Trois

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   Maxime avait cessé de se frotter le visage. Il prit la parole, sans réfléchir à ce qu’il allait dire, se laissant porter par son instinct. D’ordinaire extrêmement bavard dans sa vie personnelle, parler lentement et avec délicatesse comme on lui avait appris pendant sa formation lui coûtait énormément. Au collège, ses prises de paroles intempestives en classe lui avaient valu une kyrielle de sanctions. Sa prof principale d’alors n’aurait jamais imaginé un seul instant que des années plus tard, portant costume et chaussures vernies, il puisse s’exprimer un jour avec un tel calme et une telle douceur dans la voix.

   — On va vous rembourser !

   Il avait dit cela machinalement. Comme débitant un argument commercial qui sied bien dans les magasins où un client découvre, après l’avoir acheté, qu’il manque un bouton au pantalon qui lui faisait plaisir. À l’entreprise, dans son casier, il avait un carnet sur lequel il avait écrit toute une série de petites notes. Des situations prévisibles et des réponses toutes faites. Ça le rassurait d’écrire à l’avance des réponses types. Il relisait des pages de son carnet en fumant des clopes à l’arrière du bâtiment. Son chef avait insisté sur le cadre à respecter, sans quoi on risquait de se laisser emporter par ses émotions et raconter n’importe quoi. « On va vous rembourser » n’était inscrit sur aucune des pages de son carnet, Maxime en était certain. Même si un bataillon de l’armée Française tombait tout entier sous les balles ou les mines de l’ennemi, personne ne leur proposerait un prix de gros, genre deux cercueils achetés le troisième offert. On constatait parfois des erreurs, les cercueils n’étant pas tous fabriqués sur place. Surtout sur la garniture intérieure et les poignées. La plupart du temps, les familles n’y voyaient que du feu, trop accaparées par leur peine. C’est au moment de payer que certaines se montraient pointilleuses.

   La mine défaite, Maxime ne put retenir le tournevis qu’il tenait à la main, lequel ne trouva pas mieux que de s’enfoncer dans les profondeurs du tombeau. Il tenta d’apercevoir l’objet, de là où il était, n’osant quitter sa place. Son patron lui avait tellement répété que chaque geste lors des obsèques participe d’une chorégraphie millimétrée. Pas question pour lui, même si c’était son premier réflexe, de fourrager sous le cercueil au risque de le faire basculer. À peine sa proposition de rembourser la veuve prononcée, il se mordit les lèvres, convaincu d’avoir commis là une faute professionnelle indiscutable. En apprenant cela, il serait sans doute licencié sur-le-champ. Il se rendit compte qu’il ne voyait pas bien ce que son patron pourrait rembourser à la dame. Le cercueil, elle s’en moquait probablement. Ce qui la préoccupait, c’était de retrouver son mari, fut-ce sous la forme de quelques os. Ils devaient bien se trouver quelque part. En cherchant un peu, son patron pourrait peut-être en trouver qui feraient illusion. Après tout, rien ne ressemblait plus à un bout de tibias qu’un autre morceau de tibias. La dame n’allait tout de même pas demander une analyse ADN.

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