Chapitre 86

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Ashley

Ce n’est que six jours après l’agression de Zach qu’Ashley peut enfin pousser la porte de la chambre d’hôpital.

Sa mère sur les talons – Molly a refusé de la laisser y aller seule – l’adolescente pénètre dans la pièce avec hésitation, appréhendant ce qu’elle va y trouver. Elle aperçoit d’abord le dos large de Mark, ses épaules affaissées, puis la silhouette pâle et inerte de Zach.

– Mark… murmure l’adolescente en s’approchant de lui, presque tétanisée.

Son oncle se retourne avec surprise, ne les ayant pas entendues arriver. Il dévisage d’abord Ashley puis sa sœur. Ils échangent un long regard, chargé de tension.

– Bonjour Mark, lâche Molly d’une voix froide en réajustant son sac à main.

L’homme ne répond pas tout de suite, mortifié. La présence de sa nièce lui rappelle qu’il n’est pas seul. Celle de sa sœur lui donne le sentiment inverse.

– Molly, souffle-t-il du bout des lèvres avant de tendre la main vers sa nièce. Ashley…

L’adolescente se précipite pour le serrer dans ses bras, horrifiée par l’expression avide et triste qu’elle lit sur le visage de son oncle. Il la broie contre lui de ses bras puissants.

– Mark, chuchote-t-elle à son oreille d’une voix qui se veut réconfortante, je suis désolée…

Alors qu’elle se redresse, la gorge serrée, sa mère s’avance vers le lit. Avec un regard inquisiteur, elle demande :

– Qu’est-ce qui s’est passé, exactement ?

Mark attend d’avoir repris ses états avant de répondre :

– On ne sait pas. Tout ce qu’on sait, c’est que quelqu’un lui a administré trois coups de couteau avant de s’enfuir. Il devait avoir un ou plusieurs complices, car Zach a été maintenu en place de force ; il a des bleus sur les bras.

– Allons bon.

Le ton de Molly, un peu sec, fait lever les yeux à Mark. Ashley les observe se défier en silence, craignant que l’orage explose. Ce ne serait vraiment pas le moment…

– Alors, il est dans le coma ? chuchote Ashley d’une petite voix pour détourner l’attention des adultes. Est-ce qu’il va se réveiller bientôt ?

– Oui, il est dans le coma, répond son oncle d’une voix lointaine. Il avait perdu trop de sang. Quant à son réveil… Les médecins nous ont dit que c’était très difficile à prévoir. Son activité cérébrale est présente et stable, ce qui est un très bon signe, mais c’est impossible d’estimer une date.

Quelques secondes s’écoulent avant qu’il n’agrippe les montants du lit à s’en faire blanchir les jointures. Malgré ses lèvres pincées, Ashley l’entend gémir sourdement. Sans hésiter, elle se poste à côté de sa chaise pour appuyer la tête contre son épaule.

– Mark…

– Pardon, lâche-t-il entre ses dents serrées en passant un bras autour des épaules de sa nièce. C’est juste que… c’est dur. (Il déglutit péniblement.) Très dur. Je… j’ai l’impression d’être retourné cinq ans en arrière, quand on m’a annoncé la mort de ma famille.

Avant qu’Ashley ait le temps de répondre, sa mère lâche avec véhémence :

– Ça n’a rien à voir ! (Mark et sa nièce lèvent la tête dans sa direction, ahuris.) Il y a cinq ans, tu as perdu ta famille, Mark. Ta femme et tes filles. Là, c’est différent. Radicalement différent.

– Et en quoi ? grince-t-il en se redressant, piqué à vif.

– Parce que ce garçon n’est pas ta famille. Ce n’est pas ton fils.

– Maman !

– Ashley, n’interviens pas, je t’en prie, ordonne sa mère avec lassitude.

– Molly, reprend calmement Mark en essayant manifestement de contrôler sa colère. Je conçois que ma relation avec Zachary t’échappe. Après tout, tu ne comprends que les liens du sang, hein ? Encore que, avec moi, ça ne t’a pas empêchée de me rayer de ta vie. (Avant que sa sœur n’intervienne, il enchaîne :) Mais c’est mon fils, Molly. Ma famille, la seule qui me reste avec Ashley.

Il lève les yeux vers sa sœur comme pour la défier. Ils se dévisagent en chiens de faïence.

– Je me fiche de ce que tu peux penser de lui, je l’aime. Et j’ai l’impression de perdre un enfant pour la deuxième fois.

– C’est ridicule, Mark. Et tu es ridicule à te mettre dans un état pareil pour un meurtrier.

Ashley se tend avant même que son oncle ne hausse la voix :

Ridicule ? Je suis ridicule d’avoir choisi la vie plutôt que la mort ? Ridicule d’avoir été plus raisonnable que la vengeance, plus réfléchi que la justice ? Ridicule de nous avoir offert une deuxième chance, à ce garçon et à moi ? C’est ça, que tu es en train de me dire, Molly ? Que je suis ridicule d’aimer plutôt que de haïr ?

Décontenancée par les propos de son frère, la femme ne répond pas tout de suite. Finalement, elle secoue la tête, grimace puis marmonne :

– Toi et moi ne serons jamais d’accord sur ce sujet. À mes yeux, ce garçon méritait d’aller en prison pour ce qu’il avait fait. Tu as choisi de lui pardonner et de l’accueillir chez toi. Eh bien, grand bien te fasse ! Tu ne viendras pas pleurer lorsqu’il te détruira à nouveau.

– Il m’a reconstruit, Molly. Sans lui, je n’aurais pas pu. Le seul moyen qu’il a de me faire souffrir, c’est de mourir. (Il lâche un rire nerveux.) Mais je ne compte plus sur toi pour faire preuve d’empathie, tu n’en as jamais été capable.

Un éclair de douleur traverse les yeux sombres de Molly. Un nouveau pic de souffrance vient s’enfoncer dans le cœur d’Ashley. Elle ne sait plus sur quel pied danser ; les deux parties lui semblent aussi sincères l’une que l’autre…

– Tu sais que c’est faux, murmure la femme d’un ton blessé en détournant le visage.

Mark prend alors conscience de ses propos, se crispe, puis baisse les yeux.

– Le seul conseil que je peux te donner, Mark, c’est de ne pas te laisser aller. De faire le point, de prendre du recul sur la situation. Il y a cinq ans, tu avais toutes les raisons d’être au bout du rouleau. Aujourd’hui, tu as l’opportunité de voir la boucle bouclée, de te sentir vengé en constatant que l’assassin de ta famille est mort.

Pâlissant à vue d’œil, Mark ne répond rien alors que Molly fait un geste vers les machines qui entourent Zach. Ashley écarquille les yeux d’horreur en comprenant ce que sa mère s’apprête à dire.

– Débranche-le, Mark. Fais-en la demande. En tant que responsable légal, tu peux. On ne sait pas s’il se réveillera un jour, autant abréger les choses.

Mark, trop mortifié pour réagir, remarque à peine Ashley qui passe à côté de lui en furie.

– Espèce de monstre ! hurle l’adolescente à l’adresse de sa mère, les yeux brillant de larmes furieuses. Nan mais tu t’entends ? Laisser mourir un enfant ? Mais tu vas pas bien ?!

– Ce n’est pas un enfant, crache Molly en la fusillant du regard. C’est un meurtrier.

– Non, c’est un ado comme les autres ! (Avec colère, elle agrippe les bras de sa mère.) Tu ne sais rien de lui, maman. Moi, j’ai appris à le connaître. Il n’en faut pas beaucoup pour comprendre qui il est vraiment. Et, crois-moi, il mérite de vivre. Il mérite d’être heureux.

Dépitée, Molly secoue la tête en la dévisageant sévèrement. Elle assène enfin :

– Ma pauvre fille, tu vis dans une utopie.

Autant blessée que sa mère peut être indignée, Ashley plisse les yeux et susurre :

– Depuis toute petite, je t’ai écoutée, je t’ai obéie, en étant persuadée que tu voulais mon bien, que tu voulais m’aider à grandir… Mais, aujourd’hui, je ne vois plus qu’une femme aigrie qui ne pense qu’à faire payer aux autres ce qu’elle n’a jamais eu. (Molly écarquille les yeux face à l’effronterie de sa fille.) Maman, il est peut-être temps que tu acceptes le passé, les décisions de Mark… et que tu l’encourages.

Ashley prend soin de reculer pendant que sa mère rassemble ses esprits pour lui répondre. L’adolescente a peur que ça passe aussi par une gifle.

– Espèce de petite impertinente, siffle sa mère d’une voix rauque. Pour qui tu te prends ? Tu n’as aucune idée des différends qui existent entre Mark et la famille. Ça remonte à bien avant la mort de sa femme et ses filles.

– Et ça te tuerait de le soutenir ? murmure sa fille d’un ton abattu, dépité.

Un silence embarrassé lui répond. Avec un lourd soupir, Mark pose une main sur l’épaule de l’adolescente.

– Ashley, ne t’en fais pas pour ça. Je n’ai pas envie de t’impliquer dans ces histoires.

– Mais ça me concerne ! réplique-t-elle avec irritation. Tu es mon oncle et c’est mon cousin !

Sa mère ouvre de grands yeux ébahis devant la façon dont elle nomme Zach. Avec un rictus provocateur, sa fille la toise en silence, prête à en découdre.

– Ashley… (Avec un soupir résigné, Molly secoue la tête puis se dirige vers la porte.) Bornée comme tu es, tu ne m’écouteras jamais. Alors fais donc comme tu veux. Si tu as envie de perdre du temps à soutenir un homme à côté de la plaque et un meurtrier dans le coma, libre à toi.

Sans un regard pour son frère ou pour sa fille, Molly sort de la pièce.

– Je suis désolée, chuchote Ashley en se tordant les mains. J’aurais peut-être pas dû lui parler comme ça.

– Tu as dit ce qui te pesait sur le cœur, et je pense que c’est important, la rassure Mark en déposant un bisou sur son crâne. Et merci d’être là, ça compte beaucoup pour moi.

– Tu rigoles ? C’est normal. C’est… évident.

Le ventre noué d’angoisse après cette confrontation familiale, Ashley s’approche doucement de Zach pour lui toucher la main. Elle tressaille en constatant sa froideur.

– Alors, même si on ne peut pas prévoir de date, il reste une chance qu’il se réveille ?

– Oui, c’est possible.

Du coin de l’œil, l’adolescente observe son oncle. Il a encore pris des années. Des rides qui ne creusaient pas son visage lorsqu’elle l’a revu quelques mois plus tôt. Il ne ment pas lorsqu’il affirme qu’il aime Zach. Qu’il est devenu sa famille.

– Je lui parlerai, murmure Ashley en se tournant vers son oncle. À ma mère. Elle n’est pas méchante. Je suis sûre qu’elle veut ton bien.

– Je n’en doute pas non plus, soupire Mark en se pinçant l’arête du nez. C’est simplement qu’elle est obstinée. J’ai depuis longtemps laissé tomber l’idée de la faire changer d’avis.

– J’essaierai quand même, insiste sa nièce en lui prenant la main. Parce que j’aimerais que le plus grand nombre de personnes possible te soutienne.

– Merci, ma puce, souffle Mark en lui jetant un regard reconnaissant. Je crois que je vais avoir besoin de soutien, en effet.

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