Chapitre 8 : Panation Tonastar

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Le pic de Baltis ne se dressait pas très loin, à vol de gems de la passe du même nom. Mais il la surplombait de presque deux longes. L’ouverture se trouvait à mi-hauteur sur la face sud, quasiment verticale. Une immense grotte permettait aux gems, ou à tout être ailé d’y atterrir ou de décoller à l’abri. De multiples portes le long des murs desservaient le reste de la demeure. L’une d’elles, située tout au fond, était plus grande et plus ornementée que les autres. C’était celle qui accédait aux appartements privés de Panation Tonastar. Cela faisait plusieurs milliers d’années que la gems régnait. Elle avait eu le temps d’embellir son domicile. À travers de larges halls d’accueils, des escaliers monumentaux et des couloirs richement décorés, les voyageurs finirent par arriver dans un salon luxueux. Confortablement installée dans un fauteuil en cuir, la maîtresse des lieux les attendait.

Panation Tonastar ne se leva pas pour recevoir ses visiteurs. À quoi bon ? Elle ne pouvait échanger d’accolades avec eux, la chaleur que dégageait son corps les aurait gravement brûlés. Au lieu de cela, elle les invita à prendre place sur les canapés d’un ample geste de la main.

— Soyez les bienvenus à Baltis, les accueillit-elle dans un helariamen impeccable.

Muy, Wuq et Saalyn acceptèrent l’offre sans hésitation. Elles connaissaient déjà la gems. Les autres restèrent paralysés, incapables de bouger. Ces êtres étaient considérés comme les plus dangereux des trois peuples. Et c’était vrai si on s’en faisait des ennemis. Mais Wotan et Panation étaient intimes depuis des siècles. Et si les gems accordaient difficilement leur amitié, quand ils le faisaient le lien était quasiment indestructible.

Previs était incapable de détacher son regard de leur hôte. Comme beaucoup de ses semblables, elle s’était donné une silhouette attrayante. Elle avait choisi le sexe féminin et s’était pris une morphologie ressemblant à celle des stoltzt, sans fioritures destinées à effrayer ses ennemis telles des crêtes sagittales, des cornes ou encore des pattes d’animaux. Elle était mince, grande et très belle. Ses seules différences avec ce peuple se limitaient à son teint de peau mauve sombre, ses yeux intégralement noirs sans pupille ni iris et ses oreilles, rappelant celles d’un félin et haut placé sur le crâne. À l’instar de ses semblables, elle considérait les vêtements comme la marque des espèces inférieures devant masquer leur corps imparfait, et elle n’en portait aucun. Elle ne portait même pas de bijoux. Pour tout haut gems, cela constituait l’indice d’un individu si sûr de lui qu’il n’avait pas besoin d’afficher un signe d’identification de son rang. Un individu très dangereux pouvant se révéler un adversaire redoutable. Pourtant, elle n’avait pas l’air si terrible, nonchalamment installée sur son siège, les jambes repliées sous elle.

— C’est un plaisir de venir chez toi, Panation, répondit Muy. Nous y sommes toujours bien accueillis.

— J’ai malheureusement peur qu’aujourd’hui, nous ayons à parler d’affaires graves, annonça-t-elle.

Elle tourna la tête sur la suite qui n’avait pas bougé d’un iota, puis son regard se posa sur l’apprenti qui se mit à trembler.

— Tu ne vas pas rester debout, proposa-t-elle, ne serais-tu pas mieux assis sur un fauteuil.

Il chercha de l’aide auprès de Saalyn, ne sachant que faire.

— Tiens, prend celui juste à côté du mien. Il est assez grand pour t’accueillir en compagnie de cette jeune femme qui ne semble pas te laisser indifférent.

La gêne remplaça soudain la peur. Il rougit tout en se demandant comment elle avait pu deviner. Saalyn parcourut le groupe du regard. Elle n’eut pas à chercher bien longtemps, une servante de la suite impériale sortit de la masse et s’empara de la main du stoltzen, pour l’entraîner vers le siège désigné. Un peu surpris, et ravi aussi, il se laissa faire. La gems avait atteint son but, tout le monde se dirigea vers une place libre et s’installa.

— Ne devrions-nous pas conférer en privé si l’affaire est si grave ? suggéra Muy.

— Tout Uv-Polin est concerné, ils doivent savoir.

Quelques domestiques entrèrent dans la pièce et commencèrent à proposer des boissons. Saalyn remarqua qu’ils étaient tous stoltzt, certainement pour éviter de réchauffer les breuvages. Et ils ne semblaient pas malheureux. Pour beaucoup de monde, être esclave d’un gems comme Panation était une nette amélioration par rapport à leur mode de vie antérieure. Surtout si on se basait sur le royaume voisin du Cairn. Ils étaient logés, nourris, soignés, et leurs tâches terminées totalement libres de faire ce qu’ils voulaient. Ils pouvaient même quitter le domaine tant qu’ils étaient de retour à l’heure pour leur travail. Quelques-uns avaient une famille et des terres dans les pays alentour et leur statut de serviteur d’une haute gems les mettait à l’abri de tout danger.

Une fois que tout le monde fut servi, Panation reprit.

— Wotan m’a parlé de ces réfugiés qui affluent aux frontières de l’Helaria.

— Ils sont peu nombreux, mais réguliers, confirma Muy. Nous les installons dans nos îles vides. Pour le moment, nous en avons accueilli un millier.

— J’ai le même problème à mes frontières.

— Des fuyards osent solliciter de l’aide à un haut gems !

— Je leur fais moins peur que ce qui se trouve au nord.

Elle laissa le temps à la pentarque de conférer avec ses homologues.

— As-tu une idée de la nature de cette menace ? demanda enfin Muy.

— Je crois que c’est lié à cet événement céleste qui a illuminé notre ciel il y a quelques douzains.

— La météorite ?

— Ce n’était pas une météorite.

— Qu’est-ce qui te permet d’affirmer cela ?

— Une météorite ne ralentit pas en se rapprochant du sol.

— En effet. Qu’était-ce alors ?

— Je l’ignore.

— N’as-tu pas envoyé des espions pour savoir ce qui se passe ?

— Si. À trois reprises.

— Et ?

— Aucun n’est revenu.

Saalyn, Wuq et Muy se regardèrent, interloquées. Même s’ils n’étaient que des serviteurs, totalement dévoués à leur maître, les gems ailés étaient des êtres puissants contrôlant la magie. Ils n’étaient pas faciles à vaincre. Alors trois successivement.

— Ce phénomène est venu du ciel, et vos enfants volaient, remarqua Saalyn. Peut-être n’est-ce pas la bonne méthode. Un groupe au sol noyé au milieu de la population pourrait se montrer plus discret.

— J’y ai pensé. Mais les habitants fuient vers le sud. Des voyageurs se déplaçant à contre-courant attireront forcément l’attention.

— Cela vaut quand même la peine d’essayer.

— Il y a plus grave.

La remarque de Panation coupa Saalyn dans sa réplique.

— Ce qui se trouve là-bas a pu remonter jusqu’à la source de l’espionnage. La forteresse d’où mes enfants sont partis n’existe plus.

Saalyn ne trouva rien à répondre. Une forteresse gems. Seul un autre gems était capable d’en investir une.

— J’ignore comment est venue l’attaque ni quelle arme a été employée. Mais la chaleur dégagée était si intense que la pierre a fondu et le sol est vitrifié.

L’assistance gémit d’effrois devant une telle démonstration de puissance.

— Sait-on au moins où se trouve cette menace, demanda Muy.

— Ça, je sais. Je l’ai localisée au nord du plateau d’Yrian, juste avant que l’Unster ne pénètre dans le canyon d’Yrian.

Saalyn voyait bien l’endroit. Avant d’entrer dans les gorges, l’Unster longeait une falaise qui constituait en fait la partie nord du plateau d’Yrian occidental. En revanche, vers l’est s’étendait une large plaine de plus en plus ondulée jusqu’à ce que la dernière pente finisse par former la portion orientale du plateau. Comme il était impossible, à cause de cette falaise, de s’installer sur la rive droite du fleuve, la menace ne pouvait se situer qu’en face, dans les prairies sauvages du Chabawck. Du coup, la cause pour laquelle les Ocarianseny fuyaient était incompréhensible. Ces envahisseurs se tenaient hors des frontières de l’empire. Panation avait raison, quelqu’un devait aller voir ce qu’il se passait.

— Penses-tu que nous aurons plus de chance de réussir ? demanda-t-elle.

— Je crois qu’ils considèrent tout ce qui vient du ciel comme une attaque. Un petit groupe se déplaçant à pied et se mêlant à la population locale reste notre seule possibilité.

— Nous sommes arrivés à la même conclusion, ajouta Muy.

« Nous ». Elle parlait au nom de tous les pentarques.

— Et si nous nous trompons, intervint Saalyn, si nous aussi représentons une menace à leurs yeux.

— Alors nous aurons un grave problème.

Panation Tonastar se leva. Elle se dirigea vers un petit coffre posé sur le fronton de la cheminée qui chauffait la pièce.

— Je ne vais pas vous laisser aller au-devant des dangers sans rien pour vous protéger.

Elle rapporta son fardeau jusqu’à la table basse en bois verni qui se trouvait au centre du salon et le posa face à Muy. Intriguée, cette dernière l’ouvrit. Il contenait des boules de la taille d’un poing fermé de couleur différente, mais aussi un écrin qui devait renfermer un bijou de taille respectable. Les gems avaient la possibilité d’encapsuler leurs sorts dans des objets pour un usage ultérieur. Par tradition, ils utilisaient des sphères, mais il n’y avait aucune contrainte quant à la forme.

— Les bleus sont destinés à recharger votre gemme instantanément, expliqua la gems. Tant que vous aurez de tels sorts sur vous, vous ne serez jamais à court de magie.

— Cela a dû te demander beaucoup de temps à préparer.

Saalyn comprit la raison de l’attitude nonchalante de Panation Tonastar qui contrastait avec la vigueur qu’elle manifestait d’habitude. Elle était épuisée tout simplement. Elle avait utilisé toute son énergie à générer ces charmes.

— Et le bijou ?

— Ouvre-le.

Muy prit l’écrin et souleva le couvercle. Étalé sur un tissu brillant se trouvait le collier le plus magnifique que la pentarque ait vu de toute sa vie. Une longue chaîne en maillon d’or et d’argent, délicatement ouvragée soutenait en médaillon une gemme de la taille de la main. Avec une telle puissance sur elle, la pentarque pourrait vaincre une armée et gagner une guerre à elle seule. Mais il lui faudrait des jours pour la charger. C’était certainement la raison des sorts d’énergie qui accompagnaient ce cadeau.

— Elle est magnifique, dit-elle. Je te remercie de ce présent.

— J’ignore quel danger représentent ces envahisseurs. Je préfère prendre un maximum de précaution.

— Avec ça, je pourrais voyager tout au bout du monde en emportant une personne avec moi.

— C’est le rôle des sphères rouges. Si tu les actives, tu te retrouveras ici quoi qu’il advienne, dans la mesure où ta gemme est chargée. Même si tu es inconsciente.

Cette précision s’adressait à Saalyn. Parce qu’il était bien évident que Muy n’irait jamais seule espionner ces êtres mystérieux qui avaient déstabilisé l’Ocarian. Et si Muy était neutralisée, ce serait à elle d’agir. Pouvoir disposer de la magie de Muy même si cette dernière n’était pas en mesure de le faire, la guerrière libre ignorait que c’était possible. Mais apparemment pour la gems cela ne posait aucun problème.

— Les autres sont des sorts de guérison, ajouta Panation Tonastar.

Saalyn les avait reconnus, Baltis en faisait un commerce extensif avec ses voisins.

Muy avait sorti la gemme de son écrin et soulevée à hauteur d’œil.

— Je sens sa puissance alors que je la tiens par sa chaîne, remarqua-t-elle.

— Elle est très puissante.

Elle tendit le bijou à Saalyn. Puis elle releva ses cheveux roux pour dégager son cou. Saalyn décrocha le petit pendentif qu’elle portait depuis son arrivée à bord du navire et fixa le cadeau de la gems à sa place. La pentarque admira un moment la pierre avant de la faire disparaître dans son décolleté.

Saalyn jeta un dernier coup d’œil dans le coffre. Il y avait là une grande énergie. Si avec ça, la mission échouait, c’est que l’ennemi était très fort.

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