Chapitre 21 : Message

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 Aaron ouvrit doucement les yeux. Ce seul mouvement lui causa une souffrance horrible. Il serra les dents et son corps hurla en signe de protestation. Il s’entendit émettre un gémissement plaintif. Le visage de Mira entra dans son champ de vision. L’expression sur le visage de la jeune femme était à mi chemin entre soulagement et colère. Ses cernes, plus profonds que jamais, formaient deux puits d’obscurité au fond desquels se cachaient ses yeux veinés de rouge. Aaron essaya de parler, mais les mots lui restèrent coincés au fond de la gorge. Mira lui souleva la tête, et approcha de ses lèvres un breuvage chaud. Le goût amer lui rappela ce qu’il avait bu chez Maggie, après s’être évanoui. Une infusion d’achillée... Alors qu’il avalait le breuvage par petites gorgées, la vapeur qui s’échappait du bol vint lui chatouiller le nez, et il éternua. Tout son corps se contracta en même temps que son diaphragme, et ce fut comme si un million d’aiguilles venaient de le piquer simultanément. La douleur le terrassa.

 Aaron plissa lentement les paupières. Cette fois, il ne ressentit qu’un vague élancement. Il remua prudemment un doigt de la main gauche, le pied droit, puis tourna la tête et ouvrit les yeux. La souffrance avait disparu. Mira était enfoncée dans un fauteuil à côté du lit, assoupie, le bol d’infusion vide sur une table tout à côté.
 — Mira ? murmura le jeune homme pour la réveiller. Celle-ci sursauta.
 — Ah, tu es réveillé ? As-tu encore mal ?
 — Non, ça va mieux, je crois. Toi, par contre, tu n’as pas l’air bien.
 La jeune femme échevelée avait le teint pâle et le regard hanté.
 — Je veille depuis hier, je devais te donner l’achillée au réveil, expliqua Mira.
 Lorsqu’elle reprit la parole, son regard était chargé de colère.
 — Qu’est-ce qui t’a pris de partir comme ça sans m’écouter ?
 — Je ne savais pas... répondit plaintivement Aaron.
 — Tu pensais que parcourir les rêves pouvait se faire comme ça ? Gratuitement ? Sans aucune contrepartie ? Eh bien non ! C’est dangereux, et il y a des limites à ne pas franchir, asséna-t-elle avec violence. Son ton s’adoucit un peu. Enfin, je crois que tu as bien compris maintenant, après avoir failli y passer.
 — Je suis désolé, bredouilla le jeune homme, vraiment désolé. Attends, comment ça hier ? J’ai dormi une journée et une nuit entières ? J’ai vraiment failli mourir ?
 Mira décela les accents de sincérité dans sa voix, et toute sévérité disparut de son visage, n’y laissant que les marques d’épuisement.
 — C’est de ma faute. J’aurais dû te prévenir avant, je n’imaginais pas que tu partirais comme ça. J’aurais dû te réveiller plus tôt, aussi, mais je voulais voir jusqu’où tu pouvais pousser l’expérience. J’ai été surprise par la vitesse du phénomène.
 — Quel phénomène ? C’est ça que tu me cachais ?
 — Oui, répondit Mira, penaude. Le fait de rester conscient en rêve implique une certaine tension sur le corps de l’oniriste. Cette tension est plus ou moins forte selon les efforts fournis. Elle se manifeste par une contraction des muscles, en général. En partant de l’extérieur du corps, puis s’enfonçant de plus en plus profondément. Si l’oniriste va trop loin, cette contraction peut bloquer les battements du cœur... Et elle ne disparaît pas au réveil, malheureusement. Réveiller l’oniriste permet simplement d’interrompre la progression. Pour effacer les maux de l’onirie, le remède le plus efficace est l’achillée.
 Aaron resta coi un moment, les yeux fixés au plafond, puis déglutit bruyamment en comprenant qu’il n’était pas passé loin du point de non retour.
 — Pourquoi ne pas m’avoir réveillé plus tôt ? Pourquoi la douleur ne m’a-t-elle pas réveillé ?
 — La douleur ? Parce que tu es conscient dans ton rêve. C’est donc toi qui décides d’infliger ça à ton corps ; enfin, c’est ce que ton cerveau comprend. Il ne tient pas compte des signaux de douleur. Quand tu as disparu, je savais que ça me coûterait trop d’efforts de te suivre. Je me suis réveillée. J’ai essayé aussitôt de te ramener, mais il n’y avait rien à faire. Je te voyais souffrir, mais je n’arrivais pas à te sortir de là. Tu devais être en train de visiter un rêve, pas vrai ?
 — Oui, peut être, hésita Aaron, essayant de rassembler les souvenirs qu’il avait de la nuit précédente. Mais si tu as réussi à me réveiller, finalement, pourquoi suis je resté une demi journée inconscient ?
 — Je n’ai jamais été en présence d’un cas aussi grave, donc je ne sais pas. Peut être qu’au réveil, le cerveau comprend que quelque chose n’allait finalement pas si bien, et que c’est un réflexe de défense. Aucune idée. Lorsqu’un oniriste fait une visite, il se trouve à l’intérieur d’une autre subconscience et il est très difficile de le ramener depuis l’extérieur sans réveiller directement la personne visitée. C’est ce qui s’est passé, je crois... Tu as revu Phan Moon, alors ? Raconte-moi.

  Au fur et à mesure de son récit, Aaron se rappelait de plus en plus de détails. Mira lui expliqua que s’il avait pu voir Phan sous sa forme physique réelle, c’était parce qu’il ne se trouvait plus dans le monde onirique, mais dans son rêve à elle, soumis aux règles de sa subconscience. Il se rendit compte que les moments de fatigue qu’il avait ressenti correspondaient à ceux où il avait fourni davantage d’efforts : lorsqu’il était réapparu au Taagan, lorsqu’il était entré dans la subconscience de Phan et enfin lorsqu’il avait modifié celle ci pour faire jaillir le mur de terre. Mira ouvrait des yeux de plus en plus effrayés. Lorsqu’il décrivit son entrée dans la sphère lumineuse représentant Phan, elle fut parcourue d’un frisson. Puis, à la mention du mur, elle l’interrompit :
 — Je comprends maintenant pourquoi tu étais dans cet état. Tout ton corps tremblait et tu étais en sueur. Tu es un phénomène ! Arriver jusque-là dès la deuxième excursion... Je n’ai jamais entendu une histoire pareille ! Excuse-moi, continue s’il te plaît.
 — Phan Moon s’est approchée. Elle m’a parlé. J’ai voulu répondre, dire que je venais de ta part. Je ne suis pas sûr d’avoir été clair, j’avais si mal que je n’arrivais plus à parler. En tout cas, elle a dit quelque chose. Et puis j’ai entendu ta voix, de plus en plus forte, un cri, et tout a disparu.
 — Oui, j’ai hurlé tellement fort que Norton est arrivé du rez de chaussée en courant. Finalement, ça a marché...
 Aaron se redressa dans le lit, si vivement que sa tête se mit à tourner. Il porta les mains à son front. Mira sursauta de surprise.
 — Le message... Je m’en souviens.
 — Et que disait-il ? demanda Mira, intriguée.
 — Qu’une gigantesque flotte de navires était partie d’Aeryn vers le nord. Que l’empire de Kelcia allait être attaqué.

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