Attention au départ !

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Poise transpirait à grosses gouttes dans sa tenue de voyage, tandis qu’elle s’appliquait à slalomer entre les passants, dans le grand hall de la gare. Une de ses chaussures de marche couinait chaque fois qu’elle posait le pied par terre, ce qui achevait de la mettre de mauvaise humeur.

La matinée lui avait semblé interminable. Sa mémoire lui renvoya l’image de sa mère, en larmes, barrissant sous son mouchoir jetable, alors qu’elle lui disait au revoir sur le pas de la porte.

Alors qu'elle s'éloignait avec son attirail sur le dos, son père avait murmuré :

— Qu’est ce qu’on va faire de cette gamine…

À l’arrêt de bus, une affichette de couleur vive lui avait annoncé qu’aucun transport ne l’emménerait à la gare. Poise avait galopé à travers les rues, chargé de son matériel qui s'entrechoquait, telle une femme-fanfare. Elle avait sauté dans un train, à bout de souffle et les jambes molles. Retirer son bonnet lui avait attiré le regard de plusieurs passagers, amusés à la vue de ses boucles indisciplinées et gonflées par la transpiration.

Son marathon venait de reprendre dans la gare centrale. Les panneaux d’indication, à la clarté douteuse, la perdaient plus qu'ils ne l'aidaient. La grande horloge qui surplombait la gare semblait se moquer d'elle et accélérer le temps.

Au bord de la crise d’angoisse, Poise se traina au stand d’informations, derrière une horde de touristes. L’incessant ballet des voyageurs lui donnait le tourni. Des parents stressés accompagnaient leurs enfants vers les départs en colonie de vacances. Poise grimaça devant le son émis par l’un des gamins, agrippé à la jambe de sa mère tel un koala à sa branche d’eucalyptus. Des couples se croyaient dans une comédie romantique, s’envoyant des baisers par les fenêtres ouvertes des trains. D’autres oubliaient toute notion de pudeur et restaient ventousés à la bouche de leur partenaire.

Une agent de renseignement finit par lui indiquer le bon hall. L’elfe noire arriva en vue du quai, à bout de forces et le rythme cardiaque en désordre.

Elle vérifia la destination du train sur l’écran : “PAR Centre — PAR Grand-Ouest — PAR Plein-Sud ”.

L’aventurière en devenir souffla et composta son billet — ce qui impliqua de le tourner dans tous les sens avant que la machine daigne le poinçonner. Percluse de fatigue, elle trottina encore le long du train pour monter dans la voiture numéro 15.


Debout à la porte du wagon, Marxia se trouvait dans un état d’anxiété avancé. Elle était montée à bord du train dès son arrivée à quai. Soucieuse à l’idée de manquer le départ, elle avait fait sonner tous les réveils disponibles de son appartement. En résulta un départ précipité sous les quolibets de sa mère. Marxia avait envoyé un rapide sms à Poise pour lui signaler son avance, message qui restait depuis sans réponse.

Son cœur fit un bond et elle agita la main en direction de l’elfe noire. L’archère évita d’émettre la moindre réflexion sur l’état dans lequel elle récupéra sa partenaire. Elle l’aida à se délester de son paquetage et la précéda entre les rangées de sièges. Poise batailla pour coincer son sac dans le porte-bagage et s’effondra à sa place.

— J’ai cru… que j’allais… jamais y arriver, déclara-t-elle, le souffle court.

Deux minutes plus tard, le sifflet du chef de gare retentit et le train s’ébranla.

Marxia sortit sa feuille de route et relut le descriptif du PAR qu’elles avaient choisi :

Le Parc d’Aventure Régional Grand-Ouest offre une variété de zones pour aventuriers débutants à chevronnés. Le terrain se compose de terres agricoles, campagnes, montagnes et zones d’habitation de caractère. Les prix sont abordables et il est facile de trouver des gîtes et auberges pour aventuriers.

Nous conseillons cette zone aux aventuriers attirés par la gastronomie de terroir, les quêtes de montagnes, les cités naines typiques, l’agriculture paysanne et le cidre de pays Espéride.

Le PAR Grand-Ouest présente une position stratégique pour bifurquer vers le PAR Centre, pour les amateurs d’arts traditionnels et de cités elfiques, ou le PAR Plein-Sud, pour les aventures en mer et les cités sous-marines.

Elle se tourna vers Poise pour lui faire part de quelques remarques et la découvrit endormie, la bouche grande ouverte, des mèches folles devant le visage. La demi-elfe se cala dans son siège et regarda défiler le paysage. Rien ne la retenait plus chez elle. Elle ressentait pleinement cette soif d'aventure dont elle s'était abreuvée dans les livres depuis sa plus tendre enfance. Sauter le pas et se donner une chance dans cette voie l’emplissait d’un grand bonheur. Au diable les ménages chez les vieilles gargouilles pour se faire un peu d’argent de poche. Fini de passer ses dimanches à promener les caniches de Monsieur Dubouc, satyre lubrique, qui ne manquait jamais de lui faire une réflexion déplacée. Une nouvelle vie l'attendait, pleines de rebondissements, de rencontres et de péripéties trépidantes ! Le sourire aux lèvres, la demi-elfe se mit à somnoler, l’imagination fourmillant de quêtes épiques.


Le train arriva à destination en début d’après-midi. Le paysage forestier qui entourait la gare leur mit du baume au cœur. Au sortir du wagon, on entendait le champ d'oiseaux et l'air sentait bon la campagne. Le duo suivit la myriade d’aventuriers en herbe vers le centre d’accueil. Un doux soleil d'hiver accompagnait les nouveaux-venus sur le chemin de terre battu. Le bâtiment dont elles s'approchaient ressemblait à un office du tourisme. À l'intérieur elles découvrirent un long comptoir d’accueil, des écrans qui diffusaient des spots publicitaires sur les activités du moment, et les sempiternels présentoirs de brochures colorées.

Une jeune elfe dans l'uniforme vert pomme du PAR les invita tous à pénétrer dans la salle vidéo. Les deux amies prirent place sur des strapontins rembourrés au moment où le film se relançait.

Un nain apparut à l’écran. Derrière lui défilaient de grandioses paysages de montagne et l'on entendait, en fond sonore, le gargouillement d'un torrent. Le nain aux biceps travaillés lissa sa barbe soigneusement taillée. Un reflet passa sur les verres de ses lunettes à monture moderne.

— C’est vraiment devenu un gros hipster ! chuchota un semi-gobelin de la rangée de derrière.

La célébrité se mit à débiter son texte.

— Bonjour à tous, je suis Martial Beldur, de la compagnie des Sprinters Furtifs. Comme vous, je me suis tourné vers une carrière d’aventurier, dont vous connaissez certainement les exploits.

— Woua l’autre, ricana le semi-gobelin.

— Après des années de quêtes, j’ai décidé de me réorienter. Aujourd’hui, j'accueille les nouvelles recrues, en plus de mes activités visant à améliorer la qualité de vie des peuples nains dans le Parc d’Aventure Régional Grand-Ouest. Les bourgs que vous vous apprêtez à découvrir sont labellisés village d’aventure traditionnel. Ils vous feront profiter d’un patrimoine préservé, que nous nous employons à valoriser au niveau national.

Martial Beldur prit l’air grave d’un acteur qui s’apprête à défendre une cause.

— Nous sommes victimes de la réduction des zones d’aventures. Chaque année, nous déplorons la disparition de nombreuses espèces de la faune et de la flore locale, mais également, l'annihilation de modes de vie traditionnels. Vous avez choisi d’être aventurier. La protection de cet héritage est VOTRE devoir.

Il appuya son propos d’un regard charismatique vers l’objectif, accompagné d’un index tendu vers son auditoir.

— Renseignez-vous scrupuleusement sur les espèces végétales et animales que vous avez le droit de collecter en tant que butin de quête. Toute récolte provenant d’espèces protégées vous vaudra des amendes pouvant aller jusqu’à la confiscation de votre carte d’aventurier.

Les filles échangèrent un regard inquiet.

— Nous vous demandons de nous signaler tout acte de braconnage donc vous pourriez être témoins. Dans chaque ville, un bureau référence les quêtes homologuées de la zone. Des cartes sont à votre disposition au centre d’accueil. Étudiez-les avec attention. Ne vous surestimez pas, un accident est vite arrivé.

Il tapota son bras musculeux, sur lequel apparaissait, entre autres tatouages, une vilaine cicatrice blanche.

— Consultez également votre contrat d’assurance et votre mutuelle d’aventuriers. Vérifiez sous quelles conditions vous pourrez être soigné et rapatrié. Nous vous rappelons que le code des aventuriers a été révisé. Il est interdit de tuer volontairement un autre aventurier. Désarmer et immobiliser est admis, mais en aucun cas un coup fatal ne peut être porté. De même pour les créatures légendaires. Veuillez vous référer au répertoire mythologique afin de savoir quelles créatures peuvent être capturées et lesquelles bénéficient de protections. Je vous rappelle que l’accomplissement de quêtes mettant en avant votre prérequis principal doublera vos points d’aventures. Pour toutes informations supplémentaires, n’hésitez pas à vous rendre au centre d’accueil le plus proche. Je vous souhaite des aventures épiques au sein de notre parc !

Martial Beldur lança un clin d'œil avec classe, la musique mourut et l’écran redevint noir.

Un compte à rebours se mit en marche pour indiquer la prochaine séance.

— Ça fait pas mal de choses à retenir, conclut Marxia, qui se grattait la tête avec perplexité.

Elles se levèrent et longèrent les rangées de sièges. Une jeune femme resta assise, griffonnant avec frénésie sur un carnet toutes les consignes de Martial Beldur.

— Ça devient n’importe quoi ! s’emporta Poise. Quelles quêtes on peut faire si marcher sur la moindre marguerite est interdit !

— Je pensais que ça te ferait plaisir, toi qui hurle dès que quelqu’un arrache un trèfle avec la racine., s’amusa sa comparse.

Un bouchon s'était formé à la sortie de la salle vidéo. Elle prirent leur mal en patience le temps que les plus bas de plafond daigne se ranger en file indienne.

— Non mais… se radoucit l’elfe noire. Je trouve ça bien, évidemment, de protéger la nature et tout ça, mais je comprends mieux pourquoi c’est difficile de vivre de l’aventure. J’ai plutôt l’impression d’être dans un lieu touristique pour faire des randonnées et aider les paysans du coin à planter des navets.

Un bruit leur indiqua que le crayon de la nerveuse venait de céder sous la pression. La jeune femme fondit en larmes.

— Oh la pauvre… compatit Marxia. Allez, on ne va pas perdre le moral nous aussi. On n’a qu’à avancer jusqu’à la première ville, et puis, on verra bien. Déjà, il faut se procurer tous les documents dont Martial Beldur a parlé.

Elle tapota son avant-bras de son index, sur lequel elle avait pris des notes au stylo bleu. Poise ne put s'empêcher de sourire. La bonne humeur de son amie était communicative. Elles réajustèrent leurs lourds sacs sur leurs épaules, prêtes à en découdre avec les présentoirs de dépliants.

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