Chapitre 8 : Feu

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 Robb Alexander était assis devant la cheminée depuis presque une heure, dans un coin de l’alcôve du laboratoire d’alchimie. Hypnotisé par la valse envoûtante des flammes, ses pensées vagabondaient ça et là, revenant toujours au point de départ de leur odyssée : le Feu, Source primordiale de la puissance, et sa relation avec l’Air, Source primordiale du mouvement. Robb, pendant son initiation de Disciple, avait eu accès à la Grande Bibliothèque de Kelcia, et parmi les centaines de grimoires feuilletés, aucun ne remettait en cause les fondements du Grand-Œuvre. Et voilà que, si son intuition se vérifiait, elle risquait de bouleverser l’alchimie. La science allait trembler sur ses bases, se fissurer, s’effondrer en gravats poussiéreux. Le corps du jeune homme frémissait tout entier d’appréhension impatiente. Maître Aurea Barton avait quitté la pièce pour rejoindre sa chambre deux heures auparavant, après le souper. Robb avait terminé ses corvées habituelles, vaisselle et rangement, avant de s’asseoir auprès du feu. Et il avait observé le bois se consumer, yeux grands ouverts, en pensant à son idée insensée. Jusqu’à cet instant, il avait hésité à réaliser sa propre expérience. L’énormité des conséquences de son geste le freinait. Mais l’heure était venue.

 Robb s’approcha de la paillasse. Il avait longuement réfléchi aux deux expériences qu’il souhaitait réaliser. Il en avait si minutieusement planifié les détails qu’il aurait pu y procéder dans le noir. Le jeune homme tira d’un rangement une large bassine peu profonde, une cloche de verre et le creuset. À l’aide d’un tonneau d’eau potable, il remplit la bassine, puis posa le récipient de fonte à l’intérieur. Il fut satisfait de constater que le bord supérieur du creuset dépassait la surface de l’eau de quelques centimètres. Il prépara son échantillon témoin, composé d’une masse de petit bois précisément mesurée à l’aide d’une balance, s’empara d’un allumeur et enflamma le contenu du creuset. Puis, il plaça la cloche de verre au-dessus des flammes d’une main, prenant soin qu’elle repose sur le fond de la bassine, tandis qu’il retournait de l’autre main le sablier prévu pour le décompte temporel.

 Lorsque le feu s’éteignit, Robb bascula immédiatement le sablier à l’horizontale et le plaça à l’écart. Il nota sur un morceau de parchemin que seule une partie du bois avait brûlé avant que le feu s’éteigne par manque d’air. Il s’apprêtait à soulever la cloche lorsqu’il crut remarquer un résultat inattendu. Il fronça les sourcils en détaillant du regard l’état final de son expérience témoin. Il n’était pas sûr. C’était trop subtil. Il décida d’en avoir le cœur net. Il se munit d’un nouveau sablier et prépara une quantité identique de bois à l’intérieur du creuset. Cette fois, il plaça d’abord une première fois la cloche de verre au-dessus du foyer éteint et mesura précisément la hauteur atteinte par la surface de l’eau. Il inscrivit le résultat sur son parchemin et retira la cloche pour allumer le feu et réitérer l’expérience.

 Le deuxième sablier renversé indiquait la même durée que le premier. En le redressant, Robb s’en félicita : cela prouvait la qualité de son protocole. La mesure du niveau d’eau à l’issue de sa deuxième expérience confirmait son impression. La surface du liquide était plus haute à la fin qu’au début, curieux phénomène. Il se promit de l’étudier plus tard et le rangea dans un coin de son esprit pour se concentrer sur son véritable objectif. Une troisième fois, il disposa le bois au fond du creuset, accompagné cette fois d’une quantité équivalente de salpêtre. Il alluma, mit en place la cloche, retourna le sablier, et fixa du regard les flammes.
 — Deux nourritures... Esprit et corps... Corps et esprit... marmonnait-il sans s’en rendre compte.

 Lorsque les derniers points d’incandescence furent éteints, Robb interrompit le sablier, mesura consciencieusement le niveau d’eau dans la bassine, puis resta immobile un long moment. Son échine fut parcourue d'un frisson d’euphorie et ses avant-bras se couvrirent de chair de poule. Il eut soudainement envie de danser, de sauter, de chanter, de hurler jusqu’au ciel. Il avait vu juste !

 Le Disciple resta un long moment englouti sous des vagues de bonheur jubilatoire, puis retrouva une part de lucidité. Il se releva, rangea la paillasse aussi vite qu’il le put et courut jusqu’au petit bureau de sa chambre. Il tira vivement une feuille de parchemin d’un tiroir, attrapa sa plume, fébrile, la trempa dans l’encrier et entreprit de coucher sa découverte sur papier.

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