Chapitre 6

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Le Proviseur était un homme d'une quarantaine d'années, grand de taille et plutôt d'allure sportive. On racontait qu'il avait d'abord été professeur de sport justement, au début de sa carrière, et qu'une vilaine blessure l'avait contraint à se réorienter dans un autre domaine que l'enseignement sportif. C'est à partir de là, qu'il fut tour à tour, conseiller d'orientation, adjoint au Proviseur, puis Proviseur tout court.
Il avait les traits assez sympathiques, et pour autant que pouvait en juger Yanel au moment où il entra dans son bureau, il ne semblait pas dans une colère noire... Cela le rassura un peu et puis, étrangement, ce type lui rappelait son père ...
- Bien ... je suis ravi de vous rencontrer monsieur Gautier. Je me présente : David Mésant, votre Proviseur, si vous ne me connaissiez-pas.
- Bonjour, répondit poliment Yanel. Il ne savait pas trop sur quel pied danser pour le moment. Il semblait que le Proviseur fasse de l'humour, mais il ne se permit pas de sourire. Mésant lui fit signe de s'asseoir sur l'unique chaise face à son bureau. Il s'installa dans son fauteuil, planta son regard dans celui du lycéen et dit :
- Je vais aller droit au but, parce que j'ai autre chose à faire que des remontrances à des gars de 18 ans... J'ai eu vent d'un coup de tête que vous a donné Stephan Gressin. D'ailleurs ça se voit bien... Donc, je vous propose ceci : je passe l'éponge exceptionnellement cette fois. Parce que c'est la première fois et j'entends que ce soit la dernière. Une récidive, et je me moque de savoir qui a commencé, et vous êtes exclu pendant deux semaines. Entendu ?
- J'ai compris monsieur. Merci. Yanel était très impressionné, le Proviseur en imposait.
- Bien. Je suis ravi de l'entendre. Vous pouvez retourner en cours.
Yanel se leva et sorti. L'entretien avait duré moins de dix minutes. Mais il avait l'impression d'avoir subi un examen de deux heures....

Il trouva Lysandre assis sur les marches de l'entrée du bâtiment.
- Déjà ? Ça a donné quoi ?
Il était huit heures et demie... et leur premier cours ne débutait qu'à neuf heures, ils allèrent au foyer pour tuer le temps.
- Alors ? S'impatienta un peu Lysandre.
- J'ai évité l'exclusion de justesse. Il nous laisse une chance.
Lysandre siffla et hocha la tête :
- Magnanime le Proviseur.
- Un sacré charisme surtout. Il m'a impressionné. Je ne sais pas comment il arrive à faire ça, mais ... il m'a fait penser à mon père. Calme, posé, mais dans le regard, ce truc qui te cloue sur place.
- Tu t'en sors bien. Et j'imagine que Stephan a eu la même faveur ?
- Il ne l'a pas précisé... je m'en moque, en ce qui le concerne ! Enfin, c'est passé... et toi ? Quoi de neuf ?
Lysandre résuma sa soirée avec Martine. Yanel trouva très bien le fait qu'ils fassent connaissance enfin... Il lui trouva cependant une petite mine. Il savait ce par quoi son ami passait, il faisait de son mieux pour le soutenir. Il sentait que Lysandre n'allait pas bien du tout, malgré les apparences.
- C'est l'heure, soupira Yanel en regardant sa montre. On y va ?
Il s'étonna de voir soudainement son ami presque hilare. Lysandre ne put s'empêcher de rire en voyant leur reflet dans la vitre du foyer.
- Tu décompresses ou quoi ?

- Je me dis qu'on fait une belle paire toi et moi, au vu de nos têtes !
Yanel le regarda incrédule puis se mit à rire aussi : en effet, l'un avec sa cicatrice et l'autre avec son œil au beurre noir, ils faisaient peur à voir.
C'est avec un sourire aux lèvres qu'ils entrèrent en salle de classe, sous le regard ahuri de Stephan et de tous les autres élèves.
Plus complices que jamais, ils furent dissipés durant le cours, et manquèrent plusieurs fois de se faire sermonner. Chaque action, ou mot venant du professeur de philosophie provoquait un fou rire. La délivrance fut à onze heures, quand ils purent enfin quitter la salle de classe, pour enfin rire sans retenue dans le couloir.
Certains élèves souriaient par la force des choses, car leur bonne humeur était communicative. Et puis, il fallait être honnête, cela faisait longtemps que ces deux-là affichaient une mine sombre et grave. Leurs sourires, leurs rirent avaient presque le pouvoir l'alléger l'atmosphère dans leur classe.
D'ailleurs, leur hilarité était telle qu'ils titubaient en marchant et en se tenant les côtes.

Prendre l'air les calma un peu. C'est à ce moment-là que Stephan se planta devant eux.
- Au risque de vous paraître curieux, j'aimerai savoir ce qui vous a fait marrer pendant le cours ?
- Tu es très curieux en effet... commença Yanel, sur le ton de l'ironie. Il se retint de lui clouer le bec de manière plus directe, car la voix du Proviseur résonnait encore dans sa tête.
- Alors ? Insista Stephan en faisant un pas en avant, le regard soudain menaçant. Lysandre s'avança à son tour, se positionnant entre eux :
- Il vaut mieux en rester là. Dit-il simplement en les regardant tour à tour. Yanel soutenait le regard de Stephan, et il n'avait pas l'intention de baisser les yeux.
- Tu as besoin de ton petit copain pour te défendre ? C'est mignon !
- Il n'a besoin de personne, mais toi en revanche tu cherches l'exclusion !
- Ta gueule Frankenstein ! Dégage d'ici, j'entends ta maman t'appeler, ah mais non en fait, elle ne peut plus !
Lysandre réagit immédiatement. Le coup de poing parti et terrassa littéralement Stephan qui tomba en arrière.
- Non ! Cria Yanel quand il vit que Lysandre allait se jeter sur le type déjà à terre. Il le retînt de justesse avant qu'il ne lui assène encore des coups de pieds.
- Arrête, Lysandre, arrête ! Calme-toi !
Stephan se releva en frottant sa joue.
- Merde tu réalises ce que tu viens de dire connard ? Yanel était hors de lui et luttait pour contenir Lysandre qui se débattait pour se libérer de son étreinte.
- Dégage d'ici tout de suite, et c'est un conseil d'ami là ! Lâcha Lysandre soudain, d'une voix sourde et menaçante. DEGAGE !!!
Stephan sursauta et tourna les talons, penaud, en se frottant la joue. Les quelques élèves qui avaient assisté à la scène étaient pétrifiés également. Pour la plupart, ils faisaient partie de la même classe que Yanel et Lysandre, et ils étaient bien au courant du drame qu'avait vécu leur camarade. Certains ne purent se retenir d'insulter Stephan et d'autres, de féliciter Lysandre pour sa réaction.
D'ailleurs ce dernier tremblait encore sous le coup de l'émotion qu'il venait de vivre. Yanel l'entraîna dans un coin, le cœur battant la chamade. Tout s'était passé si vite, il n'avait rien pu faire pour empêcher Lysandre de réagir. Même si au fond de lui, il l'approuvait, ce qu'il redoutait à présent, c'est que son ami puisse céder à cette colère, cette violence, si une telle situation se reproduisait car il ne l'avait jamais vu dans une telle rage. Il jeta rapidement un œil vers Stephan qui s'était retourné aussi pour les regarder. Il n'en menait pas large, choqué, lui aussi visiblement. Quand Yanel voulut parler à Lysandre, il ne le vit plus.
- Oh non ... où es-tu ? Murmura Yanel très inquiet. Il interrogea les élèves encore présents, mais aucun ne put lui dire par où était parti Lysandre.

Aussitôt, Yanel pris son téléphone. Répondeur. Il ferma les yeux et se concentra quelques secondes. Il connaissait son ami par cœur, il devait savoir où il irait se réfugier dans un cas pareil. Il se lança alors en courant à travers la ville. Prendre le bus aurait pris trop de temps, car il avait l'intime conviction qu'il fallait qu'il fasse au plus vite. Il courut comme il ne l'avait jamais fait avant, risquant plusieurs fois de se faire renverser en traversant les rues dans sa course folle. Il fut pris en chasse par une voiture de police qui manqua justement de le percuter. Il dû s'arrêter.
- Vous vous rendez-compte que vous vous mettez en danger en faisant ça ? Fit le policier qui sortit en premier du véhicule, en agitant un doigt moralisateur vers Yanel.
- Je suis désolé, ... je suis pressé ...
- On va ralentir la cadence. Papiers s'il vous plaît !
- N...Non, je dois vraiment y aller !
- Et puis quoi ? Vous avez un train à prendre ? Ironisa le gardien de la paix.
- Non, un ami à sauver. Répondit alors Yanel très grave. Sa voix trembla malgré lui et il faut dire qu'il avait vraiment l'air apeuré.
- Qu'est-ce qui se passe exactement ?

En quelques mots Yanel relata les faits.
- Je vous en prie, j'ai vraiment peur pour lui, il n'est plus lui-même, et ... j'ai peur qu'il ne commette l'irréparable.
- Où allez-vous ?
- Au cimetière Paul Cézanne.
- OK, montez dans la voiture, on y va.
Surpris, le jeune homme ne sut si c'était une blague, mais voyant le policier aller vers le véhicule, il obtempéra.
En quelques minutes, grâce à la sirène et au gyrophare, ils arrivèrent au cimetière.
Yanel s'éjecta littéralement de la voiture. Il grimpa sur le mur de l'enceinte du cimetière et de là-haut, chercha du regard Lysandre.
- Alors ? Demanda le policier, il est là ?
- Je ne le vois pas, pourtant je suis certain que ... Soudain, il l'aperçut. Il sauta du mur, cette fois, vers l'intérieur.
- Bon sang ! Grogna le policier, il a sauté dedans. Aussitôt il prit le même chemin que Yanel et le suivit.
Yanel s'arrêta à bonne distance, déjà rejoint par le policier.
- Il est là... Le policier, en voyant Lysandre, compris l'inquiétude de Yanel.

Lysandre était assis sur le gravier, devant la tombe de ses parents, le visage niché dans ses bras croisés posés sur les genoux ramenés sous son menton, complétement prostré. Il y avait encore la couronne mortuaire de fleurs en plastique posée dessus. Il releva lentement la tête, fixant les deux noms et les deux photos en médaillons juste au-dessus, et, tendit une main pour la poser doucement sur la stèle. Il pleurait.

- OK. Ça va aller ? Demanda le Policier émut.
- Oui, merci, je vais m'occuper de lui. Encore merci. Et il s'avança vers Lysandre, laissant le policier derrière lui.

Lysandre n'entendit pas Yanel arriver près de lui. Il sentit juste une main sur son épaule. Il leva les yeux, pas surpris de voir son ami :
- Je devais venir les voir tu comprends ? Ils me manquent tellement ....
- Oui, je comprends. Je peux m'asseoir ?
Lysandre hocha la tête.
- Je n'étais plus venu ici depuis leur enterrement, dit Lysandre, je n'y arrivais pas. Aujourd'hui ... aujourd'hui ... Il haussa les épaules et pencha un peu la tête de côté, avant de continuer à voix basse :
- Aujourd'hui c'est différent. Je voulais les voir une dernière fois avant de ...
- Avant quoi ? Demanda Yanel soudain effrayé.
Mais il n'eut aucune réponse. Lysandre se leva soudain et s'en alla.
- Attends !
- Je vais rentrer... chez Martine.
- Lysandre, dit Yanel en le retenant par le bras, regarde-moi, ne pars pas comme ça. Laisse-moi t'aider !

- Ne t'en fais pas, tu m'aides déjà beaucoup tu sais, mais j'ai besoin d'être seul. S'il te plaît.

« Je te laisse partir mais je reste avec toi... ». Pensa Yanel.

Lysandre dégagea son bras doucement et marcha vers la sortie du cimetière. Yanel le suivit à bonne distance, sans essayer de le rattraper. Il aperçut la voiture de police encore garée devant le portail du cimetière. Les deux policiers étaient toujours là. Voyant que les deux lycéens quittaient effectivement le cimetière, ils démarrèrent puis partirent.

Lysandre marcha des heures durant, et Yanel le suivit tout ce temps. Il était près de vingt h quand enfin ils arrivèrent devant l'immeuble de Martine. Contre toute attente, Lysandre n'y entra pas. Il s'assit simplement sur le muret à l'entrée du bâtiment et regarda Yanel. Il savait que son ami l'avait suivi toute la journée. A son attitude, Yanel su qu'il pouvait le rejoindre.
- Je suis désolé, dit Lysandre.
- De quoi ?
- Pour tout. Le coup de poing, ... ma fuite... la balade. Il eut un petit sourire en disant cela.
- Pas de problème ... tu sais que je suis là si tu as besoin de quoi que ce soit.
- Tu étais là tout le temps... merci. J'ai de la chance de t'avoir.
- Je n'ai rien fait de particulier. « Sauf être mort d'angoisse... »
- Si au contraire, tu as fait beaucoup, pour moi, c'est important.
- Je t'en prie, les amis sont là pour ça.
- « Les » amis ? Non, je n'en ai pas ... « Je n'ai que toi, et parfois ça m'effraie ... »
Yanel eu un coup au cœur, il se senti très mal à l'aise subitement. Lysandre repris pourtant en le regardant droit dans les yeux :
- Je n'ai pas plusieurs amis je n'en ai qu'un ...
Incapable de parler, Yanel le dévisagea simplement. Ils se levèrent.
- Je vais rentrer, pour de vrai cette fois ! Lysandre ne l'invita pas à monter.
- OK. On se voit demain en cours ?
- Je pense oui, sinon, je t'appelle... « Reste ... aide-moi... »
- Si tu as besoin de quoi que ce soit ..., répéta Yanel.
- Je sais, merci. A demain.

- A demain.

Et dans un même élan ils se donnèrent une accolade. Mais elle n'était pas comme celle qu'ils échangeaient en se voyant le matin, non, c'était différent, Yanel avait très nettement senti que Lysandre le serrait fort, très fort. Comme si c'était la dernière en fait. Puis, Lysandre libéra son ami et rentra.

Yanel s'en alla. Il n'osa pas se retourner pour voir si Lysandre était entré ou non dans l'immeuble. Il serra les poings, et continua son chemin jusqu'à l'arrêt du bus. En l'attendant, il se repassa mentalement toute la journée et réfléchissait. Il se sentait coupable d'avoir laissé Lysandre, il aurait dû insister pour monter avec lui. Ce matin, ça avait été tellement clair et évident, il avait eu la conviction que quelque chose de grave pouvait se passer et malgré tout, ce sentiment ne l'avait pas quitté. Sans oublier cette remarque étrange faite au cimetière : « Je voulais les voir une dernière fois avant de... »

Le bus arriva. La porte s'ouvrit, mais une force invisible empêcha Yanel de bouger. Planté là, il ne pouvait pas monter dans le bus. Le chauffeur haussa les épaules et referma la porte.
- Non, je n'aurais pas dû le laisser... Dit-il à haute voix et il courut jusque chez Martine.

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