En terrain concret

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— Tu le connais Martial Beldur ? demanda Poise alors qu'elles sortaient enfin de la salle vidéo.

— Oui, j’en ai entendu parler. Sa compagnie a battu le record de pistage en haute montagne. C’était plus des athlètes que des aventuriers. Il a créée une association, “Tous pour nains”, qui est très connue et vraiment active. Il est bien apprécié dans la communauté naine.

Les filles s’appliquèrent à éplucher la forêt de brochures. Divers livrets informatifs terminèrent dans leurs sacs à dos, déjà bien remplis.

L'astre solaire palissait dans le ciel quand elles retrouvèrent l'air libre. Des aventuriers enthousiastes s'engageaient sur la route qui menait au cœur du parc. On entendait des rires et des conversations, ainsi que les échos des premières disputes au sein des compagnies : "Non mais Mickael t'as le sens de l'orientation d'un minotaure, tu vois bien que la boussole indique le Nord !"

Les deux amies se dénichèrent un banc pour consulter leur carte flambant neuve.

— Je suppose qu'on se trouve à cet endroit, indiqua Marxia.

— C’est le gros point rouge avec la mention “vous êtes ici” qui te fait dire ça ? répliqua Poise.

La demi-elfe prit un air concentré et agita sa carte pour se donner une contenance.

— A priori, la zone alentour se compose de plaines et de villages, ce qui est idéal pour les ravitaillements et les quêtes de débutants ! s’enthousiasma-t-elle.

Elle prit le temps de déchiffrer la légende avant de préciser :

— Il y a des zones boisées à proximité, mais il faut faire attention aux voleurs et aux animaux sauvages.

Poise n’était pas pressée de se faire dépouiller, ni de tomber sur un sanglier géant, aussi mit-elle de côté l’idée d’explorer la forêt. Elle préférait se faire la main sur quelques missions pour novices.

— Je propose qu’on évite le premier village. Il va être pris d’assaut par les accros du shopping et de la bière, déclara-t-elle.

— Je te rappelle que la spécialité locale est le cidre de pays Hespéride, répliqua Marxia d’un air savant. D’ailleurs, j’ai pris un dépliant sur les visites guidées dans les cidreries et je…

Poise sauta sur ses pieds et s'éloigna d’un pas énergique. L’archère, boudeuse, marcha sur ses talons. Tout en cheminant, la demi-elfe se plongea dans la lecture d’un livret d’explication sur les points de quête.

Les premiers villages acceptaient l’argent civil. En dehors de cette zone, les consommations devraient être payées en unités locales : les points de quêtes. Ceux-ci se trouvaient transférés sur les cartes d’aventuriers dès la réussite d'une mission.

À titre d’exemple, deux cent points de quêtes gagnés correspondaient à deux cents unités à dépenser. Récolter des points permettaient également aux aventuriers de passer les différents paliers d’expérience. La carte indiquait en permanence le nombre de points total — additionnés jusque là — et le nombre d’unités à dépenser — en soustrayant les achats au fur et à mesure.

Les paliers étaient référencés comme suit :


50 points : première récolte — palier bleu

100 points : rapine facile — palier vert

500 points : butin novice — palier rose

1000 points : pillerie satisfaisante — palier violet

5000 points : joli pactole — palier rouge

10 000 points : début de richesse — palier orange

50 000 points : conquête — palier jaune


La plupart des aventuriers ne dépassaient pas la pillerie satisfaisante.

La carte prenait la couleur du palier de son propriétaire, ce qui permettait aux commerçants et chasseurs de têtes de savoir en un coup d’oeil à qui ils avaient à faire.

— Les deux premiers niveaux ont l’air faciles à passer, ensuite, ça doit se corser, supputa Poise.

— Quand tu atteins le dernier palier, tu reçois ton accréditation pour attribuer des points d’expériences, la renseigna Marxia, le nez dans sa lecture.

— Ah ouais ?

L’elfe noire fit un écart pour laisser passer une troupe féminine court vêtue. Elle leva les yeux au ciel. Les boutiques d’aventuriers mettaient toujours en avant des combinaisons pour femmes qui couvraient le moins de peau possible.

— Et ensuite, tu peux passer les concours pour devenir régisseur de quêtes, continua Marxia, absorbée par son livret.

L’elfe noire s’imaginait très bien envoyer des néophytes faire ses courses à sa place, leur vendant la chose comme une quête prestigieuse.

— Un peu de mise en scène et le tour serait joué, ricana-t-elle dans sa barbe.

— Vous allez participer à l’accomplissement du rituel du grand Tian de légumes ! Pour cela, vous devrez dénicher du fromage de chèvre de premier choix, des tomates bien mûres, ainsi que des oignons et des courgettes vertes et jaunes !

Les naïfs partiraient au triple galop, un panier sous le bras, direction le marché le plus proche.

— Poise, tu m’écoutes ?

— Hein, quoi ? répondit l’intéressée, l’image d’un plat à gratin disparaissant de son esprit.

De fins flocons s'étaient mis à tomber sur le sentier principal.

— Je te disais qu’il faut payer une licence pour ouvrir un commerce dans un PAR, ou bien atteindre le dernier palier.

Poise se lassait de tous ces détails techniques. Elle rabattit sa capuche sur ses épaisses boucles.

— Super, si jamais on veut se lancer dans la confection d’abat-jour.

— Ce que tu peux être rabat-joie, soupira sa comparse.

La première bourgade se dessinait au loin. Le seul moyen de l’éviter consistait à prendre la route du cimetière, une perspective qui ne leur effleura même pas l’esprit. Très peu pour elles les revenants, zombies, momies et autres peuplades à l’hygiène douteuse.

Comme attendue, la première ville se résuma à un amas de boutiques, restaurants et hôtellerie. Une large rue principale permettait de faire ses achats et prendre un repas en terasse. Des guirlandes lumineuse traversaient l'artère à l'architecture singulière, puisque les commerces étaient aménagés dans d'immenses tonneaux, qui chariaient dans l'air une odeur de bois.

— Ça vient des cidreries, la marque Hespéride s'investit beaucoup dans l'entretien du parc, cria Marxia à son amie, pour couvrir le brouhaha des hordes de touristes, occupées à parler fort et faire les magasins.

Des grappes de jeunes aventuriers exhibaient leurs équipements neufs au milieu du passage et des familles en vadrouille mordaient à pleine dent dans des casse-croûtes. Malgré son côté agoraphobe, Poise devait bien reconnaître que l’allée commerçante donnait vite faim. Des odeurs diverses venaient chatouiller les narines du promeneur, des vendeurs à la sauvette hélaient le chaland de toutes parts et des serveurs proposaient des dégustations aux portes des auberges. Elles attrapèrent des minis pizzas sur le plateau d'une naïade en scaphandre. La version végétarienne, aux algues, laissa à Poise un goût infect dans la bouche.

La migraine les taraudait au milieu de cette cohue et elles se hâtèrent d'acheter un encas. Après avoir arraché Marxia à un démonstrateur, qui vantait les mérites de sa râpe à fromage incassable, elles retrouvèrent la campagne.

Poise arborait le sourire d’une personne venant de gagner le panier garni à la loterie.

— Mes deux premiers points de quêtes ! Super ! s’exclama-t-elle, une gaufre à la main.

— Tout ça pour avoir acheté de la nourriture ? bouda Marxia, qui n’avait rien reçu avec sa crêpe au chocolat.

— Merci ma super spécialité ! chantonna Poise, la bouche pleine. J’ai fait remarquer à la nana que ça ne servait à rien d’essayer de me refiler une gaufre aux framboises, parce que ça n’est pas la saison des framboises, et paf, deux points de quêtes !

Elle effectua quelques pas de danse ridicules et du sucre glace tomba sur son manteau.

— Alors, si je lui avais dis que sa pâte à crêpes avait des grumeaux, j’aurais eu des points aussi ? s'enquit Marxia.

— Si tu avais pris la spécialité pâtisserie, sans doute. En plus, elle m’a appris un truc utile. Quand on voit quelqu’un qui a une agrafe en forme de pièce sur son uniforme, c’est qu’il a la licence pour attribuer des points de quêtes.

La demi-elfe, qui avait passé une heure à potasser son livret sur les points de quêtes, s’indigna aussitôt :

— Je croyais qu’il fallait atteindre le dernier palier ?

— Apparemment tu peux payer une licence à la place. Ça permet d’attirer plus d’aventuriers dans ton échoppe.

Un panneau annonça au binôme deux heures de marche pour atteindre la ville où elles souhaitaient passer la nuit. Elles mangèrent leur collation en chemin, longeant les enclos des animaux d’élevages, qui paissaient sous un rideau de flocons immaculés.

— Où est-ce qu’on va trouver des quêtes qui mixent la connaissance des légumes et le tir à l’arc ? questionna Marxia, appuyée sur la clôture d’un pâturage pour extraire un caillou de sa botte.

Non loin, un vieux fakir en lévitation ouvrit une paupière, s’assurant que les aventurières n’en avaient pas après son troupeau de vaches, aux cornes démesurées.

— Alors là, j’en sais rien. Peut-être qu’on peut organiser un concours de tir dans des pommes de saison ? proposa Poise, moqueuse, qui tenait Marxia par la manche pour ne pas qu’elle s’étale. En parlant de ça, tu as emporté ton arc de mongole ?

— Mon arc Moghol, rectifia l'archère. Oui, je l’ai pris, mais je n’ai pas assez de pratique avec. Je vais continuer de tirer avec mon ancien.

La demi-elfe se baissa pour lacer sa chaussure, tandis que passait un semi-géant et son groupe d’oies, qui cacardaient avec véhémence.

— Tu parles de celui qui fait un bruit ridicule chaque fois que tu tires une flèche ?

— Oui, je n’ai que celui-là de rechange.

— Super… soupira l’elfe noire, le regard fixé sur un cyclope dans un champ en jachère, qui jouait au frisbee avec un chien à trois têtes.

Après une bonne heure de marche, une fermière avec un chapeau de paille les héla en agitant la main.

— Bonjour mesdames, cria-t-elle. J’aurais besoin de renforts pour m’aider avec mon champ de carottes.

— Poise, elle a l’insigne en forme de pièce sur sa salopette ! chuchota Marxia, surexcitée.

— Oui, j’ai vu, comportons-nous de manière professionnelle, souffla l’elfe noire entre ses dents.

La femme arriva à leur hauteur et retira ses gants de travail pour leur tendre la main.

— En quoi pouvons-nous vous être utile ? demanda Poise en se faisant broyer les phalanges.

— Mon champ est grand et les lapins nombreux. J’aurais bien besoin d’une aide agricole et d’une autre pour la surveillance.

La fermière retira son chapeau et passa une main lasse dans ses cheveux blonds. De son côté, Marxia souriait de toutes ses dents.

— Ça tombe super bien ! Ma compétence est le tir à l’arc et celle de mon amie concerne les cultures !

La femme remit son couvre-chef en place.

— À la bonne heure ! s’enthousiasma-t-elle. Alors, ça vous intéresse ?

— Euh oui… répondit Poise avec prudence. Seulement, c’est notre premier jour et l’après-midi est bien avancée.

Surprise, la fermière leva le nez vers le ciel qui s’assombrissait. Sa journée avait filé à une vitesse vertigineuse.

— Il est si tard que ça ? Dans ce cas, pas de souci, retrouvons-nous demain, de bon matin. Je vous donnerai deux points de quêtes chacune et je les doublerai si vous vous montrez habiles avec vos talents respectifs.

Marxia se retint de crier de joie.

— Olala mais c’est génial ! À demain alors !

Une fois la fermière hors de vue, les deux amies se tapèrent dans la main.

— On vient juste d’arriver et on nous offre une quête sur un plateau d’argent ! Alors, c’est qui les aventurières ? s’emporta Poise.

— Quelques jours à faire des missions de ce genre et on pourra avancer dans une autre zone de la carte, celle avec des quêtes plus prestigieuses !

— Attend, tu vas défendre un champ de carottes contre de terribles lapins, c’est pas rien !

Elles pouffèrent et avancèrent avec bonne humeur jusqu’aux premières maisons du village.

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