Chapitre 23 : Infaillible

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 — Capitaine Brook ! Où en sont nos invités ? s’informa le commandant Mathers à son retour sur le chemin de ronde.
 — Ils seront à portée de tir dans dix minutes, commandant. Leurs ailes se sont déportées en arc de cercle autour de la forteresse.
 — Tout est prêt ?
 — Oui, nous venons de terminer les préparatifs. La poix est bouillante, les balistes chargées et en position. Les armes des alchimistes aussi. Tous les hommes sont prêts au combat.
 — Très bien. Les groupes du quai, du Couloir Principal et des escaliers sont en position, la herse est baissée. Voilà ce que nous allons faire, capitaine. Vous laisserez passer une première vague de navires, qu’ils approchent de la falaise. Avec une salve de flèches enflammées, vous incendierez la deuxième vague pour gêner la vision des vaisseaux situés à l’arrière et les empêcher de venir en renfort. Vous utiliserez l’arme des alchimistes sur les navires de la première vague situés sur les ailes. Et les balistes sur ceux du centre. Ainsi, si l’arme alchimiste fonctionne et nous débarrasse des équipages sur les flancs, les navires vides bloqueront l’avancée des vaisseaux de l’arrière. En coulant ceux du centre, nous les forcerons à s’engouffrer en petit nombre dans un entonnoir, avec une vision réduite à cause du feu. Ils seront obligés de prendre des risques pour traverser la deuxième ligne. Le vent n’est pas très fort, mais avec un peu de chance, l’incendie pourra se propager... Au fait, les Exodiens ont ils envoyé un émissaire ? Une chaloupe ? Quoi que ce soit ?
 — Non, commandant, rien à signaler.
 — Ils sont vraiment malpolis, grogna Mathers. Quand on débarque chez quelqu’un, la moindre des choses est de prévenir de son arrivée.

 Les navires ennemis approchaient de l’ouest, lentement, implacablement, glissant sur l’onde marine toutes voiles dehors, pavillons déployés.
 — Premiers navires ennemis à portée ! beugla un archer.
 Devon avait ses instructions : laisser l’ennemi approcher. L’armada resserrait son arc autour de la forteresse. Le capitaine Brook leva un bras. La moitié des archers du mur encochèrent une flèche enflammée. Les autres, sur les murs est et ouest, se tenaient prêts. La première vague arrivait maintenant très près de la falaise. Deux trois-mâts escortés d’une dizaine de goélettes formaient l’avant garde au centre. De chaque côté de la formation ennemie se trouvaient quatre frégates et une vingtaine de bâtiments de taille moindre.
 — Deuxième ligne ! cria quelqu’un sur le rempart ouest.
 Le capitaine Brook baissa le bras. Une pluie de traits s’abattit sur la flotte. Les flèches embrasèrent immédiatement les voiles de nombreux bateaux de la deuxième vague. Peu atteignirent le pont des navires. Les archers encochèrent derechef et envoyèrent une deuxième salve de feu. En même temps, sur les flancs, les soldats lancèrent les armes empoisonnées des alchimistes. Une partie toucha l’eau, une autre la falaise, une dernière le pont des navires. Dans les trois cas, la force du choc rompit les fioles et un nuage grisâtre de poudre d’amanite nappa l’océan, fantôme livide montant doucement vers le ciel. Les Exodiens n’étaient pas préparés. Les équipages inhalèrent la poudre mortelle et suffoquèrent. Des cris d’agonie s’élevèrent de part et d’autre de Devon avec la fumée des navires incendiés. Après quelques minutes, toute activité cessa sur les flancs de la première vague d’assaut. L’arme des alchimistes avait merveilleusement rempli son office. Au centre, cependant, des traits exodiens pleuvaient sur les remparts, faisant de nombreuses victimes parmi les défenseurs. Les artilleurs avaient ajusté leurs balistes, et les énormes projectiles munis d’une pointe de métal acérée jaillirent de leurs lanceurs. Suivant une trajectoire tendue, ils se fichèrent dans les coques des navires de l’avant garde. Quelques instants plus tard, les bâtiments exodiens commencèrent à embarquer, puis à s’enfoncer.
 — Commandant ! Ils virent de bord ! signala un soldat.
 — Emportez les blessés à l’infirmerie ! Évacuez les morts ! ordonna Mathers. Et restez en alerte, ils vont revenir !

 Robb était resté caché derrière une barrique de poix pendant la première phase de la bataille, craignant de recevoir une flèche perdue. Il osa enfin approcher du rempart. Cinq ou six vaisseaux ennemis achevaient de se consumer dans un grand brasier, tandis que les autres, visibles malgré l’épais rideau de fumée, avaient effectivement viré de bord pour s’écarter de la forteresse. Plus près, sur les flancs de la première vague, les bateaux aux équipages décimés évoluaient encore dans la dernière direction donnée par leur navigateur. Sur le côté droit, une goélette un peu plus avancée que les autres se disloqua contre la falaise dans un gigantesque craquement. Les fiers trois mâts exodiens destinés à l’assaut de la herse finissaient de sombrer dans un grand bouillonnement. Quelques planches de bois flottaient, des soldats ennemis désespérément accrochés dessus. Robb aurait dû être soulagé, mais un sombre pressentiment le taraudait. Quelque chose clochait. La défense avait été parfaite, le plan du commandant Mathers précisément exécuté, et l’ennemi battait en retraite. Qu’est ce qui pouvait éveiller en lui ce sentiment de danger rémanent ? Il posa les yeux sur les navires en train de s’éloigner. Là... Qu’était cette chose étrange qu’il entrevoyait à peine au niveau de l’eau, au travers de la fumée ? On aurait dit un rocher, mais il n’y avait pas d’écueil à cet endroit. Or cela laissait un sillon, comme si c’était en mouvement. Oui, la chose progressait. Elle semblait même accélérer. L’étrange objet passa la barrière de fumée, et le sang de Robb se figea. Le Disciple regarda à gauche de l’objet, à droite, et ses mains se mirent à trembler. Le rocher grandissait en approchant. Il devait dire quelque chose, prévenir quelqu’un.
 — Regardez ! hurla-t-il.
 Les soldats se tournèrent vers le jeune homme pâle comme un linge qui pointait l’océan d’un index tremblant. Une immense forme sombre se distinguait maintenant sous la surface, lancée vers la falaise à folle allure. Le commandant réagit instantanément.
 — Archers ! Artilleurs ! En position, abattez moi cette chose, quelle qu’elle soit !
 Des centaines d’arcs furent bandés en un instant. Les balistes rechargées furent braquées en direction de l’objet sous marin. Celui ci était maintenant à cinq cents mètres de distance, et accélérait encore. Les archers attendaient l’ordre, crispés.
 — Tirez ! ordonna Mathers quand la cible fut à quatre cents mètres. Au même instant, la chose fit surface.

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