Le désert

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Il avait l'impression de voyager depuis des jours entiers, ballotté comme un sac sur le dos de l'étrange animal, le ventre plus vide qu'il ne le croyait au départ. En vérité, ils n'avaient dû passer qu'une heure ou deux dans ce maudit désert et il priait déjà pour que l'on abrège ses souffrances.


Ayant assez bien assimilé la folie de sa compagne, Ajay n'osait plus dire un mot. Le silence lui pesait, mais il ne voulait pas tenter Coline et ses méthodes peu conventionnelles pour lui éviter la mort que la cendre lui promettait. Muet, il plissait les yeux pour essayer d'apercevoir quelque chose dans ce paysage, sauf qu'il n'y avait absolument rien à voir dans le désert. Ce qu'il pensait, au premier abord, être un horizon gris et triste, se révélait être un mur de cendres que son regard ne parvenait pas à percer.


Tandis que la barrière approchait d'eux, haute et menaçante, Ajay sentit la peur monter en lui. Paniqué, il appuya ses mains sur le ventre de Coline pour la supplier d'arrêter le Turkoman ou de lui faire faire demi-tour ; la prison lui semblait préférable à la lente agonie que susurraient les cendres à ses oreilles. Pour toute réponse, elle lui envoya un magnifique coup d'épaule dans le menton. La douleur irradia sa mâchoire pendant plusieurs dizaines de minutes et lui passa l'envie de recommencer.


Le criminel ne comprenait pas la facilité et le calme avec lesquels sa sauveuse menait sa monture dans le pire endroit qu'il ait jamais connu. À chaque pas, il avait l'impression d'avancer vers la mort. Il lui arrivait même d'apercevoir, au loin, l'ombre de la Grande Faucheuse qui attendait l'arrivée d'un ami – malheureusement, il était celui-ci – un sourire aux lèvres.


Plus le désert se refermait sur eux, moins Ajay gardait l'espoir de s'en sortir vivant. De son premier voyage, il ne se souvenait que des vitres rendues opaques par la cendre, des derniers râles du moteur et de sa fuite impossible jusqu'aux portes de la prions devant lesquelles il s'était effondré, presque mort. Comment avait-elle pu traverser une première fois sans problème et comment comptait-elle réitérer cet exploit ? Il n’arrivait même pas à l’imaginer.


Son secret de survie, peut-être était-ce ce goût vestimentaire qu'il aimait dénigrer. Tandis que lui-même devait supporter le poids de la cendre qui s'accumulait dans ses cheveux, Coline était protégée par son Stetson qu'elle inclinait parfois de droite ou de gauche pour en chasser la surcharge. Leurs bandanas leur permettaient de respirer sans tousser en gardant un maximum de particules loin de leurs nez et bouche. Leurs ponchos, quant à eux, empêchaient la cendre de s'infiltrer partout et gardaient leurs corps au chaud dans la fraîcheur de la nuit. Néanmoins, cet atout présentait un défaut qui ne semblait déranger que le criminel : à la chaleur de la couverture s'ajoutait celle du désert en plein jour qui essayait de l'assommer à chaque pas.


À l'instant où le Turkoman stoppa sa marche, Ajay comprit : le temps n'avait aucune valeur ici. Devant ses yeux, il n'y avait ni soleil, ni lune, seulement un lourd rideau de cendres. Il ne voyait aucune différence entre le sol et le ciel. Ce qu'il prenait pour une heure pouvait s'avérer être une journée ou une minute. La seule chose qui pouvait l'orienter était la température. Il avaient pénétré le désert avant l'aube, puis la chaleur était vite devenue insupportable. Maintenant, il faisait si froid que le fugitif regrettait de ne pouvoir bouger pour essayer de se réchauffer. Cet indice donnait une signification nouvelle au mal qui grandissait au fond de son ventre ; ce n'était pas la peur qui l'étreignait, c'était la faim : ils avaient passé une journée entière dans le désert.


Sans crier gare, Coline attrapa les mains d'Ajay et les serra si forts qu'il les retira précipitamment, la peau douloureuse, d'un mouvement de recul prononcé qui faillit le précipiter au bas de la monture. De justesse, il évita la chute en s'agrippant à sa sauveuse. Si cinq de ses doigts se refermèrent sur l'épaule de la jeune femme, les cinq autres glissèrent un peu plus bas, perdirent le bras qu'ils cherchaient et s'enroulèrent, malencontreusement, autour d'un sein – qui tenait tout juste dans sa paume.


Ayant trop pensé au corps féminin serré contre lui, Ajay avait peut-être, à cause de la panique, dirigé sa main là où elle n'aurait jamais dû s'aventurer. Peu importait la raison au final, puisque le résultat restait le même. Il s'était trompé : ni le désert ni le Turkoman ne le tueraient, c'était Coline qui allait s'en charger.


Avant même qu'il n'ait le temps de reculer et de proférer la moindre excuse, la tête de la jeune femme bascula soudain d'avant en arrière et percuta Ajay en plein front. Déboussolé, le criminel tomba à la renverse et s'écrasa dans la cendre. L'air plus calme qu'il ne l'avait pensé, Coline renfonça son Stetson sur sa tête, sauta à terre et déplia une couverture grise attachée au Turkoman pour en sortir une arme. Ensuite, toujours aussi calmement, tandis que le criminel observait et s'inquiétait, allongé dans la cendre, sa sauveuse s'accroupit et fouilla le tapis épais formé par l'amoncellement des particules.


— Tu sais ce qu'il y a de bien avec le désert de cendres, Ajay ?


— N… non… bégaya-t-il, la bouche asséchée par la peur.


— C'est qu'il n'y a pas que de la cendre, insista-t-elle sans qu'il ne comprenne.


Hébété, Ajay voulut lui demander de s'expliquer, mais elle ne lui en laissa pas le temps. Se redressant subitement, Coline glissa une poignée de cailloux dans le canon de son arme avant d'en présenter la bouche évasée au criminel. Il s'agissait d'un tromblon qui, à quelques centimètres de son visage, ne manquerait pas de le tuer.


— Encore un coup comme ça et j'explose ce visage dont tu es si fier, le menaça-t-elle très sérieusement.


— Tu… tu as dit que je ne devais pas mourir ici ! tenta-t-il de se défendre sans succès.


— Ce serait préférable, en effet, approuva-t-elle. Mais si tu recommences, je pourrai toujours récupérer un peu d'argent de ton cadavre. Mort ou vif, tu te souviens ?


Ajay déglutit péniblement. La prime sur sa tête avait été considérable avant son petit séjour en prison et il ne pouvait espérer qu'elle ait baissé pour les quelques semaines qu'il y avait passées. Maintenant qu'il s'était échappé, si le Pouvoir ne retrouvait pas son cadavre quelque part, elle pourrait même augmenter. Son seul problème désormais, c'était de convaincre sa sauveuse – kidnappeuse ? – qu'il était un meilleur plan vivant que mort.


— Mais tu ne gagneras jamais plus que ce que je peux t'offrir si tu me laisses en vie. Voyons Coline, on sait tous les deux que ce n'était pas volontaire… s'excusa-t-il maladroitement.


— Ah oui ? Ne promets rien que tu ne puisses donner, Ajay.


— Je le jure. Tu crois que je n'étais pas préparé à être envoyé en prison un jour ? Je suis peut-être incapable de m'échapper seul, de traverser le désert ou de monter cet animal bizarre comme tu sais le faire, mais je ne suis pas assez bête pour toujours garder tout mon argent sur moi.


— Un trésor, tu dis ? fit-elle, très intéressée.


Ton trésor. Si tu me promets la vie.


Il la vit hésiter, peser le pour et le contre en inclinant légèrement la tête à droite puis à gauche. Ajay en profita pour observer le pistolet que la jeune femme portait à la cuisse. Le risque était grand, mais il préférait mourir en essayant de se défendre que de se laisser exécuter pour une malheureuse erreur dont il n'était pas l'unique responsable ; si Coline ne lui avait pas broyé les mains sans raison, il ne se serait pas accroché à elle par peur de tomber.


— Marché conclu, déclara-t-elle finalement.


Le criminel n'eut pas le temps de réagir. D'un mouvement rapide, sa sauveuse fit pivoter l'arme entre ses mains et lui écrasa la crosse en plein visage.

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