Chapitre 85

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85

Dante

Mark Grace et Elena Dent sont déjà présents lorsqu’ils arrivent dans la chambre de Zach. Après que Lily Rose les ait rejoints chez eux, les jumeaux et leur amie se sont rendus à l’hôpital. Il ne se trouve qu’à quinze minutes à pieds de leur immeuble.

– Pardon de vous déranger, souffle Lily Rose en remarquant les mains liées de Mark et de la journaliste.

Zach les avait prévenus du rapprochement entre les deux adultes. Même s’il ne connaît le père de son ami qu’à travers les dires de celui-ci, l’adolescent se sent sincèrement heureux que l’homme ait trouvé bonne compagnie.

– Pas de soucis, murmure Elena Dent, avant de faire un geste vers son compagnon.

Le menton sur la poitrine, l’homme s’est endormi. Lily esquisse un sourire bienveillant puis va déposer le bouquet de fleurs que les trois amis ont acheté ensemble.

Soudain, alors que Dante s’apprête à s’avancer vers le lit, Jessica lui agrippe brusquement la main. Grimaçant sous sa poigne féroce, Dante lui jette un regard désemparé. Sa sœur fixe en silence leur ami inconscient, les yeux écarquillés de peur, les lèvres plissées de douleur.

– Zach, chuchote-t-elle d’une voix à peine audible. Zach…

Son menton se met à trembler, ses paupières à cligner furieusement. Le cœur serré, Dante l’observe sans savoir quoi dire. L’agression de Zach le touche évidemment, mais il a conscience que sa sœur en souffre bien plus. Après tout, un lien puissant a commencé à les unir.

– Jess, souffle-t-il en passant un bras autour des épaules de sa jumelle.

Sans plus attendre, elle commence à pleurer. Percevant ses sanglots, Lily Rose se tourne brusquement vers eux puis grimace. Son empathie et sa propre douleur résonnent : des larmes viennent troubler ses yeux verts.

Dante, quant à lui, repousse au fond de sa poitrine la vague de chagrin qui monte, les sanglots qui s’accrochent à sa gorge. Même s’il parle comme un moulin, gesticule beaucoup, il s’exprime, en réalité, assez peu. Un paradoxe que son entourage n’a pas toujours saisi.


Jessica et Lily Rose se tiennent mutuellement soutien, un bras autour de la taille de chacune d’entre elles, observant leur ami inconscient dans un silence gelé. Il n’y a pas grand-chose à dire face à la brusquerie, à l’absurdité, à la violence de l’agression. Tout s’est passé trop vite. Les coups de couteau – ils n’ont toujours pas retrouvé l’arme, d’après Elena – le sang – Zach en a perdu trop alors il est tombé dans le coma – l’hôpital – il a été emmené aux urgences de Lake Town avant d’être installé dans une chambre individuelle.

Les machines bourdonnent, les souffles se mêlent dans un même cri muet de douleur. Zach semble aux portes de la mort, avec sa peau livide, ses paupières bleues, ses lèvres inertes. Tous savent que seuls les appareils médicaux le maintiennent en vie.

Ils n’ont pas encore reçu l’avis d’un médecin. Elena a avoué aux ados que Mark et elle attendaient l’arrivée d’un spécialiste. Ils ont besoin de savoir comment va se dérouler l’hospitalisation, les soins à apporter à un jeune homme dans le coma, s’il faut espérer le voir se réveiller bientôt… ou jamais.


Vers dix-neuf heures trente, Jessica et Lily Rose, qui ont envie de prendre l’air, se proposent d’aller acheter à manger. Mark choisit de les accompagner, ayant aussi besoin de souffler un moment. Quant à Elena, elle est partie trente minutes plus tôt prendre un train pour Denver. Oliver Dent, que les trois adolescents ont manqué de peu, est parti vers la fin d’après-midi rejoindre son épouse.

Pendant que ses amies et Mark partent acheter à manger, Dante s’installe près du lit de Zach, les épaules basses. Avec un sourire dépité, il lui prend gentiment la main.

– Je sais pas trop ce que les autres s’imaginent. Ton père… tes pères ont l’air morts de trouille. Ta tante aussi. Lily Rose n’a pas dit grand-chose, mais elle est pas très douée pour cacher ce qu’elle ressent. Quant à Jess… sa souffrance est tellement palpable que j’en ai mal aux tripes.

Dante jette un coup d’œil par la fenêtre, plissant les yeux face aux lumières des habitations avoisinantes. Des dizaines de famille se mettent à table, sans savoir ce qui se trame dans cette chambre d’hôpital.

– Je sais pas ce qu’ils s’imaginent, reprend Dante d’une voix distante. Moi, j’pense à rien, Zach. Je pense pas à ton agression, je pense pas à ton séjour à l’hôpital, je pense pas à ton réveil. J’arrive plus à penser. (Dante grimace lorsqu’il sent les larmes lui monter aux yeux. Il retient ces traitresses depuis des heures. À présent, il n’en peut plus.) Je sais pas ce qu’ils s’imaginent, sur moi, sur mon impassibilité. Ils doivent me prendre pour un monstre.

Avec un reniflement, Dante observe le visage immobile de son ami. De sa main libre, il chasse quelques mèches noires du front pâle de l’adolescent.

– Peut-être qu’ils se disent que je suis moins affecté. Mark et Oliver sont tes parents, alors c’est normal qu’ils s’inquiètent. Elena, les Daniels … Même Lily Rose, tu la connais depuis tant d’années, vous êtes si complices, tous les deux. Et Jess… c’est évident que tout ça la fait souffrir. C’est ta copine. (Il lâche un rire nerveux.) Au milieu de tout ça, j’ai l’air d’un imposteur. Je suis l’ami en second plan, le gars un peu cool avec qui tu t’amuses, que les parents apprécient pour sa spontanéité, mais… mais qu’on oublie vite, parce que…

L’adolescent fait un geste vague vers lui-même.

– Parce que je suis diffus, fantomatique. Parce que je manque de présence. De charisme.

Avec tendresse, Dante fait glisser sa main sur la joue de Zach. Il esquisse un demi-sourire en y sentant une barbe naissante. Dire que lui n’a que quelques poils au menton.

– Tu sais que c’est faux, hein, Zach ? Je suis plus que ça. Vieux, je donnerai ma vie pour toi. J’déconne pas. Sans toi…

Il secoue la tête, faisant glisser ses larmes sur le côté.

– Sans toi, je serais pas ici. Sans toi, je saurais pas qui je suis. Peut-être même que je saurais pas que je suis gay !

Devant sa propre révélation, Dante s’esclaffe.

– Tu le savais, hein ? Quand je t’ai parlé du garçon, au collège, qui m’avait amené à me poser des questions. Ce jour-là, quand je t’en ai parlé, à la cantine, tu as fait mine de ne pas comprendre. Mais j’ai vu cette lueur, dans tes yeux. Je savais que tu avais compris.

Avec un soupir, Dante se lève et presse les lèvres sur le front de son ami.

– Zach, contrairement aux autres, je te demanderai pas de te battre. C’est con, en plus, on sait même pas si tu nous entends vraiment. Mais… vieux, fais comme bon te semble. Je sais que t’en as vraiment bavé avec la vie. Alors, si en plus tu dois affronter la mort… Laisse-la te cueillir si c’est trop dur. (Dante se laisse lourdement choir sur sa chaise, comme vidé.) Je t’aime. Ouais, ajoute-t-il en sentant sa voix s’effriter comme du papier mouillé, je t’aime. Et je t’aimerai toujours, pour ton altruisme et ta simplicité.

Avec un regard protecteur pour son ami, Dante lui serre fort la main avant de la lâcher.

– T’as fait de ton mieux, ces dernières années. Tu t’es largement rattrapé. Tu as redonné goût à Mark Grace, tu lui as rappelé qu’être heureux était possible. T’as fait ton job, Zach, alors tu peux partir l’esprit léger. Si c’est ça qui te retient. (L’air grave, Dante ajoute finalement :) Mais si t’as envie de revenir, de serrer les dents pour goûter encore à cette mégère qu’est la vie, je suis là. Si on doit te porter pour te réapprendre à marcher, on le fera. Si on doit écrire sur du papier pour communiquer, on le fera. Si… on s’en fout, on le fera.

Dante laisse son regard divaguer dans le vide, sourire triste aux lèvres.

– Je suis peut-être pas la personne qui t’aime le plus, ni celle qui te connait le mieux, ni celle en qui tu as le plus confiance… Mais je suis la personne qui te soutiendra quelle que soit ta décision, Zach.

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