Chapitre 45

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Cœurs d'enfants

Nous finissons de manger en vitesse. Après quoi, Jess m’attrape par le bras et m’entraîne en courant dans le dédale des couloirs du lycée. Nous atteignons la sortie et nous y engouffrons.

Mon cœur bat aussi vite que nos pas sur la chaussée. Tandis que mon cerveau exulte de joie à l’idée de faire autre chose qu’étudier, mon ventre se tord d’appréhension.

C’est bien la première fois que je sèche les cours depuis que je vis avec Mark.

Toujours en courant, comme des enfants fuyant après avoir été pris la main dans le sac, nous traversons plusieurs rues, puis un square avant de débouler dans un petit parc.

Essoufflés, nous nous asseyons sur un banc. Jessica sort de son sac à dos une bouteille d’eau, qu’elle me tend.

– Tu penses vraiment à tout, soufflé-je d’un air amusé en acceptant la précieuse boisson.

– C’est juste toi qui as la tête vide ! me rétorque Jess avec un sourire en coin.

Parfois, oui. Parfois, non. Aujourd’hui, non. J’ai l’esprit embrumé de mille questions.

Après dix bonnes minutes de repos, Jessica me montre un espace de jeux pour enfants. Toboggans, balançoires, tourniquets et constructions avec filets et pontons sont installés au milieu d’un grand terrain sablonneux.

– Tu vois le grand toboggan ? souffle-t-elle avec malice.

– Oui.

– Le premier arrivé a gagné ! s’exclame-t-elle soudain en s’élançant.

Désemparé, je la regarde filer avant de réagir quelques secondes plus tard. Avec l’impression d’être aussi pataud qu’un paresseux, je cours derrière elle sans être capable de la rattraper.

Jess escalade avec agilité la petite échelle menant en haut du toboggan puis se dresse fièrement sur la plateforme.

– J’ai gagné ! s’époumone-t-elle, le souffle court.

Un peu vexé d’avoir été battu à plate couture, je la rejoins. Au moment où je pose pied sur la plateforme, elle s’élance dans la descente. Je ne vois que la masse de ses cheveux rouge se soulever puis perçois une exclamation d’amusement.

– Allez, Zach, m’encourage Jessica, au pied du toboggan.

Je suis tellement disproportionné pour l’attraction que, même assis, je ne passe pas sous la barre de protection avant la descente. Je dois m’allonger et ramper à moitié avant que mes jambes commencent à sombrer dans le toboggan.

Alors que je m’apprête à descendre, je me fige. Qu’est-ce que je fabrique, au juste ? Coincé dans une attraction pour gosse, me cognant et me ridiculisant tout ça pour… pour une fille.

– Qu’est-ce que tu attends ?

– R-Rien, bredouillé-je, honteux. Je crois que je vais faire demi-tour…

Jessica penche la tête de côté et fait remarquer :

– Ce sera plus long de te redresser sans te faire mal et d’essayer de descendre l’échelle sans tomber que de faire le toboggan.

Elle est comme Mark : quand elle a raison, ça m’agace.

– Bon, très bien, marmonné-je avant de me servir de la barre métallique pour m’élancer.

Ça ne dure qu’une seconde à peine. Tout juste le temps d’inspirer que je me retrouve les fesses dans le sable.

Il y a un silence puis Jess éclate d’un rire sonore.

– Allez, on va faire le tourniquet !

Stupéfait, je la dévisage, toujours assis en bas du toboggan, mais elle est partie.


Pendant pas moins de deux heures, nous jouons dans les attractions comme deux enfants de cinq ans. Riant, criant, se défiant, se chamaillant, se cherchant.

Lorsqu’on en a marre, on se pose dos à dos sur le tourniquet. Il tournoie doucement.

– Merci d’être venu avec moi, souffle Jess d’une voix légère.

– Merci à toi de m’avoir fait sécher les cours. C’était la première fois. (Avec la brutalité d’une gifle, je réalise que je n’ai pas jeté un seul coup d’œil à mon téléphone depuis que j’ai quitté le lycée.) Merde, Mark va me tuer !

Je descends du tourniquet d’un bond et récupère le portable au fond de mon sac. Trois appels manqués et cinq messages. Un appel du lycée, deux de Mark. Un message de Lily Rose, un de Dante et trois de Mark.

Oups.


Dante est surpris, Lily Rose inquiète.

Mark est en colère.

Oh merde, merde, merde…


J’ouvre le journal pour rappeler Mark. Au bout de six sonneries, il répond avec brusquerie :

– Allô ! Zach, où est-ce que t’es, bordel ? Le lycée m’a appelé en début d’après-midi pour me signaler ton absence. Tu étais en cours ce matin, mais pas après le repas. (Soudain, l’agacement de sa voix laisse place à de l’inquiétude.) Tu vas bien ? Tu es malade ? Tu préviens toujours le lycée quand tu es malade. Pourquoi pas cette fois ?

Il ne me laisse pas en placer une, le bougre.

– Tu as juste oublié de les prévenir ? C’est pas grave, je les rappelle juste après.

Comme je ne réponds rien, il marque un silence puis souffle :

– Zach, mon garçon, ça va ?

L’angoisse de sa voix me tord l’estomac. Le souci qu’il se fait pour moi me touche plus fort que je ne m’y serais attendu.

– Ça va, Mark, bredouillé-je d’une voix tremblante. Je suis désolé, j’ai séché les cours cette après-midi.

Silence au bout du fil.

Espèce de demeuré ! me maudis-je en songeant à la façon dont j’ai annoncé la chose à Mark.

– Séché les cours ? répète-t-il d’un ton incrédule. C’est une blague ?

– N-Non.

– Zachary qui sèche les cours… je crois que c’est une première.

Avec insolence, je réplique :

– Il y a une première fois à tout, non ?

Il s’esclaffe.

– Oui. On tombe même amoureux une première fois.

Sa perspicacité me laisse pantois et gêné comme jamais.

– Tu n’aurais jamais eu l’idée de faire ça seul, explique-t-il avec amusement. Vous avez passé un bon moment ?

– Tu m’énerves, marmonné-je avant d’écarquiller les yeux de mon toupet. Enfin, non, tu…

– Laisse tomber, me coupe-t-il en riant à moitié. Cette fille te rend crétin, Zach. Je te laisse, j’ai cours en amphi bientôt. Profite bien !

Et il raccroche.


Toujours assise sur le tourniquet, Jess m’observe avec curiosité, des questions silencieuses au bord des lèvres.

– J’ai appelé Mark pour le prévenir, expliqué-je en m’approchant. Il… était pas très content.

Comment lui faire part de l’espèce de mélange de fierté, moquerie et lassitude qui nuançait son ton ?

– J’espère qu’il ne t’engueulera pas trop, grimace-t-elle en arrêtant le tourniquet. Tu regrettes d’être venu ?

– Non, du tout, la rassuré-je avec un sourire.

Elle me le rend. Le sien m’éblouit aussi fort que le soleil d’été.

Machinalement, elle consulte sa montre. Puis saute en bas du tourniquet en poussant un cri.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Je vais rater mon cours de dessin ! s’exclame-t-elle en allant récupérer son sac à dos. Je suis désolée de t’abandonner comme ça, Zach, mais je dois filer.

Une vague de déception s’abat sur moi.

Pour la rassurer, je lui adresse un sourire crispé, mais je vois à son regard triste qu’elle comprend mes sentiments. Elle doit ressentir les mêmes.

Alors qu’elle s’éloigne au loin, je crie :

– Jess ! Attends, tu as oublié quelque chose.

Elle se retourne tandis que je cours vers elle. Elle observe avec perplexité mes mains, se demandant quel objet elle a bien pu laisser derrière elle.

Mais mes mains sont vides.

Lorsqu’elle s’en aperçoit, elle me jette un regard étonné.

– Zach, souffle-t-elle d’un ton un peu crispé. Il faut vraiment que je file. Qu’est-ce que tu voulais me…

Elle se tait tandis que je fais quelques pas vers elle.

Ce que j’ai à te dire ne passe pas par les mots.

Et, avec la plus grande effronterie dont je n’ai jamais fait preuve, je me penche pour presser mes lèvres contre les siennes.

Ce n’est ni magique, ni décevant. C’est rien que l’effleurement de sa bouche contre la mienne. Qu’un léger contact entre nos cœurs.

Deux cœurs d’enfants.

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