Chapitre 14 : Succès

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 — Maître, la prochaine livraison de bois n’arrivera pas avant demain, déclara Robb.
 — Merde ! jura Aurea Barton comme à son habitude. Ils ont encore eu un pépin d’essieu avec leur maudite charrette ? Bon, tant pis, tu piocheras dans la réserve de charbon.
 Le Maître grogna de mécontentement. Elle termina son assiette, du poisson, comme tous les jours, puis la repoussa vers le centre de la petite table avant de se lever, et de s’éloigner d’un pas pesant.
 — N’oublie pas de ranger tout ça, Robb. Je vais me coucher. Elle rejoignit l’alcôve qui lui tenait lieu de chambre, et claqua derrière elle la petite porte en bois garante de son intimité.

 Robb soupira de lassitude. Il termina le nettoyage aussi vite que possible, s’accorda quelques minutes de repos, puis, certain que son Maître était assoupi, réinstalla la cloche à expérimentation sur la table. Il se rendit ensuite dans sa chambre, où il avait soigneusement caché quelques échantillons de différentes substances à mélanger au salpêtre et au bois. Quelques heures de vagabondage dans la forteresse lui avaient fourni tout ce dont il avait besoin : quelques poussières de basalte, un peu de soufre jaune trouvé dans un couloir, de la pierre calcaire de la surface, de l’huile utilisée pour les torches du chemin de ronde, et enfin quelques épices récupérées aux cuisines. Il avait compris le fonctionnement du salpêtre, savait que l’air était un élément composite, mais il gardait son esprit fixé sur son véritable objectif : créer un mélange suffisamment puissant pour provoquer une avalanche.

 Rien de ce qu’il avait essayé n’avait fonctionné. L’huile avait bien brûlé... Si bien qu’il avait dû éteindre le feu avec sa botte après avoir renversé en urgence le creuset. Et le soufre avait brûlé, entièrement. Une autre nourriture pour le feu, mais pas encore la bonne. Il manquait un élément crucial. Le jeune homme sentait qu’il était à deux doigts de trouver. Quelque part, il savait qu’il connaissait déjà la réponse, mais impossible de s’en souvenir. Il jeta un coup d’œil énervé au mince filet de fumée grise qui s’échappait du creuset, vestige pitoyable d’une énième tentative infructueuse. Cette vision remua un souvenir enfoui dans un coin de sa mémoire. Ce brin de tabac incandescent sur le chemin de ronde... En s’approchant du feu, il avait sursauté vers le ciel. La chaleur, ou peut être la fumée... Quelque chose produisait du mouvement. C’était ce mouvement dont il avait besoin pour recréer l’arme de ses prédécesseurs. Tout bien réfléchi, ce ne pouvait être la chaleur, sinon la cloche à expérimentation aurait déjà bondi des dizaines de fois de son socle. Ce ne pouvait être que la fumée. Oui, mais pour que celle ci fournisse une force suffisante, il fallait la concentrer, trouver un moyen de l’amplifier. Décidément, tout le ramenait à l’Air, la Source primordiale du mouvement. Il fouilla sa mémoire à la recherche d’indices. Que disait le dogme au sujet de l’air ? Qu’il était pur et indivisible... Robb avait déjà prouvé que c’était faux. Et puis qu’il était nécessaire au feu... C’était faux également, réalisa soudain le Disciple. Les flammes n’avaient pas besoin d’air, simplement de nourriture. Subsistance que pouvait lui offrir le salpêtre. S’il parvenait à allumer un feu nourri au salpêtre dans un espace confiné... Où irait la fumée ?

 Robb entreprit fébrilement de trouver un petit récipient. Oui, ce gobelet en fer ferait l’affaire ! Il déposa sur la table un petit tas de salpêtre, puis hésita, et ajouta une pincée de soufre. Après tout, cela ne pouvait pas faire de mal. Tout à son idée, il se précipita pour saisir un allumeur, l’enflamma, revint près de la table, retourna le gobelet sur le petit monticule, et se rendit compte de son problème. Il n’arriverait jamais à allumer le feu de cette manière. Il lui fallait autre chose que du bois, un autre moyen d’allumage, aussi. À la place du bois, il y avait bien le charbon. Oui, mais le bloc qu’il prit de la réserve était trop gros pour le gobelet. Tant pis, il le réduisit en poudre et l’ajouta au mélange, puis replaça le gobelet. Il lui manquait l’élément déclencheur : le feu. Les rouages de son cerveau tournaient à toute vitesse. Il trouva presque instantanément comment faire. L’huile. Et puis du tissu. Pris de frénésie, il déchira un morceau de sa tunique. Tant pis ! Il le trempa dans l’huile, puis, une fois qu’il fut bien imbibé, le déposa délicatement sur la table, une extrémité en contact avec le monticule de poudre. L’huile permettrait au feu de brûler le long du tissu et d’atteindre le mélange sans être gêné par le gobelet. Il ne restait plus qu’à reposer le gobelet. Ah ! Et puis, pour amplifier ce qu’il espérait qu’il se produise, il fallait quelque chose pour maintenir le récipient. Une roche assez lourde qu’il trouva dans un coin lui parut suffisante. Il la déposa au dessus de son montage improvisé. Sans perdre une seconde, Robb se rua sur l’allumeur puis vers la cheminée pour ressusciter la flamme. Puis il alluma le bout de tissu situé à l’extérieur du gobelet de fer. Après un instant, il jubila en voyant la flamme se déplacer vers le récipient. Au dernier instant, Robb comprit que, s’il avait eu raison, il ferait mieux de ne pas rester à côté du gobelet.

 Disciple eut à peine le temps de se jeter au sol. Une détonation assourdissante retentit, et le gobelet fut projeté en l’air. La roche qui le maintenait, elle aussi, vint frapper le plafond de la caverne avec force. Des centaines de minuscules éclats de basalte furent projetés alentour. Une odeur mêlée de brûlé et de soufre se répandit partout, accompagnée d’une épaisse fumée noire. Le gobelet, du moins ce qu’il en restait, retomba juste à côté de Robb. Toute la partie la plus proche de la table avait fondu, et le métal rougeoyait encore. Le Disciple se releva doucement. La table présentait un large cratère noirci, à l’endroit où était posé le mélange. Tout ce qui s’était trouvé à proximité avait été balayé, du chandelier à la cloche d’expérimentation. Celle ci avait volé jusqu’au mur et s’était brisée en mille morceaux. Au milieu de ce chaos, Aurea Barton sortit en catastrophe de sa chambre, échevelée et seulement à moitié habillée. Elle avait les yeux hagards, écarquillés. Elle regarda son Disciple qui se tenait là, au centre du désordre. Celui ci la remarqua et tourna vers elle un visage souriant. Il avait la figure noircie, des traces de coupures, probablement occasionnée par quelque éclat de verre ou de rocher, mais il ne s’en était même pas aperçu. Il était étrangement calme. Le jeune homme leva la main droite, dans laquelle se trouvaient les restes d’un gobelet en fer. Et puis, le plus sérieusement du monde, il déclara « J’ai trouvé ».

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