La folie

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Dans un grognement, Ajay bascula sur le côté et percuta le tromblon. La douleur fusa à l'intérieur de son crâne, manquant de peu de le renvoyer dans les tréfonds de son subconscient. Il ne voulait pas retourner à ses rêves flous et aux gémissements qu'il avait dû pousser pendant ses cauchemars. Il était un homme, il ne pouvait pas se montrer faible devant une femme.


Mais quelle femme ! Il n’en doutait plus : elle était folle. Ils avaient conclu un marché, elle n’avait pas besoin de l'assommer avec son arme de barbare. Il méritait mieux que ça. Il lui offrait ses économies, son trésor, et elle le remerciait de la sorte. Rien ne l’obligeait à donner son argent, il pouvait tout aussi bien garder son secret pour lui. Néanmoins, mort, il ne pourrait pas en profiter… S’il devait offrir ses économies, il aurait préféré que ce soit à quelqu’un d’autre. Qu'allait-elle faire de ce qu'il avait durement gagné ? Compléter sa panoplie du parfait petit cow-boy avec un beau ciré ? Il ne préférait pas l'imaginer.


La douleur s’atténuait quelque peu, le criminel en profita pour la reléguer au second plan de ses préoccupations et se concentra sur l’endroit où il se trouvait. Ses doigts fouillèrent autour de lui, cherchant un quelconque repère tandis qu'il gardait les yeux fermés, de peur de faire face à sa tortionnaire. La surprise l'emporta sur la frayeur quand il sentit un tissu glisser sur sa paume et il ouvrit les paupières.


Une toile de tente le surplombait. Le gris morne du désert était remplacé par le tissu de même couleur, à croire que Coline avait acheté l’entièreté de ses affaires en nuances de gris pour mieux se fondre à la cendre. Par la fine ouverture, il apercevait les bagages du Turkoman posés juste devant la tente. En revanche, l’intérieur ne s’encombrait que de deux oreillers de fortune et une unique couverture.


Ainsi, ils passeraient la nuit ici et mourraient de froid jusqu'à ce qu'on les trouve ? Ajay n'appréciait pas l’idée. Il pensait qu'ils continueraient à chevaucher le drôle d'animal et ne s’arrêteraient qu’à la fin du désert. Coline, à nouveau, lui prouvait que leur logique divergeait. En plus de maltraiter un homme « qu'elle ne pouvait pas perdre maintenant », elle leur imposait un arrêt qu'ils auraient pu s'éviter. Allait-il sortir du désert ou y mourir s'il continuait de la suivre ? Un instant, il envisagea la possibilité de s'enfuir pendant le sommeil de sa compagne. L’idée semblait bonne et tentante, mais il ne voulait pas imaginer ce qu’elle lui ferait subir si elle arrivait à le rattraper. Ajay abandonna son envie aussi vite qu’elle était venue et préféra chercher où Coline se trouvait.


Juste à côté, en vérité. Le menton dans la main, le coude posé sur le genou, elle était assise en tailleur et regardait où ses yeux se posaient sans voir vraiment. Au réveil du criminel, elle avait été attirée par ses gestes, mais ne présentait aucun signe d’intérêt pour le convalescent. À la voir ainsi, attendre que le temps passe sans réagir, il se surprit une envie soudaine : celle de ne jamais savoir ce qui traversait son esprit tordu. Cette femme avait un problème et il n'était pas là pour le régler, il ne voulait même pas en entendre parler.


— T'es réveillé, chuchota-t-elle du bout des lèvres.


Il eut envie de la frapper. Il ne s’agissait ni d’une question rhétorique, ni d’une affirmation soulagée. Une simple constatation d'une indifférence qui le blessa plus qu'il n'aurait voulu l'avouer. Sur le même ton, elle aurait pu lui réclamer le sel…

Ajay ne comprenait pas Coline. Il s’amusait du possible amour qui aurait poussé sa sauveuse à venir le délivrer, mais il savait que ce n’était rien de plus qu’une blague. Comment pouvait-ce être autrement ? Elle l’avait assommé sans hésiter. Si c’était cela, son amour, il le rejetait volontiers.


— Et toi, tu dors pas ?


Le criminel se choqua lui-même en prononçant ces mots. Il se fichait de savoir pourquoi elle ne dormait pas et ne compatirait pas pour une folle. Néanmoins, l’interrogation lui avait échappé, il était trop tard pour reculer. Ajay risqua un coup d’œil vers Coline, attendant sa réponse. Il regretta immédiatement son geste. Par dessus son foulard et dessous son Stetson, elle le fixait d’une drôle de manière. C’était ce regard-là qu’elle lui lançait quand elle pensait avoir entendu la plus grosse idiotie de la journée. Celui-là-même qu’il avait croisé le matin de l’évasion, au moment où il l’avait questionnée sur le nombre de chevaux.

Ajay soupira. Il pouvait dire d’avance que la réponse ne lui plairait pas.


— C'est déjà le matin.


— Quoi ? cria-t-il sous la surprise.


— Tu as dormi toute la nuit, Ajay.


— T'appelles ça dormir ?


— Je peux toujours recommencer, répondit-elle sans se laisser démonter par la colère de son compagnon.


— Et si je m'en chargeais ?


À peine dite, il regretta sa menace. Il y eut un bref silence qu’il mit à profit pour agripper le tromblon à ses côtés. Il n’osa pas détourner son regard de Coline. Celle-ci, haine et détermination plein les yeux, attendit qu’il empoigne l’arme puis se leva. Elle avala les deux mètres qui les séparaient d’une lenteur exagérée et s’assit juste en face de lui. Leurs genoux s’entrechoquèrent. Le criminel déglutit avec peine sous l’intensité de son regard.


— Essaie pour voir, le tenta-t-elle d’un murmure assuré.


Il ne pouvait pas s’y résoudre. Il ne retournerait pas le tromblon entre ses mains et n’écraserait pas la crosse sur les yeux qui le narguaient. Il ne pouvait pas frapper la femme qui l’avait sorti de prison. Depuis qu’ils avaient quitté cette dernière, il ne faisait que se plaindre et avait même touché Coline sans son autorisation. Il méritait le coup qu’elle avait porté. Elle utilisait son temps et son argent pour le sauver et lui, il ne la remerciait pas correctement.


Résigné, le criminel laissa retomber l’arme à ses côtés et s’allongea en soupirant. Que pouvait-il faire contre Coline l’Imprévisible ? Face à elle, il n’était plus un grand bandit, seulement un homme faible et vulnérable. Il se sentait pitoyable et si elle le pensait aussi, elle n’en laissait rien paraître dans ses beaux yeux gris. Il n’y voyait qu’une forte détermination à laquelle Ajay ne pouvait résister. Lui, il avait déjà abandonné.


Redevenue impassible, sa sauveuse se releva, attrapa le tromblon et lança un coup de pied au criminel pour lui indiquer qu’il était temps de ranger. Quand elle sortit de la tente, des particules de cendres profitèrent du passage de la jeune femme pour entrer et il soupira à nouveau. Le désert continuait. Le criminel perdait rapidement le peu d’espoir qu’il conservait dans leur aventure impossible. Si la chaleur ou la cendre ne les tuaient pas, ils allaient finir par s’entre-tuer. La détermination de Coline ne collait pas avec la peur d’Ajay. Tandis qu’elle débordait de confiance en elle, lui plongeait tête baissée dans la dépression.


Ils étaient fait pour se détester.

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