, conclut Wuq, aussi je vous souhaite beaucoup de chance. Vous allez en avoir besoin.

Elle fit demi-tour pour rejoindre le groupe qui l’attendait un peu plus loin dans la passe.

— Revenez ! cria le soldat. Ces prisonniers m’appartiennent.

Elle l’ignora, ne lui offrant que son dos à regarder.

— Si vous ne revenez pas, je viendrais les chercher moi-même.

« Vraiment beaucoup de chance », pensa la pentarque.

Devant l’absence de réaction de Wuq, il donna quelques ordres brefs. Les cavaliers se disposèrent sur deux lignes, ils placèrent leur lance à l’horizontale. Et sur le signal de leur capitaine, ils s’élancèrent de toute la puissance de leur monture.

« Même la chance ne suffira pas. »

La pentarque se forçait à rester stoïque malgré l’offensive de l’armée du Cairn qui menaçait de la transpercer d’un instant à l’autre.

Soudain, une volée de gems s’abattit sur la troupe. Ils fondirent sur le groupe en train de charger. Devant ce danger imprévu, les soldats s’arrêtèrent et levèrent leur lance contre les grandes formes noires ailées. Ces dernières, très agiles, esquivaient facilement les assauts. Un par un, ils agrippèrent ceux qui avaient investi leur territoire. Non protégés de la chaleur de leur corps par des vêtements épais, ils se mirent à hurler de souffrance. En un instant, tout fut fini. Il ne restait plus rien de l’escouade du Cairn. Même les hofecy avaient disparu.

Un gems se posa devant Muy qui mit pied à terre pour le recevoir.

— Toutes mes salutations, pentarque Muy, dit-il en un helariamen impeccable.

Personne ne savait comment ils faisaient, mais les gems n’avaient jamais confondu les deux pentarques alors que cela arrivait fréquemment à leurs proches.

— Transmettez mes salutations à dame Panation Tonastar avec mes remerciements.

— Dame Panation vous invite à la rejoindre chez elle. Elle désire vous parler d’un sujet de la plus haute importance.

Muy prit un air absent un instant. C’était le signe qu’elle conférait par la télépathie avec ses homologues restés en Helaria.

— Cela concerne-t-il les événements qui se déroulent en Ocarian ?

— Il me semble en effet.

— Que vous ont reporté vos espions ? Vous avez certainement dû en envoyer.

— Je pense que vous devriez voir cela avec elle. Je ne suis qu’un humble serviteur.

Les gems ailés en effet, étaient souvent les domestiques des hauts gems qui eux étaient aptères. Plus rarement, ils se mêlaient à la population de gems standards où ils jouaient des rôles subalternes. Et ils étaient très bons à ce poste. Très proches génétiquement de leur maître, une éventuelle défaite de celui-ci entraînait généralement l’élimination de ses serviteurs gems, seuls les esclaves stoltzt étaient épargnés. Ils avaient tout intérêt à ce que leur maître restât longtemps sur son trône.

— Vous avez prévu ce qu’il faut ? demanda Muy.

— Bien sûr.

Un autre serviteur, de plus bas rangs, les rejoignit. Sans effort apparent, il portait un coffre qui aurait donné des difficultés au plus costaud des stoltzt. Il le posa à côté de son chef et l’ouvrit. Il contenait des vestes molletonnées qui permettaient aux gems de transporter des représentants d’autres peuples sans leur infliger de profondes brûlures. Parce que le corps des gems était chaud, très chaud. En s’approchant pour examiner les protections, Muy eut l’impression de se tenir devant un four. Elle constata qu’il y en avait pour tout le monde.

— Il ne vous reste plus qu’à nous conduire devant haute Panation Tonastar, observa-t-elle.
Elle se saisit d’une veste et commença à l’enfiler par-dessus ses vêtements. Puis elle se tourna vers le groupe.

— La haute dame Panation Tonastar nous invite dans son domaine. J’ai accepté. Afin de pouvoir vous y rendre sans vous brûler, je vous conseille de mettre une de ces tenues.

Les fuyards se regardèrent. Ils ne connaissaient les gems que par leurs mauvais côtés. Les relations entre le Cairn et leur voisine étaient conflictuelles. Ce fut l’air serein qu’arborait Saalyn en se préparant qui les décida. Elle avait déjà utilisé les services de ce peuple à plusieurs reprises. N’étant pas elle-même gems, elle ne constituait pas une concurrente, ce qui lui avait permis d’établir des liens conviviaux avec certains. Mais les Cairnseny restaient inquiets.

Néanmoins, en un peu plus d’un calsihon tout le monde fut prêt. Une nuée de gems ailés se posèrent dans la passe. Assez pour transporter tout le groupe, plus quelques autres qui allaient surveiller les hofecy et les affaires des voyageurs. Chaque gems se plaça derrière un stoltz, il l’entoura de ses bras puis, d’un puissant coup d’aile, il s’envola dans les airs.

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