Chapitre 19

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19

Explications

Je suis en train de surfer sur le net dans un cybercafé quand mon portable vibre dans ma poche. C'est Mark. Il me demande de revenir à la maison pour qu'on discute. Très bien. Je ferme la page Internet, finis le fond de ma tasse de café et me lève.

J'ai pris un bus pour Lake Town après avoir quitté la maison. Comme je commençais à avoir faim, je me suis installé dans le café à côté de la bibliothèque et j'ai regardé des vidéos pour tuer le temps. À présent, il va falloir que j'affronte Mark.

Le bus se dirige vers l'arrêt au moment où j'arrive. Pour une fois que j'ai de la chance ! L'angoisse me prend au moment où je m'assieds. Que vais-je bien pouvoir lui dire ? Et lui, comment a-t-il pris le fait que je le surprenne avec la gueule de bois ? Oh, Mark ! Mais qu'est-ce qui a bien pu te prendre ? Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

Et pourquoi la peur m'empêche-t-elle de me convaincre de lui dire tout cela en face ?


Mon cœur bat fort contre mes côtes quand je pousse le portillon du jardin. Il fait gris, les oiseaux font peu de bruits. Journée de merde. Devant la porte, impossible d'entrer. Je ne peux pas me résoudre à arriver comme une fleur. J'appuie sur la sonnette. Le bruit des pas lourds de Mark, le raclement de la clef dans la serrure puis la chaleur de la maison sur mon visage. Mark et moi nous dévisageons en silence. Ses yeux sont gonflés et il a du chaume sur les joues.

– Qu'est-ce que tu attends ? me rabroue-t-il d'un ton bourru. Rentre.

J'obéis avec empressement. Il va s'asseoir devant la cheminée en attendant que je me déchausse et enlève mon manteau. Une fois déshabillé, je m'approche lentement du salon et m’assieds sans un mot dans le fauteuil à côté du canapé.

– Je sa…

– Tu ve…

On se tait avant même d'avoir commencé notre phrase. On est trop perturbés pour commencer la discussion correctement. Après un échange de regard gêné, je baisse la tête pour lui faire comprendre qu'il peut reprendre la parole.

– Excuse-moi, Zach, dit-il d'une voix claire en fixant les flammes dansantes de la cheminée.

Il ne s'offusque pas que je reste silencieux. Toujours immobile, il reprend :

– Je sais que j'ai merdé.

– Pas sûr.

Doucement, il tourne les yeux vers moi. Je me recroqueville dans mon siège et marmonne :

– Un adulte qui boit de l'alcool, ça a rien d'anodin.

– Un adulte qui se saoule pour oublier sa douleur, c'est peut-être pas anodin, mais c'est pas un exemple à donner à un enfant.

– Je ne suis plus un enfant, Mark, soupiré-je d'un air agacé. Cesse de faire comme si le moindre pas de travers pouvait te faire perdre ton image. Ce n'est pas parce que je t'ai trouvé avec la gueule du bois à la sortie du lit que tu as changé à mes yeux. Je... je suis juste étonné.

– Dérouté serait le mot juste. Déçu. Dégoûté, aussi, réplique Mark d'une voix grondante. Je comprendrais. Je me dégoûte moi-même.

– Pf…

Incapable de me retenir, j'éclate de rire. Mark me balance un regard consterné. Son visage se ferme, ses mâchoires se contactent.

– Qu'est-ce qui te fait rire ?

– Hier, tu me faisais la morale sur ma juste valeur en disant que je devais avoir confiance en moi et que j'avais le droit de vivre. Et aujourd'hui, tu te morfonds sur toi-même comme un adolescent ! Qui est l'adulte, Mark ?

– C'est moi, affirme-t-il durement en se levant.

– Eh bien, comporte-toi en adulte. Explique-moi ce qui s'est passé.

– Et pourquoi je devrais t'expliquer ? maugrée-t-il en me jetant un regard noir. J'ai décidé de m'excuser, car ce n'était pas réglo de ma part, mais je n'ai pas besoin de m'expliquer.

Ses paroles me font mal. Je sens mes traits s'affaisser. Le silence s'installe entre nous.

– Bah, très bien, lâché-je au bout d'un moment interminable. J'accepte tes excuses. Je ne sais pas pour quoi tu t'excuses exactement, j'ignore la raison pour laquelle tu t'es bourré et pourquoi tu as fondu en larmes ce matin, mais, puisque tu estimes que je ne mérite pas de savoir, parfait !

J'ai crié avec colère les derniers mots. Je pensais que Mark et moi devions repartir sur de bonnes bases. Je pensais qu'il me faisait confiance. , je suis dégoûté.


Il me rattrape une demi-seconde avant que je ne monte les escaliers. Je repose mon pied par terre et reste sans bouger. Si la conversation doit reprendre, c'est lui qui doit faire le premier pas.

– Après avoir discuté avec toi, j'ai repensé à ces cinq dernières années. J'ai repensé à Alison, à Holly et à Jade. J'avais trop mal, Zach. Je suis descendu au garage, j'ai pris des bouteilles d'alcool dans un carton et j'ai bu. Beaucoup. Je me suis endormi devant la cheminée et, quand je me suis réveillé, j'ai réussi à me traîner jusque dans mon lit.

Il n'a pas attendu que je me retourne pour s'expliquer. Si bien qu'il est dans mon dos et que je sens son souffle tiède sur ma nuque. Sa main lâche mon bras.

– J'ai été pitoyable. Lâche, ridicule, égoïste. Aly ne serait pas fière de moi. Ce n'est pas l'homme qu'elle a épousé. (Un rire nerveux s'échappe de sa gorge.) Je ne sais plus quel homme je suis.

– Tu es Mark Grace, affirmé-je en me tournant vers lui. Tu es l'époux d'Alison Grace et le père de deux formidables petites filles. Tu es le meilleur ami de Philip et de Sofia Daniels. Tu es professeur de droit à l'université de Denver et tu fais de ton mieux chaque jour. C'est l'homme que tu es, Mark. Un homme bien, juste, honnête et, à mes yeux, le plus courageux.

Il me fixe, étonné que je le complimente. Eh oui, je peux être comme ça quand je veux. Mais j'aimerais lui dire autre chose. Quelque chose d'important.

– Je m'en fous que t'aies fait une connerie hier soir. Je pense que tu en avais parfaitement le droit. Moi, ça me dérange pas. Ça me rassure un peu, au contraire. Je me demandais quand tu allais péter un câble à force de prendre sur toi-même, de tout porter sur tes épaules. (Je baisse la voix.) Surtout que je t'en ai mis plein la gueule.

– Zach, dit-il d'un ton atone.

– Non, on sait tous les deux que c'est vrai. Je...

Oh non... Aller, Zach ! Perds pas ton courage maintenant. Je me mords la lèvre. Je ne veux pas le perdre. Je ne veux pas qu'il s'éloigne de moi. Et je suis un sacré égoïste.

– Laisse-toi aller s’il le faut, je reprends d'une voix tremblante. Je veux pas que tu fasses une connerie. Je veux pas te perdre. Je ne veux pas perdre mon père.

Ben tu l'as dit, pauvre abruti ! En voyant la lueur de surprise dans ses yeux, je regrette aussitôt. Je tourne les talons et monte les escaliers à toute vitesse. T'es qu'une mauviette, Zach. Tu penses qu'à toi. Tu seras jamais son fils, laisse-tomber. Il est trop bien pour toi !


– Zach ! crie Mark depuis en bas. Attends !

Je ferme la porte de ma chambre en l'entendant monter les escaliers. Mon sang bat contre mes tempes, ma respiration est haletante et j'ai les mains moites. Le dos contre le battant, je reste à fixer le parquet, persuadé que je viens de me mener à ma perte. Je dois rembourser ma dette, pas lui dire que je l'admire. C’est pas possible d'être aussi con. Il va me foutre à la porte, c'est obligé. Il va m'accuser d'être un bon à rien qui se croît assez bien pour être son fils.

Et, le pire, c'est qu'il aura raison.

– Qu'est-ce que t'as fait ? je murmure pour moi-même en me laissant glisser contre la porte. Pourquoi est-ce qu'il faut toujours que tu casses tout sur ton chemin ?

En entendant des coups contre le battant, je sursaute.

– Zachary, ouvre cette porte !

Je pince les lèvres en sentant les larmes me monter aux yeux. Autant profiter des derniers instants ensemble. Vas pas pourrir les dernières minutes de ta vie avec lui. Avec une grande inspiration, je me lève, tourne le verrou et ouvre grand la porte.

Mark me prend dans ses bras et me serre contre lui.

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