Chapitre 8

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Le week-end passa. Lysandre tournait en rond dans sa chambre d'hôpital. Il se sentait seul et abandonné par son ami. Et en même temps, il pouvait comprendre qu'il garde ses distances. Yanel, lui, se trainait d'une pièce à l'autre de la maison comme une âme en peine. Il hésitait toujours entre aller à l'hôpital ou non.

Puis, le lundi matin arriva.

Gwen refusa de laisser son fils aller en cours, mais sur l'insistance de ce dernier, elle céda, et le déposa tout de même devant le lycée, avant d'aller à son cabinet. En marchant dans la cour, Yanel sentit les regards des autres élèves glisser sur lui. Il serra les poings, avançant malgré tout. Lorsqu'il entra dans la salle du premier cours de la journée, il vit un petit groupe au fond de la classe s'éparpiller lentement en le voyant. Il découvrit la raison de ce rassemblement : Lysandre était là, il stoppa net. Il n'imaginait pas qu'il serait déjà de retour en fait.

Soudain le silence se fit. Les deux amis se regardaient intensément. Ceux qui étaient encore proche de Lysandre crurent l'entendre gémir, c'était à peine audible mais réel. Est-ce que Yanel l'entendit aussi ? Nul ne le sut vraiment, en tout cas, il s'avança un peu. La tension était presque palpable. On aurait pu croire assister à un duel. Lysandre avait fait un pas en avant, comme un appel, une invitation, il suppliait. Il suppliait Yanel en fait de venir vers lui, de lui accorder son pardon. Puis, soudainement, Yanel traversa rapidement la salle de classe jusqu'à Lysandre et sans dire un mot, le pris dans ses bras. Ils ne s'étaient pas appelés de tout le week-end. Aucun des deux n'avait osé le faire bien qu'il en mourrait d'envie et surtout, ils avaient eu peur de la réaction de l'autre. Lysandre murmura à son oreille :
- Je vais répondre à ta question...
- Pas maintenant. Plus tard, oui, mais pas tout de suite. Fit Yanel le serrant un peu plus fort, il voulait profiter de cet instant au maximum.
Ils relâchèrent leur étreinte juste au moment où entrait le professeur de biologie suivi du Proviseur. Yanel et Lysandre prirent leurs affaires.

Le proviseur marchait devant eux, silencieux. Il ne jeta même pas un regard par-dessus son épaule pour vérifier qu'au moins ils le suivaient. Ce ne fut qu'une fois qu'il ouvrit la porte de son bureau, qu'il se tourna enfin vers eux :
- Asseyez-vous ! Il leur proposa la table de réunion, juste à côté du bureau.
Ils s'installèrent et durant de longues minutes, le silence régna. Finalement, Mésant s'adressa à Lysandre :

- Je voudrai commencer par te dire que je suis profondément navré pour ce qui est arrivé à tes parents, à toi. Je peux comprendre ta peine, car ... il y a deux ans, ma femme et mon fils ont eu un accident de voiture. Mon fils est décédé sur le coup, et ma femme sortie indemne, s'est suicidée l'année dernière, juste avant Noël, désespérée d'avoir survécu.

Mésant repris son souffle ; le fait d'exprimer ce souvenir le bouleversait visiblement et il prenait sur lui pour continuer.
- Quand on m'a dit ce qui s'était passé, entre Stephan Gressin et toi, et surtout sa remarque, j'ai pris les dispositions qui s'imposaient. Il est renvoyé jusqu'à la fin de l'année scolaire. Je ne veux plus en entendre parler.

Il regarda Lysandre attentivement, puis demanda :

- Maintenant, j'aimerai savoir comment tu vas ...
Complétement déstabilisé par la confidence que venait de leur faire le Proviseur, Lysandre ouvrit la bouche mais aucun son ne sorti. Sous la table il sentit la main de Yanel prendre la sienne et la serrer, en signe de soutien.
- Je vais bien, je crois. Il regarda Yanel qui lui tenait toujours la main.
- Je veille sur lui, autant que faire se peut ... Ajouta ce dernier.
- C'est très bien, il faut vous soutenir. Je crois savoir que tu as sauvé sa vie, n'est-ce pas ?

Yanel sentit cette fois que c'était la main de Lysandre qui serrait la sienne :
- Oui, ... j'ai cru que tout était perdu, mais heureusement, je suis arrivé à temps, avec sa tante.
- Vous avez subi un choc tous les deux. Prenez soin de vous deux, d'accord ?
- Oui, firent-ils d'une même voix.
- Bien, restez ici, je dois voir ma secrétaire, j'ai fait préparer un bon de sortie pour tous les deux. Vous rentrez-chez vous et vous revenez la semaine prochaine.
- Pour les cours ? On ...
- Je m'en suis occupé avec les professeurs, ne vous en faites pas, les cours vous seront transmis. Ce qui compte à présent c'est de vous remettre de tout cela, et ... de faire le point entre vous aussi...
Soudainement, les deux amis eurent l'impression qu'il ne parlait pas seulement de la tentative de suicide de Lysandre. Mésant n'était pas aveugle, non, bien au contraire, et il serait temps que d'autres ouvrent leurs yeux...

Restés seuls, les deux jeunes gens se dévisagèrent quelques secondes, puis Lysandre dit :

-Qu'est-ce qu'il a voulu dire par là ?

Mais Yanel n'eut pas le temps de répondre, déjà Mésant revenait avec deux feuilles à l'en-tête du lycée.

- Voilà pour vous deux. Je vous libère à présent. Je reste à la disposition de ta tante et de tes parents s'ils ont des questions, s'ils souhaitent venir me voir, qu'ils n'hésitent pas.

-Entendu, fit Yanel en se levant.

Avant de le suivre, Lysandre s'adressa au Proviseur :

- Je suis désolé pour votre famille, dit-il d'une voix faible. Il regarda bien Mésant dans les yeux en lui serrant la main et il ajouta :

- Merci pour tout.

Mésant hocha la tête sans rien dire, l'émotion était trop grande à ce moment-là. Il ne s'était pas attendu à revivre ces douloureux moments, pas ainsi. Certes, tout le monde savait pour la mort des parents du lycéen. Quand tous les journaux locaux en avaient parlé, Mésant pensa vivre un mauvais rêve... En fait, Lysandre lui rappelait beaucoup son propre fils.

Les deux amis quittèrent l'enceinte de l'établissement et sans trop réfléchir, leurs pas les menèrent chez Yanel. Ils se réfugièrent dans sa chambre. Yanel fatigué s'allongea sur son lit. Lysandre resta devant la fenêtre. Fixant un point invisible, quelque part dehors, de l'autre côté de la vitre, il dit d'une voix basse, presque dans un murmure :

- Je vais répondre à ta question. Il se sentait fébrile, et son cœur battait très vite, tambourinant dans sa poitrine, au point que c'en était douloureux. Yanel s'était levé alors et l'avait rejoint. Assis sur le rebord de la fenêtre, il lui faisait face à présent.

Lysandre plongea son regard dans le sien et commença :
- Il faut que tu saches que je n'ai jamais voulu te faire du mal, jamais... Je te dois une explication, et ensuite, peut-être tu me pardonneras... Non, ne dis rien, écoute-moi jusqu'au bout. Il avait levé une main pour poser son index sur les lèvres de son ami. Laisse-moi parler, s'il te plaît ... Yanel hocha la tête, l'encourageant à continuer.
- Le fameux soir de l'accident, en rentrant, mes parents et moi nous avons senti l'odeur de fumée dans le garage en garant la voiture. On se demandait d'où cela pouvait venir, on n'avait pas de cheminée allumée, rien, et pourtant, on sentait bien que c'était une odeur forte, de fumée, de ... feu... Mes parents allaient sortir du garage, mais, je ne sais pas pourquoi, dans la précipitation, on avait égaré la télécommande, impossible d'ouvrir la porte du garage qui s'était refermée, même manuellement... J'étais près de la porte qui donnait sur le cellier et je l'ai ouverte, c'était la seule issue selon moi, je n'ai pas réfléchi, ... mais avec l'appel d'air, tout s'est embrasé, on s'est réfugié où on a pu en retrait, derrière la voiture sans penser à la bombonne de gaz qui était stockée près du cellier... Et tout a explosé ... même la voiture ....

Lysandre respirait difficilement, raconter ce souvenir lui en coûtait énormément. Sa gorge se bloqua, il ne pouvait plus déglutir, la panique commença à s'emparer de lui, il revivait chaque seconde de ce drame. Il senti alors l'une des mains de Lysandre presser doucement son avant-bras, réconforté, il reprit :
- Tous les jours, je me dis que si je n'avais pas ouvert cette porte ... ils seraient encore vivants... J'ai voulu mourir une demi-douzaine de fois depuis, ... je m'en veux tellement ... Et quand Stephan a parlé de ma mère, c'est comme s'il me jetait à la figure ma culpabilité. Ça m'a rendu fou. Je n'étais plus moi-même, et surtout, je ne pensais qu'à une chose, en finir. Survivre alors que par ma faute, ils...
- Non... ne dis pas ça ! L'interrompit Yanel. Ce n'est pas de ta faute, tu as agi par instinct, personne ne peut te reprocher quoi que ce soit ! Il s'était levé sous le coup de sa remarque et l'avait pris par les épaules.

Lysandre poursuivit, comme s'il ne l'entendait pas, comme s'il ne le voyait pas :
- Quand je suis rentré hier, après avoir été au cimetière, et après t'avoir parlé, je ... ne voyais que cette solution pour ne plus avoir mal, tu comprends ? Et tu m'as sauvé ... tu m'as sauvé, alors que je voulais mourir ....Je ne savais pas que c'était toi qui m'avait trouvé dans la salle de bain... on s'était quitté au bas de l'immeuble... je n'ai pas imaginé que tu puisses monter à l'appartement ....je ne l'ai appris que le lendemain quand Martine est venue me voir ... Je suis tellement désolé, ça a dû être horrible pour toi ... Pardonne-moi...

Pour toute réponse, Yanel le pris dans ses bras pour le serrer aussi fort qu'il le pouvait. Peut lui importait la douleur à l'épaule, seul comptait que Lysandre soit là.
- Je te pardonne, murmura Yanel, je te pardonne. Je t'aurai maudit pour le reste de ma vie si tu étais parvenu à mourir. J'ai eu peur quand je n'ai pas eu de réponse à mes appels. Quand j'ai enfin réussi à défoncer la porte, je ne savais pas trop comment j'allais te retrouver. L'eau coulait dans la baignoire, je pensais que tu serais dedans et ... Je t'en ai voulu oui, et comment... Et à moi-même pour ne pas avoir su t'en empêcher. Je pensais que tu savais que c'était moi qui t'avais trouvé. Je suis navré d'avoir été si brusque à l'hôpital, mais j'étais hors de moi. Tu m'en veux ?
- Non, pas du tout. Je ne t'en veux pas... Est-ce que tu me déteste toujours ?

- Non, je ne t'ai jamais détesté... « Bien au contraire ... »

Ils se dévisagèrent un moment, comme s'ils cherchaient à sonder l'autre, à savoir s'ils s'étaient tout dit, puis Yanel encore hypnotisé par le regard doré de Lysandre, dit à mi-voix :
- Il faut qu'on prévienne Martine et mes parents qu'on n'est pas en cours...
- Oui, tu as raison. Lysandre battit des paupières et rompit le charme.

Ils prirent leurs portables :
- Il parlait de quoi Mésant en disant qu'on devait faire le point ? Fit Yanel en envoyant un sms à son père.
- Sans doute de l'explication qu'on a eue juste là... Voilà, j'ai prévenu Martine.

Yanel remarqua alors que les bandages de ses poignets étaient tachés de sang.

- Viens, je vais regarder ça de plus près, ...

A midi, les parents de Yanel débarquèrent à la maison. Eux qui avaient voulu garder leur fils à la maison, et qui sur son insistance, l'avaient laissé aller en cours, le voyaient revenir avec une autorisation d'absence signée par le Proviseur, un comble !
- Je voulais vous voir et vous expliquer mais ...
- Ne t'en fais pas, c'est fini à présent, tout va s'arranger... Et Aymeric pris Lysandre dans ses bras. Il sentit très nettement l'adolescent trembler de tout son corps.
Il échangea un regard avec sa femme qui tenait leur fils contre elle. Il fallait redoubler de prudence à présent. Au moins les deux amis avaient fait la paix, c'était déjà beaucoup.

Ils déjeunèrent tous les quatre. Martine avait appelé Lysandre entre temps pour lui dire qu'elle rentrerait du travail plus tôt. Du coup, les garçons décidèrent d'aller la voir.
Ils passèrent devant le lycée en s'y rendant, et croisèrent quelques élèves de leur classe. Notamment Léo :

- Salut !

- Alors, comment ça va ?

- On fait aller, répondit vaguement Yanel.
- J'imagine ... vous ne revenez pas en cours ?
- Non, plus cette semaine. Lundi prochain.
- Pour les cours, je peux vous filer mes notes si vous voulez.
- Apparemment les profs sont sensés nous donner ce qu'il faut, mais, la version « élève » est précieuse aussi.

- Ok. Je vous apporte ça en fin de semaine, disons vendredi après le déjeuner.

- Ça marche !

En prenant le bus pour aller chez Martine, les garçons restèrent silencieux. En fait ils étaient fatigués, par tous ces évènements passés. De temps en temps Lysandre avait des vertiges, mais très légers et Yanel peinait avec son épaule encore douloureuse malgré les crèmes et autres comprimés anti-inflammatoires qu'il prenait. Le trajet fut rapide, ils sortirent du bus climatisé et accusèrent le coup avec la chaleur du début d'après-midi de cette journée de mai. En entrant dans l'appartement ils apprécièrent sa fraîcheur. Le contre coup de ces variations de température les acheva.

- Je suis vanné, dit Yanel en baillant.

- Moi aussi. Répondit Lysandre et en disant cela il s'était allongé sur son lit. Yanel le rejoignit et en quelques minutes ils s'endormirent. Dans leur sommeil, ils se blottirent instinctivement l'un contre l'autre. Au bout d'une heure, Lysandre commença à s'éveiller, et prenant conscience de leur position, il ne bougea pas. Il pouvait sentir les battements de cœur de Yanel contre son flanc. Le souffle de son ami était régulier, il dormait paisiblement. Alors il tenta une manœuvre pour se redresser. Yanel bougea alors, privé du contact avec Lysandre, il eut un frisson. Il entre ouvrit les yeux et le vit un peu penché au-dessus de lui. La proximité de leurs visages les troubla, encore. Mais cette fois, Yanel ne pouvait pas faire un pas en arrière...
Il leva juste une main et la posa doucement sur la joue blessée de Lysandre. Il laissa ses doigts glisser le long de la cicatrice, descendre jusqu'à la commissure des lèvres, aller sur sa nuque pour se perdre dans ses cheveux. Bercé par cette caresse, Lysandre il dit simplement :

-Tu crois que c'est de cela dont parlait Mésant ?

Yanel eut un petit sourire en coin et hocha la tête.

- Je pense que oui. Et toi ?

- Je pense qu'on n'a pas besoin d'en parler... Il avait bougé cette fois pour se caler contre Yanel. Lovés l'un contre l'autre, comme deux chats, ils profitèrent de ce moment, bientôt Martine arriverait.

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